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Bruno Colmant : "Une partie de la rentabilité des entreprises devra être utilisée pour la transition climatique"

Tendances Première: Le Dossier

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L’économie face au défi climatique. Après quelques années de malaises, les réalités climatiques, militaires, énergétiques et économiques sont les premières secousses de multiples chocs sociétaux à venir. Avant 2030, tous les déséquilibres vont s’embraser et se conjuguer avec rapidité et violence. Face à ces défis stupéfiants, il faut immédiatement rebâtir l’efficacité stratégique des États européens tout en clôturant l’hégémonie du néolibéralisme anglo-saxon. C’est l’objet du dernier ouvrage de Bruno Colmant et Thomas Dermine, "Une brûlante inquiétude" aux éditions de la Renaissance du livre. Bruno Colmant, économiste et professeur d’université est l’invité de Tendances Première.

Une vision écologique globale à long terme

Au niveau institutionnel, il faudrait mettre en œuvre une planification écologique. Cette planification exige de l’anticipation, afin de mettre en œuvre une bifurcation. Sera-t-elle pour partie dirigiste ? Je le crois, car la transition climatique sera sacrificielle de bien-être conduisant à des comportements notamment plus sobres et frugaux.

Bruno Colmant le reconnaît : la remédiation climatique ne va pas être aisée, elle va coûter de l’argent, de l’énergie et du bien-être. Le capitalisme ne s'adaptera pas de sa propre initiative. Une première étape simple serait d’imposer aux entreprises un bilan environnemental. Une comptabilité qui prendrait les trois facteurs en compte : le travail, le capital, et l’interaction avec la nature.

" Etablir une comptabilité qui montre le rendement du capital, le rendement des humains et dans quelle mesure on peut améliorer leur bien-être et leur employabilité, et surtout un bilan environnemental. En fonction de ce bilan, peut-être devoir payer des impôts ou devoir investir pour compenser un déficit de bilan environnemental. Ça va beaucoup plus loin que de taxer la tonne de CO2 aux frontières, c’est mesurer l’impact de l’entreprise. Evidemment, une entreprise devrait peut-être vendre ses biens et services plus chers parce qu’elle doit remédier aux dégâts environnementaux, mais cela permettrait d’intégrer les coûts de la remédiation climatique dans tout le flux de consommation. C’est simple comme idée, il faut un peu de méthodologie, et je suis certain qu’avant 10 ans ce sera mis en œuvre. "

Le nécessaire dialogue entre l’état et le monde de l’entreprise

Bruno Colmant et Thomas Dermine abordent dans leur ouvrage la question de l’étatisation et de la nationalisation des entreprises. A l’opposé de ses idées passées, Bruno Colmant pense que la transition environnementale passera par le rendement du capital, et qu’il faudra dans un premier temps que " les entreprises soient d’autorité dépossédées d’une partie de leur profit pour financer les adaptations sociétales. "

" Il y a un mot que l’on va entendre de plus en plus c’est étatisation et nationalisation, ce ne sera pas nationalisation au sens de la capture du capital, mais les entreprises vont être orientées vers certains buts. Il faut être cohérents : les entreprises vont devenir de plus en plus des certificateurs de processus. C’est-à-dire que l’on va leur demander d’assurer que dans leur processus de production, de distribution, de manipulation, elles jouent un rôle positif en matière de transition énergétique. Une partie de leur rentabilité va être utilisée pour la transition climatique. L’entreprise est un des acteurs de l’économie, avec les individus, avec les gouvernements. Cette tâche que les entreprises vont devoir prendre va coûter du rendement aux actionnaires. On va quitter cette économie de marché pure et dure. "

Bruno Colmant préconise avant tout le dialogue entre l’entreprise et l’état. Il cite l’exemple d’une société comme Amazon, bien implantée en Belgique. On pourrait imaginer des compensations industrielles comme de reconstruire des bureaux de poste, investir dans l’entretien des routes et des chemins de fer. Les dirigeants des grandes d’entreprises n’ont pas conscience de ce que l’état veut faire, et l’état n’a aucune connaissance des objectifs des entreprises. Des perspectives communes doivent être examinées.

© Colin Anderson productions via Getty Images

Un projet qui concerne la société dans son ensemble

Nous avons un défi existentiel devant nous

Thomas Dermine, Secrétaire d’État pour la relance et les investissements stratégiques, pose en introduction du livre l’inquiétant antagonisme de nos sociétés :

Depuis la seconde guerre mondiale, jamais un défi sociétal n’a été a aussi pressant et n’a fait l’objet d’une prise de conscience aussi large que le défi climatique. Pourtant, collectivement, nous n’avons consacré que peu de ressources à construire notre futur, et singulièrement, à adapter nos infrastructures aux impératifs de la transition qu’il nous faut conduire. "

Bruno Colmant argumente le changement nécessaire de manière de penser. L’ère de l’individualisme touche à sa fin si nous voulons pouvoir survivre dans un monde menacé.

Si le seul projet de société c’est d’échapper de manière individuelle ou avec sa famille aux grands malheurs qui vont nous assaillir, nous faisons une erreur. Nous ne pensons pas ‘collectif’, comme on dit au football. Nous n’avons pas la prise de conscience que c’est un problème qui doit être géré par tout le monde, tous ensemble.

Dans les années 60 il y avait une confiance en l’état, une confiance dans l’équilibre que l’état pouvait assurer. Puis on est passé d’un système de protection étatique à un système de protection individuel. Mais il n’y a pas de société sans solidarité. On va devoir repenser le système social, le système fiscal et la sécurité sociale. Le néolibéralisme nous a appris le narcissisme, la surconsommation et l’âpreté au gain. J’espère que nous n’allons pas repousser les limites du narcissisme au point de refuser de regarder en face les événements qui s’annoncent. "

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