Entrez sans frapper

Buster Keaton, la mélancolie du visage de pierre du cinéma muet

Par Bénédicte Beauloye via

Il y a cent ans, Buster Keaton révolutionnait le tout jeune cinéma. Les deux sont nés la même année, en 1895, et après vingt-cinq ans d’existence seulement, l’art cinématographique et Buster Keaton sont indissociables. Un documentaire vient de sortir chez Carlotta Films, 'The great Buster' par Peter Bogdanovich. Un hommage au génie de Keaton par des grands noms tels que Quentin Tarantino, Mel Brooks, Werner Herzog ou l’acteur Bill Hader.

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Un personnage en état de sidération

American comedic film star Buster Keaton grasps prison bars in a promotional portrait for his silent film, 'The Goat'.

Buster Keaton, c’est un visage en noir et blanc, sous un canotier. Un visage en contraste, un faciès sans expression, le regard vidé par les incroyables situations auxquelles il est confronté. Un personnage dans un état de sidération permanent, un état de stupeur émotive dans lequel le sujet est figé, inerte. Un visage sur lequel nous pouvons projeter nos propres émotions.

D’autant que Buster nous interpelle individuellement par ses nombreux regards impassibles à la caméra, nous rendant témoin de son désarroi. Il confie la résolution de ses épreuves à son corps. Athlétique, il flirte avec l’impossible en permanence. En un seul geste il échappe aux poursuites, aux chutes, aux menaces d’une horde de fiancées ou de policiers. Il galope, esquive, bondit. Mais le burlesque ne se résume pas ici à des gesticulations. C’est une chorégraphie savante entre son personnage, des décors en mouvement et la caméra elle-même. Une maîtrise époustouflante pour l’époque qui a marqué des générations de cinéastes.

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Le comédien burlesque doublé d’un metteur en scène

Pour l’émission Entrez sans frapper, Dick Tomasovic, chargé de cours en histoire et esthétique du cinéma et des arts du spectacle à l’ULg, évoque la carrière en deux temps de l’artiste. "Keaton n’est pas seulement le comédien qui fait rire à l’intérieur du champ, qui crée des gags, c’est aussi quelqu’un qui a inventé des gags avec le cinéma. Sa manière d’utiliser la grammaire cinématographique, l’échelle de plan, les mouvements d’appareils, le hors-champ, la profondeur de l’image, le plan séquence pour montrer qu’il n’y a pas de trucage de montage dans ses cascades, tout cela va participer à un vrai rire. Ce n’est pas juste une reproduction de gags qu’on pourrait voir sur scène. Ils sont pensés pour le cinéma et par le cinéma. C’est l’idée de Buster Keaton comédien burlesque mais aussi grand metteur en scène."

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L’acteur et réalisateur Buster Keaton en 1928 dans le film 'Le caméraman'
L’acteur et réalisateur Buster Keaton en 1928 dans le film 'Le caméraman' © Hulton archive pour Getty Image

Le cinéma parlant n’a pas pu le faire taire

Ce sont ses courts-métrages qui sont le plus connus. Pourtant, ses longs métrages sont aussi fascinants : 'Les trois âges', 'Sherlock Junior', 'Le mécano de la générale', L’opérateur', douze productions en l’espace de dix ans qu’il scénarise, réalise et interprète. Le Casse-cou (Buster) est au sommet de sa gloire. L’avènement du cinéma parlant vient perturber son succès. Du moins c’est ce que l’on retient. A tort ! Buster Keaton n’a pas disparu, il apparaît dans septante-cinq films parlants. Il développe un humour dialogué, à la manière des Max Brothers.

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Oublié à la fin de sa carrière, il reçoit in extremis plusieurs hommages

Mais son œuvre ne sera plus jamais la même. Malgré la mise en garde de son ami de toujours Charlie Chaplin, il accepte et signe un contrat avec la MGM en 1928.

Cette offre très restrictive le prive d’initiatives, il perd ses chers collaborateurs et se retrouve dans une prison dorée. Comme beaucoup d’autres anciennes gloires du muet, on le traite comme un fétiche. Il ne peut plus réaliser. Très déçu, il s’ennuie, s’enfonce encore un peu plus dans l’alcoolisme, et n’est plus que l’ombre de lui-même. A la fin de sa vie il se verra cependant honoré par un Oscar en 1959, le prix de la Cinémathèque Française en 1962, un prix au Festival de Venise en 1965. Un an avant sa mort, il accepte de participer à un film réalisé par Samuel Beckett (En attendant Godot), une collaboration improbable pour un film muet réalisé par Alan Schneider.

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Buster, le casse-cou au grand cœur. L’antihéros parfait, victime de l’absurdité de la vie. Son désespoir est hilarant. Un acteur avec une sacrée bonne étoile qui lui a sauvé la vie lors de ses cascades. Il nous rappelle avec poésie que toute situation inextricable peut être résolue, avec agilité !

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