" La démocratie, c’est d’abord un état d’esprit " disait Pierre Mendès France. Force est de constater aujourd’hui que l’esprit n’est pas à la fête.
Bien au contraire, depuis plusieurs années, la défiance à l’égard de notre système démocratique va croissant.
Déjà en 2017, l’étude Noir-Jaune-Blues mettait en lumière des chiffres inquiétants : moins de 32% des Belges estimaient que notre système démocratique fonctionnait " plutôt bien " et 25 % seulement considéraient que voter permet véritablement de changer les choses.
En 2018, la VRT sondait des jeunes qui s’apprêtaient à voter pour la première fois : un quart d’entre eux déclarait ne plus croire en la démocratie et préférer un leader autoritaire.
2021 : les sondages se suivent et le dernier en date n’est pas de nature à rassurer. 60% des répondants au sondage RTBF-Kontar sur l’Etat de la démocratie jugent que les politiques " n’ont plus de réelles capacités d’améliorer leur quotidien et qu’ils ne peuvent quasi rien changer ". Plus d’un répondant sur trois estime que notre société serait mieux gérée si le pouvoir était concentré dans les mains d’un seul leader. Et, s’il était possible d’inquiéter plus encore : les 25-34 ans sont près d’un sur deux à se réclamer de cette affirmation. Glaçant!
La démocratie représentative classique est en crise, et celle-ci est malheureusement chaque jour plus profonde. Ce n’est évidemment pas une révélation. La crise est d’ailleurs mondiale : partout, la fonction même des parlements, et leur capacité à représenter les citoyens, est questionnée ; la confiance entre gouvernants et gouvernés se délite, et la légitimité des décisions prises par ceux qui ont le " pouvoir " est remise en question.
Il y a bien sûr de multiples raisons à cette crise de confiance. Certaines sont particulières à notre pays, et notamment à son architecture institutionnelle compliquée.
Sans doute pourrions nous également évoquer les relations déséquilibrées entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, ce dernier voyant son rôle démocratique cardinal de plus en plus limité dans le processus décisionnel et apparaissant chaque jour davantage aux yeux de nos concitoyens comme une simple chambre d’entérinement.
D’autres sont plus larges - comme le démontre le fait que presque toutes les démocraties sont touchées, aussi vieilles soient-elles - et tiennent en grande partie à la crise de l’État-providence et des mécanismes de régulation économique et sociale.
Quant aux remèdes, ils passent par l’éducation à la citoyenneté, à coup sûr, à l’école et dès le plus jeune âge. Ils passent aussi par une amélioration des conditions de vie et des perspectives d’avenir offertes à chaque citoyen.
Ils passent également par toutes les initiatives qui tendent à démontrer aux citoyens que leur voix est légitime, qu’ils sont pris au sérieux, que chacun compte, avec ses préoccupations, ses questions, ses propositions - et pas seulement une fois tous les quatre ou cinq ans, lorsqu’il est convoqué aux urnes. La démocratie est un processus permanent.
Les parlements, ces institutions centrales de la démocratie représentative, ont un rôle crucial à jouer.
De par leur mission de chaque jour d’abord : en contrôlant l’action du gouvernement, ils se posent en rempart contre les abus, voire contre la dictature.
En matière d’éducation à la citoyenneté également : notre parlement, à l’instar des autres assemblées, ouvre très régulièrement ses portes à des groupes scolaires et à des initiatives de sensibilisation/participation des jeunes aux enjeux de la démocratie.
Enfin, les parlements sont parmi les lieux où s’élaborent les cadres de la société de demain. Avec le concours de la société, les difficultés et les injustices qui perdurent doivent pouvoir y être rapportées et corrigées, et les questions qui intéressent les citoyens, les idées que ceux-ci ont à proposer doivent pouvoir y être partagées et débattues.
Si nous voulons barrer la route aux populismes et à tous ceux qui veulent jeter le discrédit sur la politique et sur celles et ceux qui la font, si nous voulons retrouver la confiance de la population dans nos institutions, nous devons à la fois renforcer la démocratie participative et nous ouvrir à d’autres formes de représentation d’une part, et repenser le fonctionnement de notre assemblée d’autre part, pour le débarrasser de ses lourdeurs et le rendre le plus transparent possible – une double tâche à laquelle s’est attelé le parlement bruxellois, à l’instar d’autres assemblées de notre pays.
Je le répète chaque fois que l’occasion m’en est offerte : le parlement bruxellois, c’est la Maison du peuple bruxellois. Ses portes, et jusqu’à ses fenêtres, doivent être grandes ouvertes aux citoyens. Il faut qu’ils s’y sentent chez eux, qu’ils sachent qu’ils peuvent s’y faire entendre.
Il y a aujourd’hui une véritable aspiration en ce sens, de la part des citoyens, mais aussi des élus.
De nombreux Etats, villes, communes, ou d’autres collectivités encore, ont expérimenté et expérimentent de nouvelles formes de représentation et de délibération – comme les panels citoyens, les assemblées mixtes, les consultations citoyennes, les budgets participatifs… Le parlement bruxellois se devait lui aussi de s’inscrire dans cette recherche d’innovation démocratique.
Pour être plus accessible aux Bruxellois, notre parlement a facilité le droit de pétition et s’est lancé dans l’expérience inédite des commissions délibératives, ces commissions composées pour un quart de députés et pour trois quarts de citoyens tirés au sort. Elles s’inspirent de différentes expériences menées dans le monde - comme la convention constitutionnelle irlandaise, le panel citoyen en Colombie britannique, ou encore le G1000 en Belgique.
Mais elles innovent aussi par plusieurs points : elles réunissent des citoyens et citoyennes tirés au sort (le tirage au sort est un des éléments d’une vision élargie de la représentation) et des parlementaires élus ; elles ont été intégrées de façon permanente dans les règlements de notre parlement ; enfin, le parlement s’engage à faire le suivi des recommandations qui auront été formulées à l’issue des travaux.
Bien sûr, les commissions délibératives ou le droit de pétition ne régleront pas à eux seuls la crise de la démocratie. Mais on peut faire le constat que les Bruxelloises et les Bruxellois répondent à l’invitation qui leur est faite de participer plus étroitement au travail de notre assemblée.
Lors de la constitution des deux commissions délibératives organisées cette année - les deux premières de l’histoire de notre parlement et de notre pays - , près de 1000 citoyens, de tout âge et de tout horizon, se sont à chaque fois déclarés prêts à participer aux débats.
Depuis la révision du droit de pétition l’année dernière, pas moins de 7 pétitions recevables nous sont parvenues et ont été traitées – avant cela, une seule pétition avait réuni les conditions nécessaires pour ouvrir à celui qui la portait les portes de notre institution.
Notre souhait de faire en sorte que notre parlement soit effectivement perçu par les Bruxellois comme un lieu qui leur appartient, un lieu où ils sont invités à rapporter et partager leurs préoccupations, un lieu où leur voix est tout à fait légitime - ce souhait se concrétise petit à petit. Parmi les citoyens qui participaient aux premières commissions délibératives, certains franchissaient pour la première fois le seuil de leur parlement. Le rapprochement avec la politique est parfois d’abord une question qui se joue dans l’espace physique.
Bien sûr, il en faudra plus pour écarter tous les dangers qui menacent nos démocraties. Mais si l’on veut vraiment convaincre les citoyens que la démocratie n’est pas qu’un ensemble de procédures réglementaires et juridiques, il nous faut les associer plus étroitement à la revitalisation et au réenchantement de notre modèle.
" La liberté et la démocratie exigent un effort permanent. Impossible à qui les aime de s’endormir " disait François Mitterrand.
Alors, réveillons notre démocratie pour ne pas avoir à lui dire un jour " Bye bye "…