Les progrès
Dans le métier depuis 30 ans, elle a pourtant assisté à des progrès : "La survie des femmes qui ont une rechute du cancer du sein a augmenté, la qualité de vie s’est améliorée. On diagnostique les cancers du sein plus tôt et ils sont de plus petites tailles, il y a moins d’envahissement des ganglions donc le pronostic est meilleur".
Et d'ajouter que l’approche multidisciplinaire, qui s'est renforcé au fil des années, a également permis d'améliorer les chances de guérison, notamment au sein des cliniques du sein avec un dialogue étroit entre tous les intervenants. "Donc la mortalité par cancer du sein a légèrement diminué, mais il n’en reste pas moins que trois fois sur dix, il y a une rechute qui va se produire et qu’à ce moment-là, on aura plus de médicaments à notre disposition pour prolonger la survie de ces femmes, mais on ne pourra pas se débarrasser de la maladie. Et ça c’est très frustrant, je n’ai pas imaginé quand j’étais jeune oncologue qu’on en serait toujours là 30 ans plus tard. Donc cela montre bien qu’il faut continuer à faire de la recherche pour essayer de se débarrasser de ce fléau un jour", confie l'oncologue.
La récidive toujours incomprise
Cette récidive où le cancer se généralise (on parle de cancer du sein "métastatique") peut parfois intervenir 10 ans après le traitement de la maladie initiale. "À un moment où la femme commence à se sentir à l’aise, où elle se dit qu’elle s’en est sortie. Une maladie donc difficile à vivre au jour le jour, d'autant que ces personnes ne sont pas toujours comprises par leur entourage qui ne mesure pas toujours la gravité de la situation. Le fait que tôt ou tard, les traitements ne fonctionneront plus".
Or, avec les technologies actuelles, qui n'existaient pas il y a dix ans, on pourrait selon le Dr Piccart aller beaucoup plus en profondeur, comprendre par exemple quelles sont les anomalies dans la cellule cancéreuse qui lui permettent de résister à tous les traitements. "On imagine que les cellules sont dormantes quelque part dans l’organisme. Mais qu’est-ce qui fait qu’à ce moment-là elles se réveillent ? On n’y comprend rien."
L'étude Aurora
C'est d'ailleurs l'un des objectifs du programme Aurora lancé fin 2014 et pour lequel 1150 femmes ont déjà été recrutées dans onze pays européens (250 autres devraient encore l'être).
L'objectif de cette étude est aussi de comprendre pourquoi dans certains cas, alors que deux cancers semblent identiques, l'un va guérir et l'autre va se métastaser. "Et une fois que le cancer du sein est métastatique, il a des évolutions extrêmement variables. Parfois peu agressives, avec une maladie qui va rester dans les os quelques années ; mais parfois la récidive est fulminante et en quelques mois de temps, la maladie se retrouve partout, y compris au niveau du cerveau", précise l'oncologue.
Mais tout cela à un coût : plus de 40 millions d'euros car il faudra sans doute faire appel à une équipe d'intelligence artificielle pour décrypter la masse impressionnantes de données récoltées. Or jusqu'ici, la fondation est encore loin d'avoir récolté suffisamment de fonds même si près de 25 millions d'euros ont été offerts par BCRF, une fondation américaine sans but lucratif active dans la recherche de fonds pour lutter contre le cancer.
Les thérapies ciblées
Précisons qu'Aurora n'est pas la seule étude financée par BIG, il y en a actuellement une trentaine en cours. D'autres ont permis d'offrir aux patients des traitements plus personnalisés, notamment chez les jeunes patients avec l'étude OlympiA. Un nouveau traitement, approuvé en août dernier par l'Agence européenne des médicaments et qui devrait permettre de diminuer le risque de récidive chez ces jeunes patients d'environ 32%, selon le Dr Philippe Aftimos, oncologue et responsable de l'unité de recherche clinique à l'Institut Bordet (Bruxelles).
"Devant une maladie grave, on va tout d’abord se focaliser sur l’efficacité et peu sur les effets secondaires et donc on accepte des effets secondaires graves beaucoup plus facilement. Mais ça c’était il y a quelques années", explique ce spécialiste.
Et de poursuivre : "Plus les patientes guérissent, plus on s’intéresse à la période après traitement. Donc empêcher les séquelles futures. Et donc, on peut passer au moment où on arrive à guérir beaucoup de patients dans ce qu’on appelle la désescalade thérapeutique. Et une grande partie de la recherche que l’on fait aujourd’hui est dans le sens de la désescalade thérapeutique, c’est-à-dire mieux sélectionner les patientes qui n’ont pas besoin de plus de traitement. Et donc là, cela peut se faire via des tests que l’on fait avant mais aussi par des stratégies thérapeutiques plus ciblées."
D'où l'intérêt, selon lui, de "soutenir la recherche académique qui n’a aucun intérêt commercial, juste le bien-être des patients."