Il est désormais clair qu’avant la trahison dénoncée par les garants et l’ensemble des grévistes en conférence de presse ce 3 novembre, concernant les accords de juillet ayant mis un terme à la grève de faim de 475 sans-papiers ; le piège avait été beaucoup plus savamment préparé. En effet, l’hypothèse que nous allons essayer de démontrer c’est qu’il n’y a pas uniquement eu des tentatives de résolution du dossier par des vice-premiers ministres, un secrétaire d’État, des grévistes et leurs représentants mais bien une N-VA qui va indirectement par l’intermédiaire de Freddy Roosemont, directeur général de l’Office des Etrangers (OE), biaiser l’accord. Ce dernier ne voulant pas gripper une méthode bien huilée par Theo Francken et qu’il s’agit pour lui de préserver jusqu’en 2024, retour annoncé de la N-VA.
Contexte :
Le 17 juillet 2021, Freddy Roosemont fait une tournée au Béguinage, à l’ULB et la VUB pour rencontrer les grévistes. On est à 56 jours de grève de la faim et 1 jour de grève de la soif. A l’époque, il y a déjà eu trois rencontres avec le cabinet de Sammy Mahdi. Le 11 juillet, le secrétaire d’Etat a donné un rendez-vous aux représentants de l’USPR, seuls, à la dernière minute, un dimanche soir, au moment de la finale de l’Euro de foot : Italie vs Angleterre. Le mardi suivant aura lieu une nouvelle réunion à l’Office des Etrangers avec la société civile (Ciré, CSC, ACV, FGTB, MOC, Orbite, LDH) en présence de la chef de cabinet de Sammy Mahdi, Astrid Van Den Velde. Tout au long de ces discussions des avancées sont engrangées : sur la “recevabilité”, sur une procédure accélérée (collaboration Office des Etrangers – Ville de Bruxelles), etc. Deux notes, une rédigée par le comité de soutien de l’ULB et de la VUB, l’autre rédigée avec les représentants de l’USPR et des avocats et juristes, circulent pour trouver une solution négociée sur la base de l’article 9bis de la loi de 1980.
En amont de ces différentes rencontres des contacts bilatéraux ont lieu avec le Premier ministre et les vice-Premiers ministres. Un cadre de référence sur mesure à partir de l’article 9bis est de plus en plus sérieusement discuté. Le 19 juillet, Franck Vandenbrouck, Ministre fédéral de la Santé, déclare à ce propos sur le plateau de la RTBF que “le gouvernement a envoyé un envoyé spécial pour relancer le dialogue, avec le message qu’on peut trouver des solutions pour ces gens-là”. Il insiste en ajoutant que “ce qui est important, c’est que le cadre légal permet pas mal de solutions sur mesure”. Différentes pistes sont alors envisagées, comme la mise en place d’une “période probatoire” pour les grévistes afin de faire valoir des éléments de travail, de formation et d’intégration à partir de l’octroi d’un permis A. Il s’agit là d’une étape charnière n’ayant suscité aucun démenti sur le déroulé de la séquence.
Freddy Roosemont itinéraire
Freddy Roosemont est directeur de l’Office des Etrangers depuis 2003. Il a été de toutes les négociations à propos des grèves de la faim depuis. Il a toujours fait respecter par son administration les accords pris pour suspendre les grèves. Lorsqu’il effectue cette visite "surprise" le 17 juillet, cela ne peut être interprété par les grévistes que comme le fait que les négociations sont en train d’avancer vers ce cadre de référence (autour d’une procédure 9bis). Après s’être présenté, Freddy Roosemont présente le dispositif “zone neutre” installé par le secrétaire d’Etat afin de faire analyser les éléments positifs et négatifs de chaque dossier. Freddy Roosemont balise ainsi devant les grévistes les premiers contours d’une solution sur mesure sur base de l’article 9 bis de la loi de 1980. “Quand les éléments sont positifs, tant mieux, cela donne lieu à un titre de séjour, par contre s’il y a trop d’éléments négatifs c’est-à-dire des éléments en votre défaveur durant la procédure de traitement alors cela ne sera certainement pas une décision positive”. Roosemont évoque ensuite deux nouveaux critères : les personnes qui ont déjà introduit une régularisation en 2009 et les personnes qui sont exploitées par leur employeur. Tout au long de son exposé, Roosemont va être extrêmement rassurant à l’égard des fortes inquiétudes des grévistes : “50% des demandes donnent lieu à un traitement positif, 1/2, c’est véridique vous pouvez vérifier, avant c’était 25, 27%, c’était 1 sur 4 maintenant c’est 1 sur 2”. Il va aussi battre en brèche l’idée que les Maghrébins seraient particulièrement discriminés sur base de la procédure 9bis. En effet, n’ayant pas la possibilité d’introduire de demande d’asile les sans-papiers originaires du Maroc, de la Tunisie, de l’Algérie, etc. sont les grands perdants des campagnes de régularisation et n’ont quasiment aucune chance d’obtenir la régularisation sur base de l’article 9bis. C’est cette politique de non-régularisation à leur égard qui est d’ailleurs l’élément déclencheur de l’Union pour la Régularisation des Sans-Papiers (USPR). De ce côté-là aussi, Roosemont se montre extrêmement rassurant : “La deuxième remarque que j’entends souvent de votre part, " jamais des marocains ", or le Maroc est dans le top 3 des nationalités régularisées avec le Brésil et l’Arménie”. Roosemont continue ensuite en énonçant clairement des critères de régularisation : “la durée de séjour et éventuellement la durée de la procédure, le regroupement familial, le travail, avoir des enfants scolarisés en Belgique, avoir d’autres liens avec la Belgique, avoir participé à des formations, le travail aussi, peut-être un élément important, d’avoir des parents, des frères, des sœurs, tout ça c’est une balance”. Et pour bien enfoncer le clou de la confiance, Roosemont termine en évoquant les cas de 2, 3 personnes qu’il vient de rencontrer à l’église du Béguinage, dont celui de Nezha dont le cas a été médiatisé depuis, via la publication d’une note interne de l’Office qui montre que malgré qu’il n’y ait que des éléments positifs dans la balance, Roosemont demande à son administration de délivrer un négatif. “Si on parle avec des gens individuellement, je suis moins sûr que vous, je viens de discuter avec, au Béguinage, 2-3 personnes [il s’agit de Nezha] et si ce qu’ils me disent est correct et qu’il n’y a pas autre chose dans leurs dossiers qui pourraient faire que, par exemple une condamnation, ça, c’est vraiment un élément très négatif, si je me base sur ces 2-3 cas, alors ce sont des cas qui donnent lieu à des traitements positifs.”
Alors pourquoi changer complètement de discours aujourd’hui et défendre un cadre beaucoup plus restrictif ? Pourquoi Freddy Roosemont est-il venu au Béguinage, à l’ULB et à la VUB le 17 juillet pour instaurer un rapport de confiance par des déclarations fortes et en élargissant les critères de régularisation ?