Belgique

Carte blanche du Comité de soutien des sans papiers : "À qui Roosemont est-il loyal ? Au gouvernement actuel ou à la N-VA ?"

Fin juillet, les grévistes de la faim s’étaient arrêtés pensant avoir trouvé un accord avec le gouvernement.

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Par M.-L.M.

Les quatre personnes qui ont négocié des lignes directrices pour la régularisation des 475 sans papiers en grève de la faim seront auditionnées, à huis clos, ainsi que le secrétaire d’État Sammy Mahdi en commission de l’Intérieur de la Chambre. La date n’a pas encore été fixée. Une demande de Défi, qui a reçu le feu vert.

La semaine dernière, ces quatre négociateurs parlaient de trahison, à propos des premiers refus de régularisation signifiés par l’Office des étrangers aux anciens grévistes de la faim. Selon eux, Ce qui avait été négocié, n’a pas été respecté.

Le Comité de soutien de l’USPR, l’Union des sans papiers pour la régularisation se demande aujourd’hui dans une carte blanche si, Freddy Roosemont, le Directeur de l’Office des étrangers, a bien été loyal dans cette affaire.


►►► Lisez ici la réponse de Freddy Roosemont à cette carte blanche


 

 

La carte blanche

Il est désormais clair qu’avant la trahison dénoncée par les garants et l’ensemble des grévistes en conférence de presse ce 3 novembre, concernant les accords de juillet ayant mis un terme à la grève de faim de 475 sans-papiers ; le piège avait été beaucoup plus savamment préparé. En effet, l’hypothèse que nous allons essayer de démontrer c’est qu’il n’y a pas uniquement eu des tentatives de résolution du dossier par des vice-premiers ministres, un secrétaire d’État, des grévistes et leurs représentants mais bien une N-VA qui va indirectement par l’intermédiaire de Freddy Roosemont, directeur général de l’Office des Etrangers (OE), biaiser l’accord. Ce dernier ne voulant pas gripper une méthode bien huilée par Theo Francken et qu’il s’agit pour lui de préserver jusqu’en 2024, retour annoncé de la N-VA.

Contexte :

Le 17 juillet 2021, Freddy Roosemont fait une tournée au Béguinage, à l’ULB et la VUB pour rencontrer les grévistes. On est à 56 jours de grève de la faim et 1 jour de grève de la soif. A l’époque, il y a déjà eu trois rencontres avec le cabinet de Sammy Mahdi. Le 11 juillet, le secrétaire d’Etat a donné un rendez-vous aux représentants de l’USPR, seuls, à la dernière minute, un dimanche soir, au moment de la finale de l’Euro de foot : Italie vs Angleterre. Le mardi suivant aura lieu une nouvelle réunion à l’Office des Etrangers avec la société civile (Ciré, CSC, ACV, FGTB, MOC, Orbite, LDH) en présence de la chef de cabinet de Sammy Mahdi, Astrid Van Den Velde. Tout au long de ces discussions des avancées sont engrangées : sur la “recevabilité”, sur une procédure accélérée (collaboration Office des Etrangers – Ville de Bruxelles), etc. Deux notes, une rédigée par le comité de soutien de l’ULB et de la VUB, l’autre rédigée avec les représentants de l’USPR et des avocats et juristes, circulent pour trouver une solution négociée sur la base de l’article 9bis de la loi de 1980.

En amont de ces différentes rencontres des contacts bilatéraux ont lieu avec le Premier ministre et les vice-Premiers ministres. Un cadre de référence sur mesure à partir de l’article 9bis est de plus en plus sérieusement discuté. Le 19 juillet, Franck Vandenbrouck, Ministre fédéral de la Santé, déclare à ce propos sur le plateau de la RTBF que “le gouvernement a envoyé un envoyé spécial pour relancer le dialogue, avec le message qu’on peut trouver des solutions pour ces gens-là”. Il insiste en ajoutant que “ce qui est important, c’est que le cadre légal permet pas mal de solutions sur mesure”. Différentes pistes sont alors envisagées, comme la mise en place d’une “période probatoire” pour les grévistes afin de faire valoir des éléments de travail, de formation et d’intégration à partir de l’octroi d’un permis A. Il s’agit là d’une étape charnière n’ayant suscité aucun démenti sur le déroulé de la séquence.

Freddy Roosemont itinéraire

Freddy Roosemont est directeur de l’Office des Etrangers depuis 2003. Il a été de toutes les négociations à propos des grèves de la faim depuis. Il a toujours fait respecter par son administration les accords pris pour suspendre les grèves. Lorsqu’il effectue cette visite "surprise" le 17 juillet, cela ne peut être interprété par les grévistes que comme le fait que les négociations sont en train d’avancer vers ce cadre de référence (autour d’une procédure 9bis). Après s’être présenté, Freddy Roosemont présente le dispositif “zone neutre” installé par le secrétaire d’Etat afin de faire analyser les éléments positifs et négatifs de chaque dossier. Freddy Roosemont balise ainsi devant les grévistes les premiers contours d’une solution sur mesure sur base de l’article 9 bis de la loi de 1980. “Quand les éléments sont positifs, tant mieux, cela donne lieu à un titre de séjour, par contre s’il y a trop d’éléments négatifs c’est-à-dire des éléments en votre défaveur durant la procédure de traitement alors cela ne sera certainement pas une décision positive. Roosemont évoque ensuite deux nouveaux critères : les personnes qui ont déjà introduit une régularisation en 2009 et les personnes qui sont exploitées par leur employeur. Tout au long de son exposé, Roosemont va être extrêmement rassurant à l’égard des fortes inquiétudes des grévistes : “50% des demandes donnent lieu à un traitement positif, 1/2, c’est véridique vous pouvez vérifier, avant c’était 25, 27%, c’était 1 sur 4 maintenant c’est 1 sur 2”. Il va aussi battre en brèche l’idée que les Maghrébins seraient particulièrement discriminés sur base de la procédure 9bis. En effet, n’ayant pas la possibilité d’introduire de demande d’asile les sans-papiers originaires du Maroc, de la Tunisie, de l’Algérie, etc. sont les grands perdants des campagnes de régularisation et n’ont quasiment aucune chance d’obtenir la régularisation sur base de l’article 9bis. C’est cette politique de non-régularisation à leur égard qui est d’ailleurs l’élément déclencheur de l’Union pour la Régularisation des Sans-Papiers (USPR). De ce côté-là aussi, Roosemont se montre extrêmement rassurant : “La deuxième remarque que j’entends souvent de votre part, " jamais des marocains ", or le Maroc est dans le top 3 des nationalités régularisées avec le Brésil et l’Arménie”. Roosemont continue ensuite en énonçant clairement des critères de régularisation : “la durée de séjour et éventuellement la durée de la procédure, le regroupement familial, le travail, avoir des enfants scolarisés en Belgique, avoir d’autres liens avec la Belgique, avoir participé à des formations, le travail aussi, peut-être un élément important, d’avoir des parents, des frères, des sœurs, tout ça c’est une balance”. Et pour bien enfoncer le clou de la confiance, Roosemont termine en évoquant les cas de 2, 3 personnes qu’il vient de rencontrer à l’église du Béguinage, dont celui de Nezha dont le cas a été médiatisé depuis, via la publication d’une note interne de l’Office qui montre que malgré qu’il n’y ait que des éléments positifs dans la balance, Roosemont demande à son administration de délivrer un négatif. “Si on parle avec des gens individuellement, je suis moins sûr que vous, je viens de discuter avec, au Béguinage, 2-3 personnes [il s’agit de Nezha] et si ce qu’ils me disent est correct et qu’il n’y a pas autre chose dans leurs dossiers qui pourraient faire que, par exemple une condamnation, ça, c’est vraiment un élément très négatif, si je me base sur ces 2-3 cas, alors ce sont des cas qui donnent lieu à des traitements positifs.

Alors pourquoi changer complètement de discours aujourd’hui et défendre un cadre beaucoup plus restrictif ? Pourquoi Freddy Roosemont est-il venu au Béguinage, à l’ULB et à la VUB le 17 juillet pour instaurer un rapport de confiance par des déclarations fortes et en élargissant les critères de régularisation ?

 

Allégeance à Theo Francken plutôt qu’à l’actuel gouvernement ?

Il ne fait aucun doute que le directeur de l’Office des Etrangers a vécu ses plus belles années sous le mandat de Francken. Il le reconnaît lui-même, avec l’ancien secrétaire d’Etat, ils sont parvenus, en prenant quelques largesses avec le cadre légal, à résorber le contentieux accumulé au niveau du traitement des régularisations sur base médicale (article 9ter). [1] Freddy Roosemont semble agir dans ce dossier-ci comme dans d’autres dossiers pour maintenir les acquis de l’air Francken. La question qui se pose alors légitimement est celle de la loyauté du directeur de l’Office des Etrangers à l’égard du gouvernement De Croo. Dans ce dossier si complexe qui a failli faire tomber l’actuel gouvernement en juillet dernier – qui comme le précédent serait tombé sur une question de politique migratoire – et qui est loin d’être résolu, le gouvernement De Croo peut-il se permettre une telle épine N-VA dans le pied ? Theo Franken a d’ailleurs écrit sur le site nationaliste flamand très à droite Doorbraak : " […] Freddy Roosemont, a été appelé hier à soutenir publiquement son secrétaire d’État. […] Ce bon vieux Freddy a fait ce qu’on lui a demandé et a défendu la politique [de la N-VA]. " Il ajoutait " Ce que je dénonce aussi, c’est l’approche minable du gouvernement dans ce dossier. ". Tout en menaçant directement le secrétaire d’Etat : “J’espère que Mahdi est strict et le reste. Ils devraient interdire ces grèves de la faim, ou du moins les interrompre immédiatement, si nécessaire par la violence policière et l’alimentation obligatoire.” Francken concluait : “Comment cela va se terminer, je ne sais pas. C’est certainement un caillou dans la chaussure instable du gouvernement De Croo” (“Hongerstakingen voor papieren”, 04/11/2021, Doorbraak.be).

Si la N-VA est intervenue dans la gestion du dossier, si le directeur de l’Office des Étrangers transmet des informations à la N-VA, il s’agirait donc bien d’ingérence. Nous serions alors en droit de demander la démission de Freddy Roosemont et d’interroger cette nouvelle triangulation : Théo Francken congratulant Freddy Roosemont (Twitter le 3/11/2021, Doorbraak le 04/11/2021) dont nous pouvons dire sur base des décisions que les grévistes ont reçu qu’il a saboté des accords trouvés entre le secrétaire d’Etat, le vice-Premier ministre Pierre-Yves Dermagne et le Premier ministre Alexander De Croo. Dermagne et Gilkinet avaient alors menacé de démissionner afin de mettre un terme à la crise. Si l’on est conséquent on peut faire la preuve que la N-VA s’en sort haut la main, grâce aux manœuvres du Directeur de l’Office des Étrangers, comme en témoignent les comptes rendus de ces visites de juillet : par ces actions Roosemont permet d’abord à la N-VA de taper sur l’actuel gouvernement qui avait trouvé une solution à la grève de la faim, sans que cela ne lui coûte rien, les décisions qui vont suivre vont totalement contrevenir à la parole donnée. En effet, il ne se passe pas une semaine sans que Francken et le Vlaams Belang, Dries Van Langenhove, ne s’en prennent à Sammy Mahdi jugé trop laxiste. De son côté, le directeur de l’O.E. ancien sp.a est désormais loyal à la N-VA. [2] Avec les manœuvres de Roosemont, le gouvernement De Croo est ainsi bousculé de l’intérieur, la N-VA compte les points.

Aujourd’hui où sommes-nous ? Dans l’ancien gouvernement ou dans un futur espéré par le directeur de l’OE ? Vraisemblablement pas dans celui-ci. Nous sommes donc en droit d’exiger des réponses car in fine personne ne savait que le gouvernement et nous-même travaillions pour la N-VA. Pour sortir de ce piège tendu, dont les grévistes sont les premières victimes, il est impératif que le Premier ministre fasse toute la lumière, que le directeur de l’Office des Etrangers soit auditionné dans le cadre de la commission Intérieur et que le gouvernement reprenne à nouveau la main sur ce dossier.


[1] Une loi particulièrement emblématique de cette entente Francken-Roosemont est celle qui instaure depuis 2015 la non prise en compte des demandes antérieurs 9bis dans le traitement de nouvelles demandes. Il s’agit d’un nouveau dispositif pour éviter les demandes multiples de séjour humanitaire, la loi visant explicitement à éviter l’accumulation de demandes de séjour humanitaire et à résorber le contentieux (l’opposition s’était abstenue). La loi fait en sorte que l’Office des Étrangers ne traitera plus que la demande la plus récente et le Conseil du contentieux, le recours le plus récent.

[2] Lors du scandale des visas humanitaires, le directeur de l’Office des Etrangers est venu en appui à Theo Francken qui vraisemblablement était au courant des pratiques frauduleuses de Melikan Kucam, conseiller communal de Malines Malikan Kucam. Roosemont est également venu en soutien à Francken lors des faits de tortures commis lors d’une expulsion de soudanais orchestrée par l’ancien secrétaire d’Etat. Freddy Roosemont fait partie pour Francken du groupe de personnes triées sur le volet, qui comme lui, souhaite mettre de l’ordre dans le capharnaüm de l’asile en Belgique, c’est-à-dire à refermer le plus possible les voies de migrations qui ne cadrent pas avec la migration choisie mise en place avec le Permi Unique, quitte à s’approcher d’un peu trop près des limites de la loi (cf. “Qui est Freddy Roosemont, le directeur général de l’Office des étrangers ?”, Le Vif, 08/01/18). Cette trop grande connivence avait profondément inquiété l’opposition de l’époque. “Bien sûr que le secrétaire d’Etat et le patron de l’Office des Etrangers doivent pouvoir collaborer, mais ils doivent aussi se contrôler mutuellement” avait souligné la parlementaire sp.a Monica De Coninck. “Aujourd’hui on assiste pourtant à l’effet inverse. Ils se renforcent mutuellement.” (“Qui est Freddy Roosemont, le directeur général de l’Office des étrangers ?”, Le Vif, 08/01/18).

Bruxelles: dans une carte blanche, les sans-papiers et leurs soutiens s'interrogent sur la loyauté du directeur de l'office des étrangers Freddy Roosemont (12 novembre 2021)

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