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Cassels, itinéraire de deux self-made brothers

Cassels. De gauche à droite : les frères Loz et Jim Beck.

© - Chelsea Jackson

Par Renaud Verstraete via

Deux frères, une guitare, une batterie et l’envie furieuse d’en découdre avec le monde. Jim et Loz Beck ne sont pas les nouvelles coqueluches du rock anglais que la presse s’arrache à tout prix. Ils ne feront sans doute jamais les couvertures de magazines et ne s’imaginent pas remplir des stades. Ils étaient là avant Shame, Black Midi et toute la bande du Windmill. Pourtant, Cassels est loin d’être un énième groupe de post-punk londonien et pourrait bien être une de vos découvertes de l’année. Rencontre avec Jim, l’aîné de la fratrie Cassels, quelques jours après la sortie de leur troisième album "A Gut Feeling".

"Je viens de rentrer du boulot. J’ai de la facturation à faire pour le groupe, c’est super glamour. Être dans un groupe c’est aussi ça, personne n’en parle jamais (rires)." On est mardi soir, Jim quitte son job dans l’éducation artistique et enfile sa casquette de musicien. Les deux frères sont tout juste de retour d’une tournée au Royaume-Uni pour promouvoir leur nouvel album. "Pour nous les tournées, c’est un peu comme nos vacances. On n’est pas un gros groupe. On se soucie peu des streams sur Spotify. Ce qui nous importe c’est de voir des gens en face de nous aux concerts. C’est super de se rendre compte qu’il y a de plus en plus de monde qui revient nous voir d’une fois à l’autre dans certaines villes. On le fait à l’ancienne et ça commence à porter ses fruits."

On n’a rien sans rien et les deux frères l’ont bien vite compris. Jim raconte avoir rejoint son premier groupe à l’âge de 9 ans. "C’était un peu comme dans le film "School of Rock". On était en primaire et le père d’un de mes copains jouait dans un groupe de covers, donc il avait un peu de matos chez lui. C’est lui qui nous a appris à jouer nos premiers morceaux, c’était un peu notre Jack Black à nous (rires)." Quelques années plus tard, Jim décide de se mettre à la guitare et convainc son jeune frère Loz, de s’installer derrière la batterie dans leur maison familiale du comté d’Oxfordshire. "On habitait au beau milieu de nulle part. Pendant 4 ans, on a fait un boucan pas possible dans notre chambre, en étant complètement désaccordés. Fort heureusement, on avait qu’un seul voisin et il était assez compréhensif (rires)".

Depuis 2015, le duo gravit pas à pas les échelons. 2 tournées européennes, 3 albums et quelques EP’s jalonnent le parcours des deux frères et témoignent d’une nette progression au fil des ans. "C’est le seul vrai groupe dans lequel on ait joué. On a commencé vraiment jeunes. Nos enregistrements se sont améliorés à mesure que l’on apprenait à jouer. Le premier disque, on l’a enregistré en deux jours. Je ne suis même pas sûr qu’on ait réécouté les prises en studio. Quand je l’écoute maintenant, je me dis que ça sonne vraiment mal (rires)" raconte Jim avec un certain recul.

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Prendre aux tripes

Des tripes. C’est ce qui trône fièrement sur la pochette de "A Gut Feeling". Et à l’écoute de ce troisième album, on se dit que Cassels est bien décidé à montrer ce qu’il a dans le ventre. Si on rangerait de prime à bord le duo dans la catégorie des "groupes post-punk anglais avec une voix scandée que l’on nous ressort à toutes les sauces", le duo est une vraie bouffée d’air frais au sein d'une scène londonienne saturée. Expérimentale, la musique de Cassels s’apprivoise lentement tant les deux frères prennent un malin plaisir à bousculer les structures avec des transitions ficelées d’une main de maître par la paire. On virevolte d’une ambiance à l’autre dans une frénésie totale, emporté par les beats hypnotiques de Loz Beck tout en restant suspendu aux récits contés par son frère aîné qui apportent une cohérence à l’ensemble, sur fond de guitares saturées.

Il faut dire que c’est deux-là se connaissent plutôt bien. "On s’est toujours bien entendu tous les deux. Je fais entièrement confiance à l’avis de mon frère. Si je lui propose une idée et qu’il n’accroche pas, il n’acceptera pas de jouer. Le compromis n'existe pas (rires). Je ne peux pas non plus lui dire quoi jouer, il refuserait. Il faut que je lui donne l’impression que ça vient de lui (rires)" explique JimSur ce nouvel album, on note une réelle alchimie entre les deux frères qui se répondent et se poussent l’un l’autre dans leurs retranchements. "On essaie de pousser les choses le plus loin possible en termes de composition et de ce qu’on peut faire avec un setup aussi simple qu’une guitare et une batterie. On travaille beaucoup les structures et les dynamiques en alternant des passages énervés avec des passages plus calmes. En étant limités, on est quelque part obligé d’être plus créatifs."

J’adore le fait qu’on puisse se pointer dans une salle minuscule avec des enceintes basiques et faire assez de bruit à deux que pour faire le show.

Comme de nombreux groupes indés, le développement de Cassels a été impacté par la pandémie. En interview, Jim s’excuse presque de dire que le confinement est arrivé à pic. Pour la première fois dans la carrière du groupe, le temps s’est retrouvé suspendu. Le duo a saisi à deux mains cette occasion pour prendre le temps de peaufiner les morceaux qu’ils avaient composé avant le premier lockdown. Jim explique ainsi s’être interdit d’écrire de nouveaux morceaux afin de dédier toute son attention à l’arrangement des chansons de l’album. "Si la pandémie n’avait jamais eu lieu, on aurait sans doute sorti l’album avec les mêmes morceaux mais ils n’auraient pas sonné aussi bien. Nous n’aurions pas été aussi fiers de cet album."

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A la troisième personne

Ce qui fait de "A Gut Feeling" un album remarquable, c’est certainement la plume acerbe de Jim Beck qui navigue entre questionnements existentialistes et critiques cyniques d’une société absurde. "Écrire permet de se rendre compte de nos propres manies, que l’on ne connaîtrait pas autrement. Il y a des thèmes de cet album que je n’avais pas prévus. Ils sont juste sortis de ma tête et je me suis dit : "Tiens, on dirait que je suis vraiment obsédé par ce truc". Je ne m’en étais pas rendu compte juste qu’à ce que je l’écrive" explique Jim qui affirme être également inspiré par ses lectures. "Récemment, j’ai été marqué par "The Denial of Death" d'Ernest Becker. C'est un ouvrage philosophique qui explique que chacun essaie de donner un sens symbolique à la vie afin d'échapper à la mort. Ça a pas mal influencé cet album".

Tout au long de cet album, Jim nous plonge dans les yeux d’une série de personnages qui essaient de vivre leur vie dans un monde chaotique. "Il y a un peu de ma propre expérience, des observations et un peu de fiction également" explique le chanteur. Il dépeint de manière vive les émotions complexes qui traversent ces personnages et qui entrent en dissonance avec la musique qui les accompagne. L’expérience est suffisamment déroutante que pour être soulignée. Bien que ces personnages soient fictifs, on s’identifie facilement à Charlie, rongé par le consumérisme, à Michael qui réfléchit au sens de la vie sur son trajet du matin, ou encore aux pulsions érotiques de Beth pour qui le lit froid est devenu un enfer. Jim revient sur les raisons qui l’ont poussé à écrire à la troisième personne : "Ce n’est pas le concept le plus original ou le plus intelligent du monde. Mais dans une époque des réseaux sociaux où on nous exhorte de parler de nous tout le temps, ça me paraissait sensé. Je pense que notre ego devrait servir l’art. Ça n’a aucun sens de dire : "Hey regardez tout ce qu’il m’est arrivé ! Ne suis-je pas important ? Mon histoire n’est-elle pas intéressante ?", parce qu’il y a beaucoup de chance que tu ne sois pas intéressant. En tout cas moi, je sais que je ne le suis pas".

L’album s’ouvre sur "Your Humble Narrator", un morceau aux influences techno écrit cette fois à la première personne, qui introduit le narrateur qui relatera les histoires à suivre et qui présente cet album comme étant un exercice de manipulation à des fins personnelles. "Quand on y réfléchit, l’art c’est essayer de créer quelque chose pour susciter certaines émotions chez l'autre et ainsi influencer son humeur et son comportement, ce qui est un objectif assez étrange (rires). Dès le début de l’album, on comprend que ce narrateur n’est pas fiable et qu’il ne faut pas croire les histoires qu’il s’apprête à nous raconter. Je trouvais que c’était une idée assez drôle pour démarrer cet album". 

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Si Cassels font figure d’outsiders sur la scène londonienne, ce troisième album est une véritable réussite et est la preuve irréfutable qu’il faudra encore compter sur eux dans les années à venir. Lorsqu’on lui demande s’il existe bel et bien une scène londonienne telle qu’elle est fantasmée, avec tous ces groupes émergents  qui sortent et jouent ensemble, Jim répond avec ironie : "Sans doute, mais nous ne sommes pas invités (rires). On est arrivé à Londres en venant d’un village au milieu de nulle part. On s'est fait quelques potes mais je ne suis pas trop le genre de gars à sortir et à rencontrer du monde, plutôt du genre à rester à l’intérieur et à lire "The Denial Of Death" (rires)".

A Gut Feeling.
A Gut Feeling. © - Chelsea Jackson

Cassels sera en tournée européenne au printemps prochain et jouera le 04/06 au Water Moulin de Tournai.

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