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Cate Le Bon, les brutes et l'air du temps

Cat Le bon pour la sortie de son nouvel album

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Par Nicolas Alsteen

Entre une collaboration avec Bradford Cox (Deerhunter) et la production du prochain album de Devendra Banhart, Cate Le Bon trouve le temps de s'occuper de ses propres chansons. Au sommet d'une pop sophistiquée et décomplexée, la chanteuse galloise observe le déclin du monde moderne. Un spectacle étrange, mais d'une incroyable beauté.

Depuis ses débuts dans le costume de Cate Le Bon, la Galloise Cate Timothy revisite avec brio l'héritage de David Bowie ou de la chanteuse Nico. Là où beaucoup se contenterait de lustrer ces totems en assurant le service d'entretien minimum, Cate Le Bon se distingue par d'incessantes remises en question. Pointilleuse, sensible, soucieuse de son rapport au monde, l'artiste multiplie les pistes de réflexion et relance toujours les dés à l'heure de miser sur un nouvel album. Le récent "Pompeii" n'échappe pas à la règle. Pour comprendre les intentions de Cate Le Bon, JAM. a pris rendez-vous avec la principale intéressée.

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California Dreamin'

Depuis 2012, Cate Le Bon vit en Californie. Pour voir le visage de la Galloise apparaître à l'écran, il faut donc veiller tardivement. "Plusieurs facteurs expliquent mon déménagement aux U.S.A.", explique-t-elle. "À l'époque, je vivais dans un quartier du sud de Cardiff. J'étais fauchée et, pour ne rien arranger, la météo était désastreuse. En Californie, même sans argent, tu peux faire des randonnées sous le soleil, marcher le long d'une rivière ou te poser tranquillement dans un parc. Quitter mon pays, c'était surtout l'opportunité de faire des rencontres et de vivre de nouvelles expériences. Je sentais que tout ça pouvait nourrir ma créativité."
 

Le monde d'avant

Tout en bricolant ses cinq premiers albums, Cate Le Bon s'est ainsi rapprochée d'un idéal : une méthode de travail qui crée les conditions nécessaires à son épanouissement personnel. Le dispositif mis en place est simple : prendre la tangente afin de se réfugier au plus près de ses inspirations. Pour fabriquer son disque précédent, elle s'était ainsi retirée dans les paysages verdoyants de Lake District, en Angleterre. C'est là, dans un petit chalet perché à flanc de colline, qu'elle a imaginé les mélodies de "Reward". Au moment d'envisager la suite et de planter les bases de son sixième album, la chanteuse s'est penchée donc sur sa mappemonde. "Je pensais m'envoler pour la Norvège ou le Chili. Ces destinations lointaines étaient en phase avec mes intentions, avec ma volonté de faire le vide autour de moi. Finalement, ce vide a pris une autre dimension :  la crise sanitaire est venue bouleverser mes plans, mais aussi ceux de milliards d'autres personnes..."

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Pompéi de Galles

Complètement déboussolée par la situation, dans impossibilité de voyager pour composer à sa façon, Cate Le Bon se retrouve comme paralysée. "Durant cette période, je suis tombée sur un podcast dans lequel l'un des intervenants mentionnait Pompéi. De là, je me suis mise à faire des parallèles entre l'histoire de la cité antique et la pandémie. J'étais obsédée par l'idée du dernier geste, par l'image de tous ces gens capturés dans une forme de permanence. Cette vision rencontrait mon ressenti. Plus qu'un lieu, Pompéi est donc un cadre de travail, un ensemble en phase avec les sentiments éprouvés pendant le confinement." Le lien avec la ville antique est donc ultra minimaliste. "Je n'ai absolument pas l'ambition d'aller y jouer un concert, par exemple." Loin de l'Italie et du Vésuve, Cate Le Bon s'isole finalement au plus près de ses racines, à Cardiff. En transit au Pays de Galles, la chanteuse rejoint le studio d’enregistrement de son ami Samur Khouja.

Samur du son

"Par souci d'autonomie et d'économie, je compose d'abord toutes mes chansons en solitaire", indique Cate Le Bon. "À l'exception de la batterie et des parties au saxophone, je joue tous les instruments. Partant de là, je voulais prendre mon temps, disposer d'un espace confortable et retravailler les chansons en compagnie d'une personne patiente et encourageante. Pour ça, il n'y a pas mieux que Samur. Quand je produis des disques pour Deerhunter, John Grant ou Devendra Banhart, par exemple, je mise tout sur l'honnêteté. À mon sens, c'est la clé du processus créatif. À partir du moment où je cherche à établir cette relation avec les autres, il est normal que j'envisage mes propres enregistrements sous cet angle." Épaulée par Samur Khouja, Cate Le Bon fonctionne à la confiance, privilégiant l'aventure et les itinéraires non balisés. "Cet album s'est dessiné à l'instinct", confirme la multi-instrumentiste. "Aucun compromis n'est venu entraver ma démarche. Je ne me suis jamais sentie aussi libre de mes mouvements." Cette liberté d'action est le point fort de "Pompeii". Jamais linéaires ou trop évidentes, les trajectoires empruntées par les chansons de Cate Le Bon sabordent le consensuel avec grâce, un sens aiguisé du détail et une petite dose de théâtralité.

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Un volcan s'éteint, un être s'éveille

Dans l'imaginaire collectif, Pompéi est généralement synonyme de séisme et de chaos. Elle aussi, à deux pas d'un volcan au moment où la planète a basculé dans la confusion, Cate Le Bon revient sur cet épisode : "Je me trouvais en Islande quand les codes couleurs sont apparus sur la carte du monde. Mon compagnon, lui, était aux États-Unis. En panique totale, je l'ai appelé en lui disant que je ne le reverrais sans doute plus jamais... Heureusement, il a trouvé les mots pour m'apaiser. Il m'a dit que cette situation ne changeait rien, que sur cette terre, chaque jour était peut-être le dernier. Même si cette analyse est très catastrophiste, je pense qu'elle est juste. Chaque année, nous consommons les ressources biologiques de la planète à un rythme beaucoup trop soutenu. L'humanité vit au bord du précipice... Pandémie ou inondations, ce qui nous arrive aujourd'hui n'est pas le fruit du hasard ou de la malchance. Ce serait bien d'en prendre conscience."

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OMG !

Sur la pochette du nouvel album, Cate Le Bon se plie au jeu de l'autoportrait. Posture monastique et regard mystique, la chanteuse apparaît dans un costume de religieuse. "Est-ce que je me sens parfois comme une nonne dans mon métier ? Ce n'est pas facile à dire. Toutefois, la notion de dévotion est peut-être un trait commun entre ma carrière et la vie religieuse. Être musicienne, cela me demande des sacrifices. La plupart du temps, je suis loin des personnes que j'aime, loin de ma famille, de mes amis. Je consacre presque tout mon temps à la musique. En ce sens, il y a quelque chose de très monacal dans mon travail. C'est paradoxal, parce que je suis totalement agnostique. Surtout, je déteste les outils mis en place par les brutes et certains systèmes pour justifier la barbarie ou des décisions intolérables au nom de tel ou tel dieu."

Divinité futuriste

Si la peinture accrochée sur la pochette de "Pompeii" représente le visage de Cate Le Bon, l'œuvre immortalise surtout un état d'esprit. "Quand j'ai entamé l’écriture de cet album, mon ami Tim Presley (White Fence) a peint une toile qui représentait une divinité futuriste. J'étais totalement obnubilée par cette icône. Cette figure féminine, aussi belle qu'étrange, me fascinait. Au fil des sessions d'enregistrement, cette peinture est devenue une source d'inspiration. Elle semblait m'indiquer la marche à suivre. Je la considère comme un guide créatif, mais aussi comme un point de repère personnel. À son contact, j'ai lâché prise et accepté toutes les incertitudes de l'existence. Cette toile a donc joué un rôle déterminant dans la mise en œuvre du disque. C'est la raison pour laquelle Tim a accepté d'en délivrer une deuxième version, à mon image cette fois." Un bien bel ouvrage.

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