Ce calcul censé prouver une augmentation des malaises cardiaques mortels dans le foot est trompeur

Les joueurs danois se rassemblent alors que les ambulanciers s’occupent du milieu de terrain Christian Eriksen (pas sur l’image) pendant le match de football du groupe B de l’UEFA EURO 2020 entre le Danemark et la Finlande au stade Parken de Copenhague

© AFP

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Par AFP Factuel / Grégoire Ryckmans

Le nombre de malaises cardiaques mortels sur les terrains de football aurait été multiplié par cinq en 2021 par rapport aux années précédentes, selon des publications abondamment partagées sur les réseaux sociaux depuis le début du mois de novembre. Un phénomène à imputer à la vaccination contre le Covid-19, selon ces dernières. Mais attention, le calcul effectué pour arriver à cette conclusion est trompeur. Contactée le 25 novembre par l’AFP, la commission rattachée à la FIFA qui recense les malaises cardiaques mortels dans le football dit ne pas avoir "repéré de dynamique" en ce sens en 2021, tout comme la fédération allemande de football.

"Le 'Real-Time News' israélien rapporte : […] augmentation de 500%" des arrêts cardiaques mortels "des joueurs de la FIFA en 2021", peut-on lire sur le site Planètes 360. "Depuis décembre, 183 athlètes et entraîneurs professionnels se sont soudainement effondrés ! 108 d’entre eux sont morts !", alerte le blog Sott dans un article mot pour mot identique.


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© Capture d’écran du site Sott réalisée le 23 novembre 2021

Depuis le malaise cardiaque du danois Christian Eriksen en plein match de l’Euro de football en juin dernier - qui n’était pas vacciné au moment des faits -, des opposants à la vaccination contre le Covid-19 imputent régulièrement les troubles cardiaques de sportifs aux injections.

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C’est précisément le cas de l’article du site israélien RTnews, sur lequel se basent les publications qui circulent sur les réseaux sociaux, qui égrène en introduction les noms de sportifs qui se sont opposés à la vaccination, comme celui du basketteur américain Kyrie Iriving.

D’où vient ce chiffre ?

Yaffa Shir-Raz, l’auteur de l’article – qui se présente comme une journaliste spécialisée dans le domaine de la santé -, a expliqué son calcul dans une publication en anglais sur Twitter partagée plus de 2200 fois depuis le 15 novembre.

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Elle a compilé une liste de 108 publications, en différentes langues, faisant état de la mort soudaine d’un sportif en 2021. L’AFP n’a pas vérifié ces 108 cas. Ils proviennent parfois de blogs ou de médias inconnus en différentes langues ou encore de tweets non sourcés.

Sur une trentaine de liens parcourus au hasard par l’AFP, le statut vaccinal de l’athlète n’est pas précisé ou le lien de causalité entre le décès et le vaccin n’a pas été établi.

Parmi ces articles, l’auteur affirme avoir recensé 21 joueurs de football décédés d’un arrêt cardiaque mortel. Elle souhaite ensuite comparer ce chiffre avec les années précédentes pour pouvoir définir une tendance. "Pour savoir combien de morts se sont réellement produites au cours des deux dernières décennies parmi les joueurs de la FIFA (2001-2020), nous avons utilisé Wikipedia", détaille-t-elle redirigeant vers cette "Liste des footballeurs morts sur le terrain" de l’encyclopédie en ligne collaborative.

"Selon Wikipédia, entre 2001 et 2020, il y avait en moyenne 4,2 décès par an attribués [à des malaises cardiaques mortels]. En revanche, en 2021, selon notre liste, il y a eu 21 cas parmi les joueurs de la FIFA", a-t-elle expliqué. Autrement dit, il y aurait eu "environ 5 fois plus" de décès de ce type en 2021 que les années précédentes, conclut-elle.

© Capture d’écran réalisée sur Twitter le 26 novembre 2021 (François D’ASTIER)

"Il s’agit d’un biais cognitif qui ne se base sur rien", a commenté le 26 novembre pour l’AFP Jean-Marie Vailloud, cardiologue dans une clinique de réadaptation à Marseille.

Utiliser des publications en ligne très différentes les unes des autres pour construire son échantillon de base "et prendre ensuite une liste Wikipedia pour comparer et en tirer des tendances, cela va à l’encontre de la pratique scientifique", a-t-il estimé.


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"Cela n’a rien d’une approche scientifique", a abondé le 29 novembre auprès de l’AFP le professeur Xavier Jouven, cardiologue à l’hôpital européen Georges Pompidou à Paris, épidémiologiste et chercheur au sein du Paris Centre de Recherche Cardiovasculaire (PARCC).

"En recherchant activement des articles de presse à ce sujet, on tombera tous les ans sur des cas de mort subite chez le sportif", a-t-il commenté. Mais "le sujet peut faire l’objet d’une médiatisation différente d’une année sur l’autre", ce n’est donc pas suffisant pour obtenir des statistiques fiables, selon lui.

"Aucune dynamique" particulière

Pour obtenir des éclaircissements sur ces rumeurs récurrentes d’augmentation soudaine des malaises cardiaques dans le football, l’AFP s’est adressée en octobre à la commission en charge du "registre sur les morts subites d’origine cardiaque" dans le football, rattaché à la Fédération internationale de football (FIFA).

Il s’agit d’un groupe de travail de l’Université de Sarrebruck (Allemagne), dirigé par le Dr Florian Egger, qui avait recensé "617 cas de morts subites" entre 2014 et 2018, soit plus d’une centaine par an, selon cette étude publiée dans le BMJ - et non 4,2 comme l’affirme l’auteur de l’article en question -.

S’exprimant dans le cadre d’un précédent article de vérification en allemand sur une liste de 30 faits divers rapportant des malaises cardiaques de sportifs en 2021, Florian Egger avait expliqué à l’AFP qu’il n’y a "pas plus de décès parmi les footballeurs qu’avant la pandémie" de Covid-19.

Les chiffres officiels de morts subites d’origine cardiaque sur les terrains de football pour l’année 2021 sont encore en cours d’analyse, a-t-il expliqué dans un mail à l’AFP le 25 novembre. Mais "nous ne voyons aucune dynamique" particulière par rapport aux années précédentes, a-t-il dit.

Un constat partagé par le docteur Tim Meyer, président de la commission médicale de la Fédération allemande de football (DFB) et médecin de l’équipe nationale allemande, contacté par l’AFP le 19 octobre. "De mon point de vue, l’affirmation selon laquelle les décès dans le sport ou dans le football en particulier ont augmenté après l’introduction de la vaccination contre le Covid-19 n’a aucun fondement". Contactée par l’AFP le 25 novembre, la Fédération française de football (FFF) n’a pas souhaité faire de commentaire à ce sujet.

Problèmes cardiaques dans le sport

Depuis plusieurs années, le PARCC recense toutes les interventions pour arrêts cardiaques des pompiers et du Samu à Paris et en petite couronne, y compris lors d’une activité sportive – pas uniquement le football —. Selon ce registre, "il n’y a pas d’augmentation du nombre d’arrêts cardiaques lors d’une activité sportive en 2021 par rapport aux années précédentes sur la zone", qui recouvre environ 7.000.000 d’habitants, a détaillé M. Jouven.

Les cas de morts subites dans le sport ne datent pas de l’apparition du Covid-19 et du vaccin. Ces dernières années, plusieurs cas de malaises mortels de joueurs sur les terrains ont secoué le monde du football, comme ceux du Camerounais Marc-Vivien Foé en 2003 ou de l’Espagnol Antonio Puerta en 2007.

Le phénomène touche environ 1000 Français par an, sportifs professionnels ou amateurs. Une centaine a moins de 35 ans, principalement des hommes. A ce stade, cela reste des occurrences "rares", selon plusieurs experts.


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"Il y a toujours eu des décès dans le sport, mais ils étaient et restent très rares", a expliqué Tim Meyer. Selon lui, les athlètes sont en moyenne en meilleure santé que les autres, mais "malheureusement, il existe aussi des maladies cardiaques que l’on ne remarque pas" et qui peuvent déclencher ces problèmes soudains.

"Le risque chez les personnes sédentaires est beaucoup plus élevé que chez ceux qui font du sport", note Xavier Jouven, qui ajoute "qu’une activité sportive régulière" renforce face aux maladies cardiovasculaires.

"D’un point de vue cardiovasculaire, il y a un bénéfice énorme à pratiquer une activité physique. Mais il peut effectivement exister un surrisque chez des gens qui pratiquent à haute intensité et qui ont des pathologies cardiovasculaires avérées ou silencieuses (dont la personne n’a pas connaissance, ndlr)", a détaillé Jean-Marie Vailloud. Le cardiologue insiste donc sur la nécessité d’obtenir un certificat médical auprès d’un professionnel de santé dans le cadre de la pratique d’un sport intensif en compétition.

Effets secondaires des vaccins

Depuis le début de la vaccination contre le Covid-19 des plus de douze ans aux Etats-Unis, en France et en Belgique, plusieurs cas de myocardites (une inflammation cardiaque) chez des adolescents vaccinés ont été notifiés aux agences de pharmacovigilance. Ces myocardites touchaient principalement des jeunes hommes, après réception de la deuxième dose.

En juin, des experts américains se sont réunis afin d’étudier 323 cas d’inflammations au niveau du cœur déclenchées chez des adolescents après l’injection de Pfizer/BioNtech et Moderna. Ils ont conclu qu’il existait un lien "probable" entre ces vaccins et les rares cas de myocardites, mais qu’il s’agissait, pour la plupart, de cas "légers, les individus guérissant souvent d’eux-mêmes ou avec un traitement minime".

Dans un communiqué publié début août, les CDC américains rapportent la décision des experts : "Le 23 juin 2021, le Comité consultatif sur les pratiques d’immunisation (ACIP) des CDC a examiné les données disponibles et a conclu que les avantages de la vaccination contre le Covid-19 pour les personnes individuelles et la population l’emportent sur les risques de myocardite et a recommandé de poursuivre l’utilisation du vaccin chez les personnes âgées de plus de 12 ans". Ces effets indésirables continuent cependant d’être surveillés par les agences de pharmacovigilance en France comme à l’étranger.

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