Spécialiste des forêts africaines, Cédric Vermeulen défend la gestion de la foresterie participative, basée sur une gestion des forêts raisonnée, qui implique les communautés locales. Il évoque ce qui l'inquiète et ce qui progresse.
Cédric Vermeulen est professeur à l'ULiège, Faculté de Gembloux. Il nous emmène au coeur de la forêt communautaire, au Congo, au Gabon, là où son enfance puis ses projets l'ont conduit. Il fait le pari, un peu paradoxal, de protéger, de faire cohabiter deux domaines : la préservation des aires forestières et les populations locales.
Motivé au départ par la conservation de la nature et de la grande faune (éléphants, antilopes...), il s'est très rapidement rendu compte que le problème était, plus que de gérer les animaux, de gérer la périphérie des aires protégées.
Un équilibre à trouver
Au nord de la République Centrafricaine par exemple, à côté des splendeurs de la nature, des personnes ont été exclues des espaces qui leur appartenaient traditionnellement. Elles sont maintenues dans des couloirs beaucoup trop étroits pour leurs activités traditionnelles : la pêche, l'agriculture, la cueillette...
De là est née cette question : comment, d'un côté, respecter les droits des populations locales et comment, d'un autre côté, préserver la grand faune tropicale, dans un siècle qui va être caractérisé par une explosion démographique massive ? De plus en plus d'humains partout, de moins en moins de place pour les 'non-parlants', les non-humains, de moins en moins d'aires protégées...
C'est cet enjeu des populations en périphérie qui occupe maintenant ce conservationniste. Pour éviter par exemple que les gens ne se monétarisent avec la viande de brousse et parce qu'il faut protéger la grande faune, il faut leur trouver des alternatives : apiculture, sciage de bois artisanal, aviculture, pisciculture, collecte de fruits, racines, écorces à commercialiser...
Respecter les pratiques sociales
"Mais il ne faut jamais céder à la tentation de venir imposer des recettes toutes faites, amenées de l'extérieur. Il faut se rendre compte que les populations locales ont un système de production, un ensemble de techniques et de pratiques mises en oeuvre depuis des siècles, avec une agriculture itinérante très adaptée au milieu, des pratiques de collecte, de pêche et de chasse qui leur sont propres. Ces systèmes de production sont adaptés à de faibles densités de population, à un système non-marchand. Si on veut amener une innovation, il faut s'assurer qu'elle corresponde aux pratiques sociales."
Nous, Européens, avons tendance à raisonner en termes de productivité de la terre, nous voulons toujours augmenter la production à l'hectare, explique Cédric Vermeulen, mais la plupart des peuples d'Afrique centrale raisonnent en termes de productivité du temps de travail. Si je consacre une heure à quelque chose, qu'est-ce que ça me ramène ? La plupart des innovations que nous amenons augmentent le rendement, la productivité de la terre ou des animaux, mais sont mauvaises en termes de productivité du temps de travail : il faut travailler beaucoup plus pour obtenir quelque chose.
Leur système fonctionne très bien, mais est en train de s'enrayer pour des raisons extérieures : trop grande démographie et monétarisation qui provoquent l'épuisement des animaux de brousse. L'enjeu est là : comment créer des alternatives ? Donner des formations professionnalisantes, valoriser l'artisanat déjà existant, développer des filières alternatives, comme le travail du bois... ?
Il n'est pas question d'interdire aux gens sur place de manger de la viande de brousse, qui est leur première source de protéines, il faut juste la limiter à leur auto-consommation et ne pas l'utiliser pour se monétariser.
L'importance du droit coutumier
La première chose à faire par rapport à une aire protégée, c'est d'identifier comment les gens occupent l'espace : l'endroit où ils vont chasser, pêcher, faire leurs champs vivriers, leur cacao, leur café, collecter les champignons... Une fois cette cartographie participative effectuée, de ces endroits appropriés sortent des droits, des règles, des pratiques, en fonction des lignages et des règles d'appropriation déjà existantes.
Tout ce droit coutumier est reconnu par les législations nationales mais il est limité au droit de se nourrir et de satisfaire ses propres besoins. Il n'est pas étendu au droit de commercialiser, au risque de tomber dans l'illégalité.
Grand braconnage et corruption
Cette viande de brousse est destinée aux élites des villes, via des intermédiaires qui prennent le maximum de marge. Le système est très organisé, mais il est injuste pour les villageois qui épuisent leur milieu sans en tirer le bénéfice. Et ce commerce de vaste ampleur est souvent mafieux.
Il ne faut pas oublier que les peuples autochtones sont souvent aussi, pour des raisons financières, à la tête du grand braconnage lourdement armé, car c'est là que se recrutent les grands chasseurs.
"Il faut qu'à la fois, on puisse reconnaître les droits aux peuples autochtones à exister, à mener leur mode de vie sur de vastes espaces, y compris les aires protégées. Mais en même temps, on doit pouvoir reconnaître que les aires protégées ne représentent que 6 à 8% du territoire et qu'il faudra des restrictions si on veut maintenir la grande faune, la biodiversité à long terme", affirme Cédric Vermeulen.
Cédric Vermeulen explique bien d'autres choses encore sur la forêt participative.
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