Belgique

"C’est intenable, on envisage de fermer certains services", l’aide aux sans-abri est en difficulté

L'invitée: Ariane Dierickx, directrice de l'Îlot

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Par Anne Poncelet, sur base d'une interview de Thomas Gadisseux

Il suffit de se balader dans une grande ville du pays, à Bruxelles, Anvers, Liège, Charleroi, pour s’en rendre compte : jamais il n’y a eu autant de personnes dans la rue. Les associations qui viennent en aide aux sans-abri sont submergées et sous pression. Les dons ont baissé (ils représentent 25 à 30% des moyens), les factures d’énergie dans les centres d’hébergement explosent.

Le cumul des crises

L’état des lieux est sans appel : le nombre de personne sans domicile, sans logement n’a jamais été aussi élevé en Belgique. "Malheureusement, c’est notre constat, confirme Ariane Dierickx, directrice de l’asbl L’Îlot’, une association active qui vient en aide aux sans-abri depuis 60 ans en région bruxelloise. "C’est une augmentation croissante que l’on observe dans notre secteur depuis plusieurs années. Le cumul de crises fait que de nouveaux publics arrivent constamment : la crise énergétique maintenant mais avant la crise du logement, la crise économique, la crise migratoire …"

Plus de familles, de femmes, de jeunes

Le public qui dort dans la rue a aussi changé. Il est plus diversifié et on est loin aujourd’hui de l’image de l’homme seul de cinquante ans, sans logement. "Aujourd’hui, ce sont des familles, parfois entières, avec des enfants, ce sont de plus en plus de femmes, de jeunes en errance et en rupture familiale, précise Ariane Dierickx, des jeunes qui se retrouvent, en sortie d’institution, sans solution de logement ou d’accompagnement social. Ce sont des publics diversifiés, et c’est très inquiétant parce que ce sont des publics qui demandent des accompagnements spécifiques." Et le secteur de l’aide ne parvient plus aujourd’hui à faire face à ces demandes.

Le secteur est lui aussi en crise

Plus de demandes d’accueil, des accompagnements plus spécifiques mais aussi un fonctionnement de plus en plus compliqué : le secteur d’accompagnement des sans-abri est lui aussi sous pression. "Nous sommes nous aussi impactés par les crises, constate la directrice de l’asbl L’îlot’, il y a une explosion des coûts dans nos structures, comme partout ailleurs en Belgique.

C’est intenable, on envisage de fermer certains services.

On a une douzaine centres aujourd’hui, à Bruxelles et à Charleroi. Impossible de faire l'impasse sur le chauffage ou les douches dans un centre d’accueil. "Ce sont des services de première nécessité, on ne peut pas s’en passer, alors que des gens ont passé la nuit dehors dans le froid. Nous sommes le seul endroit où les gens ont accès à ce type de service.

Les factures se chiffrent par centaines de milliers d’euros. C’est intenable pour nos structures, on est tellement en difficulté qu’on envisage la fermeture de certains services, ce qui serait dramatique pour les personnes qu’on accompagne."

Pas de tarif social énergétique pour ces associations

Il faut préciser que ces services d’accompagnement ne bénéficient pas du tarif social. Ils sont considérés comme personne morale et n’y ont donc pas droit. Cela fait des mois que le secteur demande à pouvoir en bénéficier.

Et ce constat exaspère clairement Ariane Dierickx : "ça paraît fou de se dire que les secteurs comme le nôtre, qui accompagne des personnes qui, si elles étaient en logement, bénéficieraient du tarif social, ne bénéficient pas eux-mêmes de cela.

Et aujourd’hui, cela pose problème (ndlr : avec les crises actuelles). Qu’est ce qui bloque ? On ne s’adresse visiblement pas au bon niveau de compétence. Au niveau fédéral, la ministre nous dit que ce n’est pas de son ressort et renvoie vers le régional, c’est le micmac institutionnel belge et c’est juste insupportable. A un certain moment, il faut que les politiques prennent leurs responsabilités, peu importe le niveau de pouvoir, nous devons pouvoir résoudre cela."

Un personnel qui se sent impuissant

Autre difficulté du secteur : la pression qui pèse sur le personnel, lui aussi fragilisé. C’est un secteur difficile. "Il faut se rendre ce que c’est d’accompagner les personnes qui sont dans des situations de très grande misère. Les salaires ne sont pas énormes et les travailleurs sont aussi impactés par la crise économique et sont parfois sur le fil. On a connu des difficultés dans nos propres rangs. Ces travailleurs sont aujourd’hui dans un sentiment d’impuissance face à des situations qu’on ne parvient plus à résoudre".

Il manque aujourd’hui des portes de sorties : Il y a moins de logements disponibles (la crise immobilière, la crise migratoire). On voit des personnes qui tournent d’un service à un autre parce qu’on ne parvient plus à leur proposer des solutions durables."

Des mesures pour favoriser l’aide au logement

Ariane Dierickx réclame des mesures en matière de logement. L’association L’Ilot, comme d’autres, outre l’aide d’urgence, mettent aussi en place des parcours de réinsertion, qui passent par l’obtention d’un logement. Or, des logements, il n’y en a plus. "Il faut s’attaquer aux marchands de sommeil, il faut plus de logements à vocation sociale, il faut aussi avancer sur la question des cohabitants, c’est une revendication forte."

On est un peu le réceptacle de tous les dysfonctionnements et des manques de financement des autres secteurs.

"On est un peu le réceptacle de tous les dysfonctionnements et des manques de financement des autres secteurs. Et donc, si une femme victime de violences conjugales arrive chez nous, c’est parce qu’elle n’a pas trouvé de solution dans une maison d’accueil. Si des jeunes en errance arrivent chez nous, c’est parce qu’ils se sont retrouvés à 18 ans à la sortie de l’institution sans solution d’accompagnement et de logement. C’est parce que, à la sortie d’une prison, quelqu’un n’a pas été accompagné pour sa réinsertion et se retrouve là aussi sans solution de logement.

Des femmes invisibles dans les statistiques

Une bonne nouvelle, tout de même, dans cet horizon très morose : l’ouverture à Bruxelles d’un centre de jour pour femmes, prévue en mai prochain. Ce sera une première en Belgique.

"Des centres d’hébergement pour femmes, il y en a. Par contre, des centres d’accueil de jour de première ligne qui accueillent les personnes qui sont en rue, il n’y en a en effet nulle part en Belgique pour les femmesOn pense qu’il y a beaucoup moins de femmes sans-abri que d’hommes. En tout cas, c’est ce que disent les chiffres, mais la réalité est qu’elles se cachent. Les chiffres de la précarité disent bien qu’il y a plus de précarité au féminin qu’au masculin, donc il n’y a pas de raison qu’en bout de chaîne, tout d’un coup, il y ait moins de femmes. Elles se cachent parce qu’elles veulent éviter la rue à tout prix, elles savent que c’est dangereux pour elles, et donc elles sont dans des solutions de débrouille.

Notre centre a pour vocation de pouvoir accueillir ces femmes dans les meilleures conditions possible, de leur adresser une intervention, une aide sociale qui soit la plus spécifique et qui réponde à leurs besoins, et je pense que c’est essentiel."

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