Justice

C’est quoi une "cellule de dégrisement" ? Quels sont les standards ? Et comment se passe un séjour au cachot ?

© David Quinaux

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Par Anthony Roberfroid

À l'abri des regards, à l'arrière des commissariats de police, les choses s'agitent parfois. Que ce soit de nuit ou de jour, les arrestations pour état d'ivresse ou trouble à l'ordre public remplissent les cellules de dégrisements. 

Reste qu’une cellule de dégrisement est, pour de nombreuses personnes, un lieu méconnu ou inconnu. Focus dans notre article sur les cellules présentes dans nos commissariats et hôtels de police.

Malgré nos demandes d’immersion et d’interviews, la Police fédérale ainsi que la police de Liège n’ont pas souhaité répondre positivement à nos sollicitations, au vu de "l’actualité récente" nous dit-on. Une référence notamment à la mort suspecte de Sourour A., 46 ans, dans une cellule de dégrisement à Bruxelles et qui a créé un profond émoi.

Décès au commissariat : enquête confiée au comité P

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Les réponses à nos questions, nous les trouverons tout de même du côté de Charleroi, auprès de David Quinaux, 1er inspecteur principal et porte-parole de la zone de police.

Une cellule de dégrisement, qu’est-ce que c’est ?

Bien que le terme "cellule de dégrisement" soit entré dans le jargon populaire, ce type de cellule n’existe pas dans la législation belge.

Une "cellule de dégrisement" est tout simplement une cellule classique, au même titre que les autres.

Plusieurs types de cellules sont cependant référencés :

  • La "cellule de police" : une infrastructure destinée à la détention d’une personne pour une durée maximale d’en principe 24 heures
  • La "cellule d’attente" : une l’infrastructure destinée à la détention d’une personne pour une durée maximale de 3 heures
  • La "cellule mobile" : une infrastructure mobile destinée à la détention d’une ou de plusieurs personnes
  • La "cellule collective" : une infrastructure destinée à la détention de plusieurs personnes
  • Le "local de surveillance" : une infrastructure spécialement aménagée pour la surveillance d’un ou de plusieurs mineurs

Comme le prévoit l’arrêté-loi du 14 novembre 1939 relatif à la répression de l’ivresse : "Si le délinquant, trouvé en état d’ivresse dans un lieu public, occasionne du désordre, du scandale ou du danger pour autrui ou pour lui-même, il est écroué pendant deux heures au moins et douze heures au plus au dépôt communal ou dans la chambre de sûreté de la gendarmerie. Si son état le requiert, il reçoit les soins médicaux nécessaires."

Dans le cadre d’un "dégrisement", une personne arrêtée en état d’ivresse passera donc entre 2 heures et 12 heures en cellule. De ce fait, la "cellule de police" classique sera le plus souvent privilégiée.

Le placement en cellule n’est pas seulement destiné aux personnes en état d’ivresse. Toute arrestation administrative, comme un trouble à l’ordre public par exemple, ou judiciaire peut amener une personne à passer un séjour dans les geôles d’un commissariat.

Des normes techniques strictes

L’aménagement des "lieux de détentioncités plus haut est inscrit dans l’arrêté royal du 14 septembre 2007 relatif aux normes minimales, à l’implantation et à l’usage des lieux de détention utilisés par les services de police.

En clair, une "cellule de police" doit répond à des normes techniques strictes.

Pour se donner une idée, voici les principales caractéristiques.

Une "cellule de police:

  • une superficie au sol d’au moins 4,5 m² ;
  • doit avoir partout une hauteur libre d’au moins 2,5 m ;
  • est équipée d’un lit solidement fixé de 200 cm sur 90 cm afin de permettre de séjourner dans des conditions dignes avec au moins une couverture, un matelas et un gobelet ;
  • contient une toilette ;
  • doit avoir un niveau d’éclairage permettant d’assurer la surveillance permanente, électronique ou non, ainsi que la lecture et l’écriture ;
  • doit avoir un chauffage qui garantisse une température minimale de 18 °C pendant l’utilisation du lieu de détention ;
  • est conçue de manière à rendre difficiles les blessures, l’automutilation et le suicide.
Normes techniques d’une "cellule de police"
Normes techniques d’une "cellule de police" © Bertrand Massart

Fouilles avant mise en cellule

Lors d’une arrestation, la personne arrêtée a le droit d’être informée des raisons de son arrestation et ce, dans une langue qu’elle comprend. La durée maximale de son arrestation, la procédure de mise en cellule et les recours possibles à cette mesure de contrainte doivent également être signifiés.

Elle a également le droit de demander une assistance médicale et à la possibilité d’informer un tiers de son arrestation.

Avant toute mise en cellule, la personne arrêtée doit remettre ses effets personnels (téléphones, portefeuille, etc.) et subir une fouille.

Comme le prévoit l’article 23 § 3 de la loi de 1992 sur la fonction de la police, "cette fouille a pour but de s’assurer que la personne n’est pas en possession d’objets ou de substances dangereux pour elle-même ou pour autrui ou encore de nature à favoriser une évasion et ne peut durer plus longtemps que le temps nécessaire à cette fin. Elle est exécutée par un fonctionnaire de police ou par une autre personne du même sexe que la personne fouillée, conformément aux instructions et sous la responsabilité, suivant les cas, d’un officier de police administrative ou judiciaire."

"La loi est restée très large", nous explique David Quinaux, 1er inspecteur principal et porte-parole de la zone de police de Charleroi. "Cependant, dans l’application de cette loi, il faut faire attention parce qu’il y a une question de pudeur. Il y a aussi le principe du traitement dégradant contenu dans les droits de l’homme, il faut être attentif à ce genre de chose", révèle-t-il.

La question de la profondeur de la fouille dépend notamment de la nature de l’arrestation précise le policier : "On ne va pas avoir la même fouille pour quelqu’un qui est soupçonné de détenir ou de vendre des stupéfiants de façon illégale que pour une personne arrêtée pour ivresse. C’est toujours du cas par cas", détaille David Quinaux. Un exercice difficile, même lors de grand procès comme celui des attentats de Bruxelles.

Ceinture, lacets mais aussi… soutien-gorge interdits

Pour les ivresses cependant, la fouille est souvent basique : les affaires personnelles, comme les clefs, téléphone, portefeuille, sont retirées aux personnes mises en cellules. Viennent ensuite la ceinture, les lacets des chaussures mais aussi… le soutien-gorge pour les femmes afin d’éviter toute possibilité de se porter danger à soi-même ou de s’auto-étrangler.

"Cela reste un exercice difficile" révèle le porte-parole : "On ne laisse jamais de soutien-gorge aux femmes dans les cellules parce qu’il y a un trop grand risque, mais il faut que l’on puisse leur permettre de se couvrir lorsqu’elles l’enlèvent. Il faut aussi qu’elles soient couvertes lors de leur séjour en cellule".

Sur ce sujet, la possibilité de garder certains vêtements peut se poser : "Si la personne n’a pas émis d’intentions suicidaires ou qu’elle n’est pas connue pour ce genre de faits, il n’y a pas de raison d’aller trop loin. Dans le cas contraire, faut-il aller jusqu’à lui retirer sa chemise avec laquelle elle pourrait se pendre ? C’est compliqué car c’est une question de pudeur."

Tout pour éviter une pendaison ?

La pendaison en cellule, c’est l’une des craintes principales de David Quinaux. Les cellules sont conçues afin de limiter ce risque au maximum signale le policier. Mais le risque zéro n’existe pas, notamment dans les anciennes cellules, moins modernes.

Cela était notamment le cas dans les cellules de l’ancien Commissariat de la Police Communale de Charleroi : "Les matériaux étaient tellement usés qu’il y avait des interstices entre le parlophone et le mur par exemple, ce qui fait qu’il était possible d’y trouver un point d’appui", nous détaille le 1er inspecteur principal.

Dans les cellules de dernière génération, de nouvelles normes permettent de limiter davantage les risques nous dit-on : "Dans notre nouvel hôtel de police où nous sommes depuis 2014, on est aux dernières normes avec notamment des parlophones qui sont insérés dans des coffrets biseautés dans le béton. Il n’y a plus de possibilité matérielle de trouver un point d’appui pour se pendre. Depuis, nous n’avons plus eu de décès", indique David Quinaux.

D’autres dangers

Les actes désespérés, même rares, restent la préoccupation principale pour la police explique le porte-parole.

Mais d’autres dangers existent aussi concernant la santé et la vie des personnes en cellule de dégrisement : "la pendaison, l’overdose et le coma éthylique sont les trois principales causes de décès", prévient le policier. "Pour ce dernier point, c’est souvent la même chose. La personne est sur le dos, vomit et s’étrangle"

Surveillée en tout temps ?

La question de la surveillance se pose donc : n’est-il pas possible d’intervenir lorsqu’une personne s’étouffe ou tente de se suicider ?

Dans les faits, oui. Encore faut-il que les policiers s’en rendent compte.

La surveillance des détenus dans les cellules de police peut être différente d’un commissariat à un autre. Certains commissariats procèdent à une surveillance par caméra, monitorée par un agent en continu. D’autres ne réalisent que des surveillances visuelles et lors de rondes.

"Ça dépend des zones de police, de leur budget et de leurs possibilités", révèle David Quinaux. "Dans le nouvel hôtel de ville de Charleroi, on a une caméra sécurisée dans chaque cellule et on a du personnel en permanence derrière les écrans de surveillance qui vont intervenir. Mais chaque zone de police a son type de cellule et sa façon de procéder, qui peut être différente d’une cellule à l’autre, d’une zone de police à l’autre".

Au vu de la conception des nouvelles cellules et de la surveillance, la zone de police de Charleroi n’a connu aucun décès dans ses cellules depuis le nouvel hôtel de ville, alors que l’on y comptait en moyenne un décès par an, nous est-il indiqué.

Reste que même sous surveillance vidéo, certains détenus perdent la vie.

L’affaire Sourour en est un nouvel exemple, mais des précédents existent, notamment dans le même commissariat où la travailleuse du milieu associatif est décédée.

En janvier 2021, Ilyes Abbedou, un sans-papiers algérien, décède dans une cellule de la rue Royale. Surveillé par caméra, et alors que du sang sortant de sa bouche et de son nez était visible sur les images, la police constate le décès cinq heures plus tard. "Un oubli" selon des sources internes à la police comme le relaient nos confrères du Soir, qui révèlent que la surveillance n’est pas des plus assidue dans ce commissariat.

Et la sortie ?

La durée d’une arrestation administrative en cellule ne peut durer plus que le temps nécessaire.

La sortie de cellule se fait dès lors, sur avis du policier, lorsque la personne enfermée a retrouvé un état normal : "Une fois que la personne aura repris ses esprits, on va la faire sortir", annonce le porte-parole.

Ce dernier note néanmoins un paradoxe d’une arrestation peu de temps après la consommation d’alcool : "Perdre des degrés d’alcool, ça prend du temps".

Reste que dans le cadre d’un état d’ébriété, le retour à la liberté n’est pas restreint à un taux d’alcool en dessous de la limite légale : "Nous n’avons pas prévu de faire souffler pour mesurer le taux d’alcool dans le sang, ce n’est pas prévu par la loi. Donc c’est une fois que la personne a repris ses esprits, qu’elle ne représente plus un danger pour elle-même ou pour autrui que nous pouvons la relâcher".

Le temps de détention, situé entre 2 heures et 12 heures, est donc déterminé en fonction de l’appréciation de l’agent de police.

Il n’existe pas d’organe de surveillance indépendant pour les cellules

Les bases théoriques des cellules sont simples, mais vérifier de manière indépendante le bon fonctionnement et la bonne tenue des procédures en matière de privation de liberté est difficile.

Contrairement au milieu carcéral, où le CCSP, le Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire, veille à garantir les droits et la dignité humaine des personnes détenues dans nos prisons, il n’existe pas d’organe belge indépendant pour la surveillance d’autres lieux de détention. C’est notamment le cas pour les établissements des forces de l’ordre (cellules de commissariats, fourgons, etc.).

Le 24 octobre 2005, notre pays a signé le Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT). Ce texte vise à instaurer une coopération avec les Nations Unies et la création d’un "Mécanisme National de Prévention", qui permettra d’encadrer les lieux de détention avec des visites régulières réalisées par des organismes indépendants.

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Mais 18 ans plus tard, la Belgique n’a toujours pas ratifié ce texte, principalement pour des raisons institutionnelles et de niveaux de pouvoirs.

Dès lors, il n’existe toujours pas d’organe indépendant pour contrôler ce qu’il se passe au sein de ces lieux de détention. Du fait de cette zone d’ombre, il est difficile de trouver des experts spécialisés sur le sujet.

Des contrôles internes

Malgré le manque de contrôles externes indépendants, le comité P, le comité de contrôle des services de police réalises ses propres enquêtes.

Cependant, "Le comité P – le comité de contrôle des services de police – a la compétence d’enquêter sur les cellules mais dans les faits, cela est rare", explique Manuel Lambert, conseiller juridique à la Ligue des Droits Humains (LDH). Selon lui, le comité P "fait des enquêtes de contrôle périodiques. Mais ces contrôles ne sont pas suffisants et ne répondent pas aux obligations internationales", ajoute-t-il.

"Lorsqu’un organe indépendant réalise des contrôles permanents et une surveillance continue, comme cela est fait dans les prisons par les commissions de surveillance, on voit que les problèmes sont signalés et que des choses sont mises en place pour les régler", signale de son côté Olivia Nederlandt, professeur de droit pénal à l’Université Saint-Louis.

"Pour les cellules dans les complexes policiers, ce n’est pas le cas et cela peut expliquer que de nombreux problèmes persistent. C’est révélateur d’un besoin de législation, de recherche et de contrôle", indique l’experte.

Plusieurs associations ont dès lors appelé l’État belge à ratifier au plus vite l’OPCAT dans une carte blanche publié par nos confrères de La Libre.

Rares observations de l’Europe

Le Conseil de l’Europe recommande depuis de nombreuses années à la Belgique de mettre en place ce mécanisme national de prévention avec la création d’organes de surveillance indépendants, sans succès jusqu’ici.

Le Comité européen pour la Prévention de la Torture (CPT) a néanmoins pu avoir accès à des cellules de police lors des visites périodiques en 1993, en 1997, en 2001, en 2005, en 2009, en 2013 et en 2017.

Lors de sa précédente visite, le CPT a inspecté plusieurs cellules dans cinq établissements de police et interrogé plusieurs personnes qui ont été privées de liberté dans ces lieux de détention.

Dans la majorité des cas, "les personnes détenues ont estimé avoir été traitées de manière correcte par les membres des services de la police", indique le CPT dans son dernier rapport.

Néanmoins, d’après certains témoignages, plusieurs débordements ont été constatés. Certains détenus ont affirmé avoir fait face à un usage excessif de la force par la police, notamment après leur arrestation ou dans les cellules. Des "gifles", "coups de poing" ou encore des "coups de pied" auraient été administrés aux détenus alors que, selon ces derniers, "ils étaient déjà maîtrisés ou s’étaient montrés coopératifs", détaille le rapport.

Un exemple de ce type de faits a notamment été dévoilé par le Soir ce week-end. Dans une vidéo de caméra de surveillance que le journal a pu se procurer, on y voit un homme "à la peau brune et au nom d’origine arabe" être bousculé et frappé lors d’une arrestation en février 2018 dans le commissariat de la rue Royale à Bruxelles. Un recours à la force qui a été considéré comme disproportionné par le tribunal correctionnel de Bruxelles car l’individu était non agressif.

De nombreux problèmes étaient encore constatés en 2017

Dans son dernier rapport datant de 2017, le CPT constatait encore des mauvais traitements auprès des personnes privées de liberté.

Outre les coups reçus par certains détenus, le CPT a récolté des témoignages de violences excessives. Parmi celles-ci : l’utilisation de techniques d’immobilisations à haut risque (pression de genoux sur la nuque, clé d’étranglement prolongée, …), des menottages excessivement serrés ou encore des insultes à connotation raciste.

Du côté des procédures qui reviennent de droit aux personnes arrêtées, certains détenus se sont plaints de "ne pas avoir eu accès à un médecin malgré leurs demandes répétées et – dans quelques cas – en dépit des blessures occasionnées au moment ou peu après l’arrestation", détaille le CPT.

Enfin, plusieurs insuffisances ont été constatées dans les cinq établissements de police visités par le CPT. Des cellules étaient notamment trop petites, mal éclairées, mal aérées, sales ou en mauvais états.

L’accès aux sanitaires et à de l’eau potable n’était pas toujours possible aisément pour les détenus, notamment dans les cellules plus anciennes. Le CPT a recueilli des plaintes concernant des délais d’attentes considérablement longs (jusqu’à plusieurs heures) pour avoir accès à des sanitaires ou un verre d’eau.

Un recours à la privation de liberté trop systématique ?

En raison de tous ces éléments, la Ligue des Droits Humains s’interroge : le recours à la privation de liberté est-il toujours nécessaire ?

"On sait que la Belgique a un très fort taux de détention préventive au niveau européen. C’est un des pays qui incarcère le plus en détention préventive et c’est problématique. N’y a-t-il pas d’autres moyens de gérer une série de problématiques sociales, comme par exemple l’état d’ébriété ou les maladies mentales, que par l’enfermement ? Le meilleur moyen de lutter contre les abus ne serait-il pas de priver de liberté moins de personnes ?", se questionne Manuel Lambert.

Dans les faits, la Ligue des Droits Humains constate que les arrestations sont parfois disproportionnées :"La loi précise que la privation à la liberté doit être le dernier recours mais dans les faits, on constate que ce n’est pas le cas. Nous pensons que l’on a trop tendance à priver les gens de liberté dans notre pays et que d’autres solutions devraient être envisagées."

Pour la LDH, il est urgent d’instaurer un meilleur contrôle avec la création d’un organisme indépendant mais aussi d’écouter et traiter efficacement les plaintes des victimes de violences policières : "Il serait nécessaire d’avoir un organe qui soit suffisamment fort pour recueillir ces plaintes, et suffisamment dissuasif pour forcer les services de police à se remettre en cause et à améliorer les choses", conclut le juriste.

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