L'Histoire continue

C’était arrivé près de chez vous, l’histoire d’un scandale

Cannes, le 7 mai 1992. La Méditerranée vient doucement mourir sur la plage de la Croisette. Les boutiques de luxe, les palaces, les palmiers, le palais des festivals. Un décor immuable, carte postale mythique. Toute la ville vit au rythme de la 45e édition du festival international du film, mélange sans cesse renouvelé d’art et de spectacle, d’argent et de talent, de grosses productions et de films d’auteur, de stars et d’inconnus.

Lorsque Gérard Depardieu, président du Jury, lance le festival, place au show, aux stars, au sexe, avec le film d’ouverture, la sensation du moment: "Basic Instinct" de Paul Verhoeven. Le croisement de jambes de Sharon Stone face à Michael Douglas entre dans la légende du cinéma. Le film de Paul Verhoeven est cependant jugé médiocre par la critique, “film inutile, malin et frigide" résume le Monde. Sharon Stone attire les lumières, et le festival continue.

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BASIC INSTINCT-CANNES © Tous droits réservés

Bouche-à-oreille et bousculade

5 jours plus tard, le 12 mai, à l’ombre du palais des festivals, devant une salle de projection, 500 personnes se pressent. Il y a des engueulades, des bousculades même. L’organisation envoie alors une dizaine d’agents de sécurité pour faire régner l’ordre.

La salle de projection ne fait que 170 places. Il y aura beaucoup de déçus. Pas de Sharon Stone à l’affiche, pas de réalisateur célèbre. C’est un film d’étudiants belges sélectionné dans le cadre de la semaine de la critique, une sorte de festival parallèle. 

Ce qui attire tout ce monde ? Le bouche-à-oreille. Un bouche-à-oreille qui promet du jamais vu.

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"C’est arrivé près de chez vous" est donc un projet d’étudiants de l’Insas à Bruxelles. Comme il se doit, il est fait de bout de ficelles, presque sans budget, et largement improvisé. Le film est signé Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde. Les trois jeunes étaient déjà surpris de terminer leur film, surpris d’être sélectionnés à Cannes, et encore plus surpris que leur film devienne un phénomène.

Dans la petite salle non loin du grand palais des Festival le film commence. Benoît Poelvoorde incarne Benoit Patard. Un tueur à gage, suivi par une équipe de cinéastes, un caméraman et un preneur de son.

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Violence et banalité

Sur les images en noir et blanc tournée en 16 mm, s’étale en gros grain une Belgique terne. Benoît Pattard, est truculent, attachant, et très drôle. A chaque scène d’humour succède une scène d’une violence extrême. Scène de viol collectif, ou scène d’infanticide. Le film suscite le malaise car dans le monde de “C’est arrivé près de chez vous”, il n’y a pas d’Etat, ni de police, ni de loi, ni surtout de morale.

Autre élément troublant, dans de nombreuses scènes, l’équipe de documentaristes participe aux meurtres. À travers eux, le public est lui aussi complice. Le film se veut une dénonciation féroce de la mise en spectacle de la violence à la télévision, des reality shows, du voyeurisme qui marque le début de la décennie 1990. 

Le film interroge notre rapport à l’écran. Rémy Belvaux a voulu dénoncer en particulier le type de documentaire soi-disant réaliste à la “Strip-Tease”.

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Récompenses et succès

Après 95 minutes de meurtres, de cynisme, de Belgique, de bière, de viol et d’humour, le générique défile enfin à l’écran dans la petite salle cannoise. Les lumières se rallument. La petite salle se vide très vite. Les spectateurs qui en ressortent ce jour-là sont très divisés.

Mais très vite, le film accède au rang de phénomène de Cannes 1992. Les trois jeunes belges enchaînent les interviews, les rencontres avec les acheteurs, les réalisateurs, les acteurs. Ils sont propulsés sans prévenir dans le grand monde du cinéma. "C’est arrivé près de chez vous" obtient trois récompenses et fait la une des JT en Belgique.

À Cannes, le film trouve un distributeur. Il sort en Belgique au Mois d’aôut. Et là aussi c’est un véritable phénomène. Tout le monde en parle. Pour les Belges francophones, le choc est encore plus grand. Les lieux de tournage, les accents, la réalisation proche de l’émission Strip-Tease, l’identification au meurtrier fonctionnent à plein régime.

"C’est arrivé près de chez vous" marque une rupture, une révolution pour le cinéma belge. Un petit film créé hors de tous les réseaux classiques touche son public et marque une génération.

Postérité de "C’est arrivé"

Pour Hugues Dayez, journaliste cinéma RTBF, le film a fait des petits: "Un cinéma comme celui de Gustave Kerven et de Benoit Delépine avec leur cinéma alternatif ont essayé de développer une espèce d’irrévérence. Le film a laissé des traces. Mais il faut bien se rendre compte que c’est un heureux accident, c’est un film non reproductible. La seule chose qui a émergé du film c’est une nature, c’est Benoit Poelvoorde.

Il faut savoir que Benoit Poelvoorde était le seul à ne pas faire du cinéma dans le trio. C’est pourtant le seul qui en a fait après. C’est un paradoxe. Benoît Poelvoorde est le premier acteur belge qui peut imposer sa nationalité dans le cinéma français. Jusque-là, les acteurs ou actrices disaient au mieux qu’ils venaient du Nord pour faire partie de la grande famille du cinéma français. Dans la foulée de Poelvoorde, des acteurs comme François Damiens ou Olivier Gourmet ont pu percer. L’essor du cinéma belge, c’est l’essor des acteurs belges".

 

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