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Charleroi - Edward Still sur le Gril : "Un match, c’est 100 heures de préparation…"

En Still et en style : le jeune coach carolo connaît un début de saison euphorique, avant de recevoir le Club Bruges pour le choc de la 8e journée. Il évoque Hervé Koffi, ses débuts de coach à 15 ans, Marko Arnautovic, les expected-goals, Thomas Tuchel, Match Of The Day et le plaisir comme moteur. Mais aussi la Playstation, le regard… vide de ses joueurs chinois, un autographe de Messi, Mehdi Bayat, la gestion de groupe et Ivan Leko. Et bien sûr… le chien chinois. Edward Still passe "Sur Le Gril".

Le coach carolo Edward Still se prête au petit jeu du selfie avec Erik Libois.
Le coach carolo Edward Still se prête au petit jeu du selfie avec Erik Libois. © RTBF

Un coach de la nouvelle génération, rompu aux nouvelles méthodes de préparation et d’analyse " : tel était le portrait-robot du successeur de Karim Belhocine, dressé par Mehdi Bayat, avant d’officialiser la signature d’Edward Still. Trois mois et demi plus tard, le Sporting zébré talonne Bruges en tête du classement…

Mehdi Bayat a pris un risque énorme en me nommant entraîneur ici " commence le T1 carolo de 30 ans seulement. " Je n’étais ‘que’ l’adjoint d’Ivan Leko et il fallait oser… mais ce n’est pas un hasard si j’ai postulé ici à Charleroi : tous les clubs ne sont pas ‘fous’ (sic) ou n’ont pas le cran d’ici pour miser sur un gars comme moi. Avec Mehdi, le rapport humain est tout de suite très bien passé… même par Zoom depuis la Chine. Je lui avais envoyé un dossier de 60 pages avec, dedans, ma vision à court, moyen et long terme pour le Sporting… et avec pour objectif de hisser le sportif à la hauteur de l’excellente gestion financière du club. Il y avait là des chapitres sur le recrutement, la formation des jeunes, la préparation physique et les infrastructures d’entraînement. Mogi Bayat ? Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois… Moi je n’ai pas d’agent, et j’ai toute mon indépendance : avec Mehdi, nous avons des dialogues riches et répétés. Mais à aucun moment, il n’a été… et il ne sera question d’interférence. "

Edward Still et Mehdi Bayat à vélo lors d'un entrainement.
Edward Still et Mehdi Bayat à vélo lors d'un entrainement. © RTBF

L'entraineur dispose d'une centaine de paramètres d’analyse par match

Qui dit Still (Edward, mais aussi Nicolas, son petit frère analyste vidéo au sein du staff carolo, et William, désormais T2 à Reims), dit forcément datas : ce sont les fameuses données statistiques qui conditionnent la préparation, mais aussi le débriefing d’un match. Famille de geeks, les Still ont tous entamé leur parcours comme analystes-vidéos. Ca tombe bien : c’est devenu la dominante du foot actuel.

On analyse une centaine de paramètres par rencontre… mais on n’en partage qu’entre 5 et 10 avec les joueurs pour ne pas les saouler (clin d’œil). Le but n’est pas de leur montrer qu’on est les kings des chiffres ou de ramener la couverture à nous, mais de leur donner un chemin pour être meilleurs : tout est toujours au service de leur progression. Chaque jour, on leur montre leurs paramètres physiques… et ils en sont friands. Après, certains demandent des vidéos supplémentaires, d’autres ne veulent rien savoir : tout est une question de personnalité. Pour l’analyse de l’adversaire, on privilégie certains paramètres qui objectivent l’identité et la qualité d’une équipe : la possession de balle, le nombre de passes par action défensive ou en possession de balle, le nombre de centres de la gauche et de la droite ou encore la distance et la position des tirs. On n’oublie pas que le hasard reste important en football, mais notre but est de contrôler ce qui est contrôlable… et de réduire la marge d’impondérable. "

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A Charleroi, le coach simplifie le foot grâce aux datas

Dans les deux locaux qui jouxtent le bureau du T1, les adjoints s’affairent devant leur laptop. Nous sommes en milieu de semaine : la préparation du match à venir bat son plein.

On est 8 ou 9 pour analyser les matches : le résumé vidéo de 15 minutes que nous montrerons aux joueurs à la théorie représentent… 8 à 12 heures de travail. Par match, en incluant les entraînements et les débriefings, il faut compter… une centaine d’heures de préparation. On décortique tout… parce que justement le football doit rester un jeu simple : ce n’est pas de la Playstation ! L’analyse par datas n’est pas là pour compliquer, c’est même tout le contraire : elle nous permet de simplifier le message ! Les systèmes de jeu qu’on a mis le plus de temps à analyser sont ceux de Brian Priske à l’Antwerp, dont le concept est totalement novateur, et d’Hein Vanhaezebrouck à Gand, dont l’équipe est la meilleure du championnat… en terme d’expected-goals (NDLA : X-Goals dans le jargon des datas). Autrement dit, La Gantoise mériterait beaucoup plus de points qu’elle n’en a… tant elle produit des occasions de but de qualité. C’est le principe des X-Goals, un tir au but n’en vaut pas un autre : une frappe centrale à 8 mètres vers un but vide ne vaut évidemment pas un envoi des 30 mètres, d’un angle fermé avec 7 joueurs dans l’espace… En gros, c’est pour se dire : est-ce que notre victoire est méritée ou non au vu des occasions ? Ce qui est important, c’est la durabilité d’une statistique : si l’indice de nos X-goals est supérieur au nombre de buts qu’on marque, c’est qu’on doit travailler notre finition ou qu’on est dans un cycle de malchance… mais que la roue va tourner. Il faut alors être patient, car le contenu, lui, est présent. On est donc dans le bon. "

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Coach à 15 ans…

Edward a 30 ans, William (NDLA : adjoint à Reims : " Non, il ne m’a pas envoyé de selfie avec Lionel Messi quand l’Argentin a fait son premier match avec le PSG en Champagne, il vit un rêve éveillé en découvrant une nouvelle culture, des conditions d’entraînement exceptionnelles et en visitant des stades mythiques comme le Vélodrome de Marseille ") approche ses 29 ans : chez les Still, on serait donc tombé dedans dès le plus jeune âge.

C’est à 15 ans que j’ai pris conscience que j’avais plus de plaisir à coacher que de jouer moi-même : je dirigeais alors des gamins de 10-11 ans… Ce que j’aime avant tout, c’est créer une dynamique collective où chacun peut exprimer sa personnalité. Je ne suis qu’un maillon dans un système : je ne fais pas un one man-show, je coordonne le travail de 60 personnes, joueurs inclus. J’ai fait des études de gestion, sans aucun rapport avec le foot en apparence… sauf que ce sont les mêmes approches de ressources humaines, de définition d’objectifs et d’organisation des tâches. Ma vision du foot tient en trois mots : ‘dynamique’, ‘jeu vers l’avant’ et ‘préparation’. Je veux du dynamisme, et donc une préparation physique au top, sur les 3 paramètres-clé : distance, haute intensité et vitesse. Je veux aussi un jeu porté vers l’avant, avec et sans ballon, c’est-à-dire de la verticalité en phase offensive, et une attitude proactive dans le jeu défensif. Autrement dit, attaquer le porteur du ballon plutôt que de subir et reculer. Enfin, je centre tout sur la préparation et le travail : je ne veux laisser au hasard. "

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" Comme un orchestre… "

Durant les 6 saisons sous Felice Mazzù, puis les deux suivantes avec Karim Belhocine, le Sporting Charleroi avait l’identité d’une équipe défensive, axée sur la réaction et le jeu de contre, plutôt que sur un jeu dominant. L’évolution actuelle se fait avec la progression du club, qui veut s’installer durablement parmi les cadors de Pro-League. 

Notre jeu est à 80% centré sur qui nous sommes et sur ce que nous voulons proposer… et seulement à 20% sur les qualités et points faibles de l’adversaire. Le but est d’amener chacun de nos joueurs dans la zone de terrain où il est le plus performant… mais en corrélation avec les mouvements des autres. C’est comme un orchestre : si chacun sait qu’il aura 3 ou 4 solutions de passes vu les déplacements des autres, on jouera plus vite. Car chaque joueur ne devra plus réfléchir, ni regarder : on sera collectivement dans l’anticipation. Après, il faut de la flexibilité dans nos phases, car avec le temps, l’opposant identifie nos animations. Donc avec Ivan Leko, on avait chaque fois trois ou quatre variantes, avec de différents profils, pour surprendre l’adversaire. "

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" Ivan Leko a changé ma vie "

Le nom du père footballistique est lâché : initialement simple analyste-vidéo d’Ivan Leko à Saint-Trond, Edward Still a suivi le Croate à Bruges, à l’Antwerp… et jusqu’à Shangaï !

J’ose le dire, Ivan a changé ma vie ! J’ai écourté mon voyage de noces pour l’accompagner à Bruges : on y a succédé à un monument comme Michel Preud’homme. Et malgré tous les doutes qu’on percevait autour de nous, on a gagné le titre et on a passé l’hiver en Europe, en sortant d’une poule de Champions League avec Monaco, l’Atletico Madrid et Dortmund. Puis il y a eu ces moments difficiles où Ivan s’est retrouvé en prison : j’ai tout vécu de près, et c’est le genre d’épisode qui rapproche… Après, il y a eu l’Antwerp, la Coupe de Belgique, l’Europaligue contre Tottenham… Puis le départ en Chine où on a dû adapter toutes nos méthodes. Car avec la barrière de la langue, on voyait… le vide dans les yeux de nos joueurs : ils ne comprenaient rien ! On les a pris littéralement par la main, on leur montrait tout comme à des enfants : c’est là qu’on saisit l’importance du langage corporel, quand on n’a plus les mots… Côté joueurs, Hulk venait de partir, mais on avait Oscar et Marko Arnautovic. Un fou, l’Autrichien ? On peut dire ça… mais quel plaisir de bosser avec de tels talents ! En plus, on a pas mal partagé sur le foot anglais car Marko a joué à West Ham, mon club de cœur ! On parlait souvent de Match Of The Day ! Si on a mangé du chien en Chine ? Euh, non… " (rires)

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La révolution Tuchel

En cette grande semaine européenne, Still n’a sans doute pas décollé ses yeux des écrans, laptop à portée de doigts... Leo Messi en visite à Bruges, Romelu Lukaku encore décisif avec Chelsea, City face au Gegenpressing de Leipzig : que de délicieuses données à croquer…

Mon coach modèle ? Je vais en citer deux : Thomas Tuchel et Pep Guardiola. Ce que Tuchel a fait à Chelsea ces 18 derniers mois est proprement hallucinant : d’une équipe jeune et en plein doute laissée par Frank Lampard, il a fait un Champion d’Europe en menant une révolution collective, avec un jeu très précis et une organisation défensive remarquable ! Sur les 10 dernières années, c’est Pep Guardiola qui a transformé le foot. Vous me dites qu’il a les meilleurs joueurs ? Vous pensez qu’un coach moyen aurait réussi la même chose ? Quand il a débuté son parcours de coach à Barcelone, le club était au plus bas : il a changé toutes les fondations, en mettant des cadres dehors et en lançant des jeunes qui n’avaient encore rien prouvé, comme Sergio Busquets, Gérard Piqué puis Jordi Alba. Comme jeune coach, je me nourris aussi de l’expérience de plus anciens en Belgique comme Francky Dury ou Marc Brys, qui sont très accueillants et partageurs. Quand je les croise, je me tais et j’écoute… car ils ont tracé la route avant nous. C’est la richesse de la Pro-League d’avoir autant de profils variés chez les entraîneurs : des Belges, des étrangers, des anciens, des jeunes… Mais c’est vrai qu’en Bundesliga et en Premier League aussi, on assiste à cet avènement de coaches jeunes : le foot actuel vit une révolution ! "

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" Koffi est mon premier joueur de champ "

Et de s’en aller préparer le choc au sommet de ce samedi, face à son ex-employeur brugeois…

Le premier nom que je mets sur ma feuille de compo ? Hervé Koffi ! Et ce n’est pas une pirouette parce que c’est mon gardien-titulaire ! Hervé est mon premier joueur de champ : il est mon premier pion en possession, et c’est lui qui déclenche le pressing : on sous-estime la place du portier dans le jeu collectif. Après, mes pions essentiels sont connus, il suffit de consulter les temps de jeu : Morioka et Ilaimaharitra au milieu, Knezevic comme patron derrière, Kayembe qui joue tout… Mais plus que le nom, je prône… le plaisir collectif. On dit souvent que les joueurs sont dans leur bulle, coupés du monde, mais… c’est faux. Ce qui nous lie tous, c’est cette passion du foot : j’insiste auprès des joueurs pour qu’ils gardent la joie de leurs 5 ou de leurs 10 ans, quand ils ont commencé à taper la balle. On se prépare la semaine et quand vient le match du week-end, on voit les sourires des gens dans le stade : on est tous là pour partager ce plaisir ! "

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" Si on gagne chaque match, on est champion… mais c’est ridicule de dire ça ! "

Et de conclure sur une pensée typiquement héritée de sa culture du foot british

 " On peut être bon ou mauvais certains jours, mais il ne faut jamais oublier d’y aller à fond et de s’impliquer à bloc. Plus que la victoire, c’est la victoire ENSEMBLE qui me fait vibrer… et même parfois après un ‘match de merde’ car c’est beau et fort de gagner en souffrant ! Mais ce que je déteste par-dessus tout, c’est une équipe qui joue sans âme et sans identité. On peut perdre… mais perdre après un match décousu, où on n’a rien montré, est juste… horrible ! Après, on verra où ça nous mène avec le Sporting en fin de saison… On essaie de gagner le prochain match, puis le suivant… et ainsi de suite. Et si on gagne tout, on est champion… mais c’est ridicule de dire ça ! On verra dans 7 mois… Moi, je ne me projette pas car en se projetant, on perd de l’énergie pour le moment présent… Et je vous jure que ce n’est ni une pirouette, ni de la langue de bois : je pense vraiment comme ça ! "

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