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Charlotte Bellis, journaliste néo-zélandaise, ne sera pas contrainte d’accoucher en Afghanistan

© Instagram Charlotte Bellis

Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Charlotte Bellis, 35 ans, va pouvoir rentrer en Nouvelle-Zélande pour donner naissance à son premier enfant. Elle avait expliqué dans une lettre ouverte publiée le 28 janvier par le New Zealand Herald avoir été accueillie par les talibans en Afghanistan, pays où est basé son compagnon, le photographe belge Jim Huylebroek, faute d’être autorisée à retourner dans son pays en raison de la très stricte réglementation anti-Covid, également imposée aux nationaux.

"Vous me connaissez peut-être pour être cette journaliste néo-zélandaise qui a demandé aux talibans, lors de leur conférence de presse inaugurale, "que ferez-vous pour protéger les droits des femmes et des filles ?"", écrivait-elle. "Ce que personne ne savait, jusqu’à présent, c’est que j’ai conçu une petite fille une semaine après cette conférence de presse. Pendant des années, les médecins m’ont dit que je n’aurais jamais d’enfants. Je me suis jetée dans ma carrière et j’ai fait la paix avec ça. Maintenant, pendant la chute de Kaboul, [ma grossesse est] un miracle."

Quand les talibans proposent à une femme enceinte et non mariée un hébergement sûr, on comprend que la situation est tordue

"Situation tordue"

Charlotte Bellis travaillait pour Al-Jazeera en Afghanistan. C’est en rentrant à Doha, où se trouve le siège de la chaîne, qu’elle avait découvert qu’elle attendait un enfant. Comme il est interdit au Qatar d’être enceinte hors mariage, elle avait caché sa grossesse tout en préparant son retour en Nouvelle-Zélande. "Je ne vais pas appeler la police mais je ne peux pas vous soigner et je vous conseille de vous marier ou de quitter rapidement le pays", lui avait conseillé, de manière pressante, son médecin à Doha.

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La Nouvelle-Zélande, qui a fermé ses frontières en mars 2020 en raison de la pandémie, ne laisse cependant revenir ses propres ressortissant·es qu’au compte-goutte. Quand la journaliste a appris qu’elle ne pouvait bénéficier d’aucune dérogation pour rentrer, elle n’a eu d’autre choix que d’appeler de hauts responsables talibans afin de trouver une solution d’urgence. Ils lui ont alors proposé de venir accoucher dans leur pays. "Quand les talibans proposent à une femme enceinte et non mariée un hébergement sûr, on comprend que la situation est tordue", expliquait-elle.

"Ironique"

Charlotte Bellis, qui avait demandé aux talibans ce qu’ils feraient pour garantir les droits des femmes et des filles, a déclaré qu’il était "ironique" qu’elle pose désormais la même question à son propre gouvernement. Après avoir publié sa lettre ouverte qui a reçu un écho médiatique et fait appel à des avocats, la journaliste a été contactée par les autorités néo-zélandaises qui lui ont assuré que sa demande rejetée serait réexaminée.

Les autorités néo-zélandaises l’ont finalement autorisée le 1er février à rentrer au pays. Une place dans un centre de quarantaine se serait libérée, a indiqué le vice-premier ministre Grant Robertson qui réfute toutefois avoir fait marche arrière en raison de la polémique suscitée par le refus initial.

Pour rappel, les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan en août 2021. Contrairement à leurs promesses, les droits des femmes ont particulièrement été visés. Ce 2 février, le Parlement européen s’est dit "préoccupé par la situation des femmes en Afghanistan". Les femmes sont empêchées de retourner sur leur lieu de travail, à l’université ou à l’école. Il leur est également interdit d’occuper des postes à responsabilité. De plus, les talibans répriment violemment les manifestations pour les droits des femmes. En décembre, les talibans ont interdit aux femmes de voyager seules.

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En septembre, nous rencontrions Meena, une journaliste afghane réfugiée en Belgique, qui témoignait de ce qu’elle avait vécu dans son pays. "Nous vivions dans une société très conservatrice, les femmes appartenaient au foyer, mais nous avions droit à une éducation basique. Mais maintenant que les talibans sont au pouvoir, ils vont ruiner tous les efforts qui ont été faits, surtout en matière d’éducation des filles ", soulignait-elle.

Les sages-femmes visées

Les talibans ont aussi particulièrement visé les sages-femmes et les lieux dans lesquels elles travaillent, les maternités, comme lors de cette attaque en mai 2020 - si les talibans n'ont pas revendiqué cette attaque, les autorités afghanes l'associent aux nombreuses offensives menées à ce moment-là par le groupe insurgé. "Ils sont venus pour tuer les mères", relatait à cette époque dans un communiqué Frédéric Bonnot, responsable du programme MSF en Afghanistan.

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L’offre de soins de santé maternelle est très limitée, "voire inexistante" dans le pays qui possède l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde, avec 396 décès pour 100.000 naissances, selon les données de l’OMS en 2016, cités par France24.

Le Fonds des Nations Unies pour la population, l’UNFPA, estime désormais que sans un soutien immédiat aux femmes et aux filles, il pourrait y avoir 51.000 décès maternels supplémentaires, 4,8 millions de grossesses non désirées et deux fois plus de personnes ne pouvant accéder aux cliniques de planning familial d’ici à 2025.

"Les installations de santé primaire de l’Afghanistan s’effondrent. Les taux de mortalité maternelle et infantile vont augmenter, malheureusement", prévient, interrogé par la BBC, le docteur Wahid Majrooh, directeur de la santé publique, dernier ministre en fonction depuis la chute de Kaboul aux mains des Talibans, le mois dernier.

C’est donc dans ce contexte que, tous les jours, des Afghanes doivent accoucher.

Afghanistan : des Afghanes manifestent contre le silence de la communauté internationale (Kaboul, 26 octobre 2021)

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