Belgique

Christine Mahy : "Quand on ne décide pas d’investir en amont, préventivement, on dépense beaucoup d’argent pour réparer"

Christine Mahy, secrétaire générale et politique du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP).

© RTBF - Cristian Abarca

Les crises s’enchaînent ou se superposent: sanitaire, climatique, énergétique, guerre, sans oublier la hausse des prix. Les conséquences sur le moral, la santé, le portefeuille, etc. des citoyennes et citoyens sont réelles. La sonnette d’alarme face à l’appauvrissement "sans précédent" de la population a déjà été tirée. C’est dans ce contexte et dans le cadre de notre série de rétrospectives de l’année 2022 que nous avons invité Christine Mahy, secrétaire générale et politique, depuis plus de 10 ans, du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP).

Quel est l’évènement qui vous a particulièrement touché en 2022 ?

Christine Mahy précise qu’elle pourrait revenir évidemment sur la guerre en Ukraine, la crise énergétique, l’inflation, etc. Mais après un moment de réflexion, elle déclare: "Je pense en fait aux inondations de juillet 2021, mais dont les conséquences sont encore visibles. Une des choses qui est beaucoup plus fortement présente que d’habitude, ce n’est pas un évènement, c’est une impression d’abandon que ressentent les populations."

"On l’a entendu tout de suite après les inondations par les gens concernés parce que là ils exprimaient quelque chose qui était de l’ordre de l’abandon dans la peur. La peur de mourir… Et certains sont morts. Ça, c’était l’abandon aux évènements factuels. Mais, ce que j’entends depuis des mois, des mois et des mois par des gens, c’est cet état aggravé d’impression qu’ils sont oubliés, qu’ils ne sont pas entendus à la mesure des difficultés qu’ils vivent. Que l’autorité publique est décalée dans le rythme ou l’intensité de ses réponses."

On l’a dit en préambule, le monde fait face à des crises depuis quelques années. Dans ce contexte, il n’est pas évident de garder le moral. Vous ressentez cela auprès de la population ?

"Oui, parce que d’abord, il y a l’accumulation des conséquences de ces phénomènes (Christine Mahy n’aime pas appeler ces évènements des crises, ndlr). Je pense que les évènements qui se déroulent avec une intensité aggravée depuis ce qui s’est passé au niveau sanitaire, les inondations, la sécheresse aussi, ce sont les conséquences de non-décisions, d’une liberté totale à la marchandisation de tout dans le monde."

la secrétaire générale et politique du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP) donne l’exemple des enjeux climatiques "qui ont des conséquences, en particulier pour les personnes les plus vulnérables, même chez nous. C’est de l’aveuglement pendant des années, de la non-écoute des scientifiques et de la population. Et les conséquences, maintenant elles se manifestent à travers des évènements quand même intenses et qui se cumulent. Alors garder le cap là-dedans… En tout cas dans les populations que l’on fréquente et avec qui on travaille."

La crise du logement, "elle est aussi grave pour moi que les autres crises"

Et pour Christine Mahy, parmi les crises, il y en a une qui n’est jamais nommée comme telle et qui est permanente, dit-elle, c’est la "crise du logement." "Elle est aussi grave pour moi que les autres crises." Et d’ajouter : "le mal logement, le non-logement, le sans-abrisme, la spéculation sur le logement, la marchandisation toujours accrue du logement, le décalage entre logement public et privé, c’est quelque chose qui est très prégnant depuis toujours."

Cette crise du logement a eu des conséquences dans les dernières crises, ajoute-t-elle. Lors de la crise sanitaire : "Plein de gens ont traversé la crise variablement en fonction de leur condition d’existence par le logement, pas seulement, il y a aussi le revenu, etc." L'habitat a aussi eu des conséquences lors des inondations et de la crise énergétique actuelle.

C’est sans doute un moment où il ne faut pas perdre pied, sinon on sombre

Ces nombreux évènements ont à chaque fois "permis d’imposer une visibilité sur le non réglé en termes d’accès aux droits de base, aux inégalités, etc. Et ce qui est inquiétant, c’est que bien que cela soit révélé et aggravé… Ça s’endort à nouveau. Et donc on a l’impression d’une aggravation permanente, d’une spirale."

Malgré tout, dit-elle, "c’est sans doute un moment où il ne faut pas perdre pied, sinon on sombre."

On voit que dans ces dernières crises, les gouvernements sont venus en aide à la population et aux entreprises. Selon vous, les décisions prises étaient les bonnes ?

Christine Mahy tient à préciser qu’elle ne dit pas que rien n’est fait. "Qu’ils aient pris de bonnes ou de mauvaises décisions, on a jamais eu autant de décisions publiques depuis le début de cette législature, avec le Covid, les inondations, etc. Des décisions publiques dans l’urgence, dans le sauve-qui-peut, etc.

Elle note aussi que les aides fédérales lors de la crise sanitaire ont été bien plus importantes que pour la crise énergétique. "Si on me demande mon avis et je sais que c’est complexe ce que je vais dire. La crise de l’énergie (et l’inflation) est beaucoup plus grave que la crise du Covid en termes de conséquences immédiates, sur le plan économique, sur la vie des ménages. On ne peut pas comparer les deux crises, mais j’ai envie de dire : il faut beaucoup plus pour l’énergie en aides immédiates."

Quand on ne décide pas d’investir en amont, préventivement, on dépense beaucoup d’argent pour réparer

"Pour certains, l’aide est insuffisante et en même temps le gouvernement dépense beaucoup d’argent. Alors, nous, on vient avec notre Pacte logement-énergie (qui repose sur l’isolation des logements en commençant par ceux habités par les familles subissant la pauvreté et celles issues de la classe moyenne inférieure). Ce n’est pas facile. Je ne suis pas de celles qui disent : il n’y a qu’à". Pour le financement massif dans la rénovation des logements, Christine Mahy se demande pourquoi certains investissements (plan de relance, digitalisation) ne sont pas réorientés dans ce sens.

Autre exemple de politique de prévention qu’elle aimerait voir évoluer, elle concerne le sans-abrisme. "Mettre en place un dispositif qui fait que dès que quelqu’un est dans la rue, dans les 15 jours il est pris en charge, parce qu’on sait qu’il faut aller très vite […] Mais prévenir demande d’investir. Ça veut dire qu’il faut mettre le paquet sans démanteler tout ce qui se fait de palliatif pour l’instant (abris de jour ou de nuit, ndlr) […] Moi je suis sûre que si on voyait diminuer le nombre de sans-abri dans les rues, ça redonnerait conscience aux citoyennes et citoyens dans le fait que...tiens, on a décidé de s’attaquer à quelque chose et ça marche. Et ça sa joue sur le moral d’une société."

On voit avec ces crises de nouveaux publics se fragiliser et demander de l’aide (personnes séparées, indépendants en faillite, personnes atteintes de troubles psychiques). C’est préoccupant ? 

"C’est quand même un peu inquiétant de devoir en arriver à ce que des catégories sociales un peu plus consolidées ne le soient plus ou fortement fragilisées. Jusqu’où faut-il aller pour que la machine se réveille, peut-être, pour se dire 'Tiens...il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a des injustices importantes.' Dans les niveaux de revenus, dans les types de contrats de travail, dans la déstructuration du travail, etc."

"Alors oui, je le vois bien. Je peux aller n’importe où, dans le train, dans la rue, etc. La majorité des gens qui m’arrêtent en ce moment, et ça arrive souvent, ce sont des personnes dites 'la classe moyenne'. Je ne pense pas qu’il y ait une classe moyenne, il y a 'des' classes moyennes. Il y a encore une classe moyenne, et tant mieux, qui a de bons revenus, qui avait de l’épargne et un logement qu’elle a su améliorer. Il y a des gens qui tiennent. Mais il y en a d’autres qui ne tiennent pas. Qui ont de petites réserves et à qui on demande 'Videz vos réserves'. Nous, au réseau, on considère que quelqu’un qui n’a pas d’épargne, de réserve...il est sur le fil et un possible basculement."

Les gens ont envie d’être bien, ils ont envie d’investir dans la société. Ils n’ont pas envie de la désespérance

Si vous pouviez formuler un vœu pour 2023, ce serait lequel ?

"Que les autorités politiques et les gouvernements construisent une politique basée sur la confiance et pas sur la défiance. Sur les rythmes possibles des gens dans la reconstruction de ce qui les a détruits. Parce que les gens ont envie d’être bien, ils ont envie d’investir dans la société. Ils n’ont pas envie de la désespérance."

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