A l’heure où l’Eglise est empêtrée dans des affaires de pédocriminalité et de violences sexuelles, comment revenir aux valeurs essentielles du christianisme ?
A travers deux ouvrages choc : 'Jésus l’homme qui préférait les femmes' et 'Qu’avez-vous fait de Jésus ?' (Ed. Albin Michel), Christine Pedotti, théologienne, féministe et chrétienne, tente de tracer des pistes pour redonner sens au message chrétien.
C'est quelque chose de l'ordre de la colère qui a poussé Christine Pedotti à écrire Qu’avez-vous fait de Jésus ?. L'ouvrage aborde la pédocriminalité dans l'Église et "surtout sa dissimulation, c'est à dire le système qui a permis à cette criminalité de prospérer, qui a permis que des hommes dévorés par des pulsions perverses continuent à côtoyer des enfants. Soit parce qu'on ne se rendait pas compte, ou qu'on ne voulait pas scandaliser ou qu'on ne comprenait pas à quel point c'était grave."
Qu'est-ce qui arrive à ces hommes responsables d'Église, qui semblent avoir éteint une partie de leur fibre d'humanité, au point de ne pas se rendre compte que, par leur sexualité prédatrice, ils atteignent gravement ces enfants dans leur psychisme pour la vie ?, interroge-t-elle.
Avec ce livre, elle ne cherche pas à provoquer le scandale, il existe déjà. Mais elle continue quand même à croire que l'Évangile a quelque chose à nous dire aujourd'hui, qu'il a une puissance de subversion, une puissance humaine hors du commun, qu'il est capable de nous rendre plus humains.
Une culture de l'abus
Christine Pedotti s'est sentie interpellée par la lettre du 20 août que le Pape a adressée au peuple de Dieu, sur ce problème "d'une telle ampleur qu'il doit le résoudre avec nous". Il dit bien qu'il y a un système en cause, il parle même d'une 'culture de l'abus' : abus de pouvoir, abus de conscience et puis abus sexuel.
Cela met en cause le cléricalisme, "cette façon de construire l'Église en centrant l'ensemble du pouvoir entre les mains des clercs, des prêtres, des évêques, toute cette administration du sacré qui a cessé d'être au service pour être au pouvoir et qui préfère se protéger et protéger l'institution, plutôt que les plus petits, les enfants."
Plutôt qu'un accident dans l'histoire, Christine Pedotti pense que c'est le symptôme de quelque chose de plus grave, qui dévore la société-Église, de sorte qu'elle n'est plus capable d'annoncer l'Évangile de façon crédible.
"Le problème de la crise des vocations, le caractère tellement conservateur de l'Église font qu'on recrute maintenant des gardiens de musée au lieu de recruter des prophètes, des gens qui sont habités par du feu, par de la foi".
Ce n'est pas cela qui est nécessairement la cause de la pédocriminalité. On ne peut d'ailleurs pas dire quelles sont les causes, et à quel degré cela se produit, mais ce qui est observable, c'est que quelque chose dans l'Église a disfonctionné parce qu'on a couvert quelque chose de criminel, affirme-t-elle.
Un silence écrasant
Le silence est la résultante de ce rapport péché-pénitence-pardon, qui évite la question de justice. Les hommes d'Église qui disent ne pas avoir compris l'ampleur du problème, abordent cette question non pas comme un crime mais comme un péché. Alors que c'est d'abord un crime. Ils emploient à l'égard du crime sexuel les remèdes qu'ils connaissent contre le péché. On s'occupe donc du pêcheur et pas de la victime.
Et contre le péché, on emploie le repentir, la pénitence, le pardon. "Mais c'est une erreur d'analyse, parce qu'il faut prendre en charge la victime et la reconnaître comme victime." Et ce qui peut la réparer en partie, c'est la Justice. Un processus de jugement qui rétablit la vérité, qui permet de dire à la victime qu'elle n'est pas coupable, que c'est bien elle qui a été victime et qui permet d'établir les responsabilités.
"Ces deux cultures se croisent mais ne se comprennent pas. L'Église évoque toujours la grande souffrance que ces scandales sont pour elle, mais la première souffrance, c'est celle des victimes", s'indigne Christine Pedotti.
La complicité des fidèles
Si ces situations ont pu prospérer, c'est grâce à la complicité des fidèles. On leur a répété sans cesse que l'homme sacré se distingue du reste des mortels. Le malheur s'est noué à ce moment-là. Les parents étaient tellement habitués à avoir du respect et de la révérence envers le prêtre, l'homme sacré, qu'ils n'ont parfois pas cru leurs enfants, tellement cela leur paraissait invraisemblable. Ils n'ont pas su aller vers la Justice. Par ailleurs, les parents qui sont allés voir les évêques n'ont pas été écoutés.
"Non seulement les évêques ont laissé les loups dans la bergerie mais ils ont transporté les loups de bergerie en bergerie. Comment ne pas être en colère ?", s'indigne Christine Pedotti. (...) "Mais malgré tout, l'Église des gens, il faut la sauver."
Dieu dit : "Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre"
Le catholicisme a considéré la sexualité comme outil de procréation exclusivement, pour empêcher l'humanité de disparaître. Nous ne nous rendons pas compte à quel point l'arrivée des femmes, libérées de l'obligation de faire survivre l'espèce humaine, est une révolution extraordinaire dans l'histoire de l'humanité, dit Christine Pedotti. Tout leur est aujourd'hui ouvert. Le fait d'être mère est un moment de leur vie. L'homme aussi est libéré de l'assignation de pourvoir aux besoins de sa famille, parce que la femme contribue aussi à la vie économique, ce qui leur donne le temps d'être père. Le féminisme libère les femmes et libère les hommes.
"Je suis toujours sidérée de voir que l'Eglise catholique est un des derniers lieux dans le monde où officiellement, on est dans une interprétation genrée des rôles de l'humanité. Il y a des rôles pour les femmes et des rôles pour les hommes. La vocation des femmes continue à être la maternité."
Elle se bat contre le fait de voir les femmes comme des fonctions, des mères, et pas comme des personnes. Partout dans le monde, les femmes prennent de la place, elles prennent place dans les responsabilités diverses, dans les pays émergents tout autant que chez nous, voire plus.
Etre chrétien aujourd'hui, c'est partager le fardeau
Depuis l'origine, les chrétiens ne sont pas séparés du monde. Ils ne se distinguent pas des citoyens ordinaires, ils ne s'habillent pas de façon différente, ils n'ont pas de pratiques différentes. Ils ont de l'espérance en l'humanité. Le salut les rend capables d'aller vers le bien. Le travail des chrétiens est de continuer à dire que nous sommes capables de vouloir le bien et d'essayer de commencer à le faire.
La valeur d'universalité, c'est croire que chaque être humain a un droit équivalent au mien à vivre sur cette terre, au point que cela puisse réduire mon espace et mon droit de saccager la terre. Les repus devront accepter de partager un peu avec les affamés, accepter de réduire la taille de leur assiette.
"La crise migratoire ne montre pas le meilleur côté de ce que nous sommes. C'est donc un grand désastre quand la crédibilité de la voie chrétienne est atteinte à travers ces scandales", regrette Christine Pedotti.