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Colombie : l’ampleur des violences policières subies par les manifestantes en 2021, révélée dans un rapport accablant

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Des femmes et des personnes LGBTQIA+, des journalistes et des défenseures des droits humains ont subi des violences sexuelles et d’autres formes de violence liée au genre infligées par la police nationale et l’unité anti-émeutes de la police (ESMAD) en 2021.

Dans son dernier rapport, intitulé The police do not protect me : Sexual violence and other gender-based violence during the 2021 National Strike publié ce 1er décembre, Amnesty International indique que ces violences ont eu lieu en Colombie, lors des manifestations organisées pour la grève nationale.

Contexte dans le pays

Composé d’étudiant·es, d’associations indigènes et sociales, le Comité national de grève avait mobilisé dès fin avril 2021 dans le pays. Plusieurs centaines de manifestations, connues sous le nom de grève nationale, ont eu lieu en Colombie l’année dernière.

Des centaines de milliers de protestataires exigeaient plus de justice sociale de la part du gouvernement conservateur du président sortant Ivan Duque (2018-2022) et un État solidaire face aux dégâts sociaux causés par la pandémie. 42% des 50 millions de Colombien·nes vivent en effet dans la pauvreté. Les demandes ont par la suite évolué vers une réforme de la police, accusée de réprimer brutalement les manifestations.

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La police nationale est intervenue pour contrôler les mobilisations et les protestations et "a fait un usage excessif et disproportionné de la force", ce qui a été documenté et critiqué par diverses organisations de la société civile colombienne et par la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH).

En conséquence, des milliers de personnes ont subi de graves blessures causées par l’utilisation inappropriée ou illégale de la force et d’armes létales, et des dizaines de personnes ont perdu la vie aux mains des forces de sécurité.

Des violences fondées sur le genre

Le rapport d’Amnesty présente des informations sur plusieurs dizaines de cas de violences fondées sur le genre subies par des femmes ou des personnes LGBTQIA+ dans sept villes, lors de ces manifestations. Le rapport expose un large éventail de comportements violents de la part d’agents de l’État, en particulier de membres de la police nationale, allant du recours à un langage sexiste, misogyne et insultant jusqu’à la violence sexuelle, "qui peut constituer une forme de torture", souligne l’organisation.

En 2021, les femmes ont joué un rôle majeur dans les manifestations en Colombie. Elles étaient des porte-paroles du mouvement, des observatrices sur le terrain, des médiatrices avec les autorités policières, elles ont organisé des "cuisines communautaires" ("ollas comunitarias") pour s’assurer que les manifestant·es aient de la nourriture et ont parfois formé une "ligne de front" pour protéger l’intégrité physique des manifestant·es.

C’est l’une des raisons expliquant la stigmatisation, la violence et les menaces qu’elles ont subies. Car les manifestantes ont été largement prises pour cible selon Amnesty, et notamment les femmes d’ascendance africaine, indigènes, défenseures des droits humains, journalistes, membres des brigades de santé et aussi des mères.

On va te tuer ! Va leur faire passer ce message : la même chose peut arriver à n’importe laquelle d’entre elles

"Les violences liées au genre, en particulier les violences sexuelles, ont douloureusement marqué l’histoire de la Colombie dans le contexte du conflit armé interne, et les autorités n’ont pas encore surmonté ce passé douloureux. Nous avons reçu des centaines de signalements de cas de violences fondées sur le genre durant la grève nationale de 2021, notamment de violences psychologiques, de discrimination, de menaces, d’attouchements, de harcèlement sexuel, de nudité forcée, de torture et de violences sexuelles. Les informations détaillées que nous avons rassemblées sur 28 de ces cas montrent clairement que la violence fondée sur le genre a été un instrument de répression utilisé par la police nationale pour punir les personnes qui osaient faire entendre leur voix et manifester, déclare Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.

© AFP

Un des cas documentés par Amnesty concerne l’agression sexuelle subie par Sofia (le prénom a été modifié), le 30 avril 2021. Alors qu’elle marchait en chantant des slogans pour réclamer des réformes dans le pays, des grenades assourdissantes ont été lancées sur le groupe de manifestant·es dans lequel elle se trouvait.

Tout le monde s’est enfui et Sofia s’est retrouvée isolée, seule, près d’un mur. À ce moment-là, un employé d’ESMAD, la police anti-émeutes, s’est approché d’elle et, sans dire un mot, a mis sa main dans son pantalon. Sofia explique qu’elle était en état de choc et ne pouvait pas respirer correctement. Elle se souvient : "Ils m’ont insultée en me disant que si je ne voulais pas que ces choses m'arrivent, je devais rester à la maison, ils m’ont poussée en me disant de partir".

Rosaria et sa fille Natalia (les prénoms ont été modifiés) ont été agressées sexuellement par des policiers nationaux. Rosaria a déclaré à Amnesty : "Ma fille et moi avons été touchées par des projectiles à impact cinétique ; ma fille dans le dos, et moi à la tête. Pendant qu’un soldat de l’ESMAD s’est emparé de ma fille pour tenter de la noyer dans un puits d’eau qui se trouvait dans la zone, j’ai été frappée à l’aide d’instruments contondants, frappée à coups de pied et traînée jusqu’au canal, où un agent de l’ESMAD a pris mon sac, soulevé mon haut et ouvert mon pantalon pour toucher mes parties génitales."

Après cela, les policiers leur ont dit que cela enverrait un message à toutes les femmes présentes à la manifestation : "Salope, on va te tuer, va leur faire passer ce message : la même chose peut arriver à n’importe laquelle d’entre elles". Elles ont décidé de ne pas porter plainte par crainte de répercussions négatives sur leur vie.

La violence fondée sur le genre a été un instrument de répression utilisé par la police nationale pour punir les personnes qui osaient faire entendre leur voix et manifester

Une réponse inadéquate du système judiciaire

Amnesty International a d’autre part reçu des informations faisant état d’une absence de réponse, ou d’une réponse inadéquate, de la part du système judiciaire, en particulier de la part de la Fiscalía General de la Nación (organe de l’État qui déclenche la procédure pénale, mène l’enquête et prononce l’inculpation), face aux plaintes de personnes ayant subi des violences fondées sur le genre.

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Plusieurs autres victimes ont en outre dit qu’elles avaient décidé de ne pas porter plainte auprès de la Fiscalía General parce qu’elles avaient peur ou parce qu’elles n’avaient pas confiance

"En tant que chef suprême de la police nationale, le président Gustavo Petro doit prendre un décret condamnant toutes les formes de violence sexuelle et fondée sur le genre, et exiger qu’il soit mis fin à ces pratiques. Chacune des plaintes concernant la grève nationale de 2021 doit faire l’objet d’une enquête et les responsables doivent être amenés à rendre des comptes. Les autorités colombiennes doivent également remédier aux causes profondes de cette violence et travailler avec les femmes et les personnes LGBTQIA+ pour élaborer et adopter des mesures efficaces garantissant une vie libre de toute discrimination institutionnelle et de toute violence liée au genre. Il s’agit là d’un minimum qui permettra de préparer le terrain pour que justice soit rendue et pour que l’obligation de rendre des comptes soit respectée", a déclaré Agnès Callamard.

Plusieurs rapports concernant la Colombie et les manifestations de 2021 ont récemment été publiés par Amnesty International qui mettent en lumière d’autres graves violations des droits humains, notamment des restrictions disproportionnées des manifestations pacifiques, le paramilitarisme en milieu urbain, des détentions arbitraires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés à des manifestant·es pacifiques, ainsi que des lésions oculaires provoquées par des membres de l’ESMAD ayant utilisé de façon illégale des armes à létalité réduite.

Colombie : Répression disproportionnée des manifestations – Archives JT 05/05/2021

Colombie : Répression disproportionnée des manifestations

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