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Colonialisme et sexisme : des codes QR pour expliquer les fresques polémiques du parcours BD de Bruxelles

Iadine Degryse et Fabrice Preyat ont rédigé les notes explicatives, accessibles via le QR code.

© RTBF

Un QR code, sous la plaque de présentation de la fresque Odilon Verjus, rue des Capucins 13 dans les Marolles. Capté par l’appareil photo du smartphone, le code, apposé il y a quelques jours, renvoie vers une notice explicative. Le texte, réalisé par des experts, permet désormais de comprendre l’œuvre, son contexte et pourquoi elle pose polémique.

Cela fait deux ans, depuis le mouvement Black Lives Matter, qu’un tag "Decolonize" (Décolonisation) en rouge barre cette case de BD (imaginée par Yann Le Pennetier et Laurent Verron). Un message pour dénoncer, selon certains collectifs, les stéréotypes véhiculés par ce pan de mur : racisme, colonialisme, sexisme…

Il ne fallait pas les retirer mais les expliquer

A l’occasion, en 2021, des 30 ans du parcours BD de la Ville de Bruxelles, des associations ont interpellé les autorités. Parmi celles-ci, "Noms peut-être".

Pour elle, les œuvres polémiques doivent être retirées. "Nous avons eu une réflexion. Et nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il ne fallait pas retirer mais peut-être les expliquer", indique Arnaud Pinxteren (Ecolo), échevin en charge du Parcours BD de la Ville de Bruxelles. "Ces fresques sont le témoignage d’une époque, d’un contexte et aussi de la créativité et la richesse du monde de la BD. Les retirer ne contribue pas à mettre en évidence cette diversité et cette histoire de la BD francophone et belge… Pour nous, il faut donner de la profondeur aux fresques. Celle d’Odilon Verjus, les gens la voient et se demandent de quoi il s’agit. Jusqu’à présent, la seule explication qu’ils avaient était le nom de la BD, de ses auteurs et sa date de réalisation…"

La fresque Odilon Verjus taguée.
La fresque Odilon Verjus taguée. © RTBF

Ce contexte et cette histoire sont désormais disponibles dans la notice explicative. "Une fois que l’information est disponible de la manière la plus neutre et la plus complète", ajoute Iadine Degryse, "à ce moment, on peut inviter toutes les personnes concernées par la fresque autour de la table et discuter de l’avenir de la fresque et si le QR code est suffisant. Faut-il rajouter une autre image de Joséphine Baker, dans son rôle de résistante (ndlr : durant la Seconde guerre mondiale avant d’avoir un rôle dans le combat pour l’émancipation des Noirs aux Etats-Unis) et pas uniquement comme danseuse ? On peut désormais débattre de manière publique… Retirer une œuvre, c’est supprimer le débat. Pour se souvenir de l’histoire, il faut en garder une trace. Cela dit, certains symboles sont remis en question."

Avant d’élaborer les notices, des moments de rencontres ont été organisés. "Trois moments d’échanges ont eu lieu avec des militants et citoyens", rappelle Iadine Degryse. "Ceux-ci ont débattu de l’avenir de tous les symboles contestés à Bruxelles. Et cette possibilité de retrait des œuvres a toujours été mise sur la table. Il ne faut pas fermer la porte à cela. Même si ce n’est pas l’option qui permet le débat."

Un comité de chercheurs a donc été mis en place, coordonné par Iadine Degryse, historienne et chercheuse au Brussels Studies Institute. "Lorsqu’on ouvre le QR code, on est renvoyé vers le site du parcours BD de la Ville de Bruxelles et une notice, qui présente ici la fresque Odilon Verjus", explique la chercheuse. "Que voit-on sur cette fresque ? Odilon Verjus, un missionnaire envoyé par le Vatican pour évangéliser toute une série de populations. On le voit avec son acolyte, Laurent de Boismenu qui porte un casque colonial. Nous sommes dans les années 1930."

La femme noire était souvent comparée à un animal sauvage

Une femme de couleur apparaît également : c’est l’artiste de music-hall afro-américaine Joséphine Baker. "Elle descend le mur et tient en laisse une panthère. Si cette fresque fait polémique, si elle a été taguée, c’est probablement parce que la figure de Joséphine Baker est uniquement représentée pour son rôle de danseuse. Elle a défrayé la chronique en 1925 lorsqu’elle est apparue les seins nus avec une ceinture de bananes. Elle a utilisé les stéréotypes coloniaux de l’époque pour se les approprier et les renvoyer en quelque sorte à son public. Dans la même logique, elle a adopté cette panthère parce que la femme noire était souvent comparée à un animal sauvage, félin, indompté et qui ne correspondait évidemment pas à la réalité des femmes africaines."

Ce contexte et cette histoire sont désormais disponibles dans la notice explicative. "Une fois que l’information est disponible de la manière la plus neutre et la plus complète", ajoute Iadine Degryse, "à ce moment, on peut inviter toutes les personnes concernées par la fresque autour de la table et discuter de l’avenir de la fresque et si le QR code est suffisant. Faut-il rajouter une autre image de Joséphine Baker, dans son rôle de résistante (ndlr : durant la Seconde guerre mondiale avant d’avoir un rôle dans le combat pour l’émancipation des Noirs aux Etats-Unis) et pas uniquement comme danseuse ? On peut désormais débattre de manière publique… Retirer une œuvre, c’est supprimer le débat. Pour se souvenir de l’histoire, il faut en garder une trace. Cela dit, certains symboles sont remis en question."

Avant d’élaborer les notices, des moments de rencontres ont été organisés. "Trois moments d’échanges ont eu lieu avec des militants et citoyens", précise Iadine Degryse. "Ceux-ci ont débattu de l’avenir de tous les symboles contestés à Bruxelles. Et cette possibilité de retrait des œuvres a toujours été mise sur la table. Il ne faut pas fermer la porte à cela. Même si ce n’est pas l’option qui permet le débat."

Ric Hochet, les Schtroumpfs…

A ce jour, sur les 67 fresques du parcours, 30 disposent d’un QR code et 15 renvoient vers une notice explicative, la plupart pour leur caractère polémique. Exemple avec celle des Schtroumpfs, près de la gare centrale, qui pose question pour son personnage stéréotypé de la Schtroumpfette (le syndrome de la Schtroumpfette). Idem pour celle illustrant un Ric Hochet jugé trop viril, sauvant une femme (qui ne porte pas de nom de famille) en détresse, rue des Bons Secours. Vingt notices sont en cours de finalisation.

Toute fresque pourrait être contestable

Fabrice Preyat de l’ULB, le président d’ACME, le groupe de recherches multidisciplinaires sur la bande dessinée, le reconnaît : les questions liées à la "dégenrisation" et la décolonisation de l’espace public sont des thèmes sensibles.

Celui qui a participé à l’élaboration des notices au sein du Comité BD de la Ville de Bruxelles ajoute cependant qu’aujourd’hui "toute fresque pourrait être contestable. On peut imaginer des antispécistes s’emparer de fresques qui représentent des animaux, des adversaires de la grossophobie s’emparer de certains personnages sur les fresques ou dans la bande dessinée également… Mais aussi des militants laïques s’emparer de certaines fresques fort marquées par un contexte d’édition et de création BD en Belgique très lié à un milieu catholique… Il nous faut donc pondérer et modérer ce qui peut prêter à contestation sans forcément activer la polémique. Tout le travail est donc de donner la possibilité au citoyen de se faire lui-même une idée, de se construire un jugement en lui donnant les codes de l’œuvre et de l’image…"

Comment choisir un bon mur pour une fresque BD à Bruxelles ?

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Une fresque BD n’est qu’une image tirée d’une œuvre qui peut avoir, estime le chercheur, un sens moins contestable. "Il faut prendre en compte tous ces paramètres pour trouver ensuite le bon axe et donner suffisamment d’outils aux citoyens pour analyser l’image, la critiquer sans la rejeter ou demander de la retirer de l’espace public."

Une contextualisation des fresques historiques du parcours. A charge du comité bande dessinée de la Ville de Bruxelles d’anticiper, de devancer, aussi, "une réception" éventuellement "malheureuse d’une image et voir comment l’adapter au mieux à ses réalités." Le travail se poursuit donc avec les nouvelles fresques du parcours (comme "La cabane" à Laeken) qui ont fait leur apparition et pourrait soulever des questions dans un futur proche.

La bande dessinée a été affublée d’infantilisation

Une manière de rattraper l’absence de réflexion au moment de la réalisation du premier parcours BD. Si dans les années 90, on ne trouvait rien à redire sur les premières fresques, plusieurs facteurs peuvent l’expliquer pense Fabrice Preyat.

"D’abord", développe-t-il, "il y a le statut de la bande dessinée. On a estimé que c’était de la littérature pour enfants, des petits Mickey inoffensifs et naïfs… La bande dessinée a été affublée d’infantilisation. Or, la bande dessinée, c’est un discours social comme d’autres discours sociaux tel le cinéma ou le théâtre… Ils véhiculent une série de stéréotypes. En fonction de ces réceptions qui varient selon les époques, les générations et le bagage culturel des spectateurs, il faut arriver à remettre en cause ces stéréotypes. A l’époque, les pouvoirs politiques ont donc pris ce parcours BD de manière un peu légère, innocente et angélique… La bande dessinée n’a pas été prise au sérieux."

Aujourd’hui, le Neuvième art fait l’objet de recherches universitaires et a acquis un statut culturel très différent.

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