Colonisation du Congo par la Belgique : un enseignement lacunaire dans les écoles francophones belges, et congolaises

Gravure de l’époque du Congo belge

© Getty Images

Par Sarah Heinderyckx et A. Louvigny

Comment la Belgique a maltraité la population congolaise et a exploité ses richesses ? Une question qui n’est pas assez posée aux élèves des écoles francophones belges. Généraliser l’enseignement de la colonisation du Congo par la Belgique, c’est la promesse faite par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Si le sujet, on le sait, est abordé par de plus en plus de profs d’histoire aujourd’hui, il n’est pas encore inscrit en tant que tel dans les programmes.

En Belgique, la colonisation du Congo absente des manuels scolaires

Alors ce n’est évidemment pas un passé très glorieux pour la Belgique. Pendant de nombreuses années, c’est un peu comme si cette page honteuse de l’histoire avait été oubliée des manuels scolaires. Ou pire, certains manuels des années 80 faisaient encore la balance entre bienfaits et méfaits de la colonisation.

Aujourd’hui, les référentiels datent de 1999 et ils prévoient seulement que les élèves apprennent les bases du colonialisme. Aucun nom de pays n’est précisé. Certains profs peuvent donc très bien parler de l’Algérie ou du Maroc, et pas du Congo s’ils le veulent. Mais dans les faits, c’est vrai, de plus en plus de profs d’histoire abordent le sujet comme Denis De Vleeschouwer. Il est professeur à l’Athénée Royal Jean Absil, à Etterbeek. Il met un point d’honneur à enseigner cette partie sombre de notre histoire depuis des années. Pour lui, c’est une question de bon sens : "Le but n’est pas de jeter un regard moral sur un truc en disant 'Oh, ce n’est pas bien'. L’idée, c’est vraiment de comprendre comment ça fonctionne, pourquoi les choses se sont passées comme cela. Puisque la Belgique a colonisé le Congo, je ne vois pas pourquoi est-ce qu’on irait s’occuper d’un autre pays qui aurait colonisé un autre pays. Je pense qu’en tant que Belge, il faut s’intéresser principalement à la colonisation du Congo."

Notre journaliste Sarah Heinderyckx est allée à la rencontre des élèves de Denis De Vleeschouwer. Beaucoup sont choqués en apprenant les exactions de la Belgique au Congo. Il faut dire que c’est une histoire qu’ils connaissent assez mal, même si ça fait écho avec l’actualité récente et le débat sur la décolonisation de l’espace public. Ça leur permet, en tout cas, de mieux comprendre le présent, comme l’expliquent Valentin et Tracy. Ils ont 17 ans. "On comprend vraiment tout de suite pourquoi, aujourd’hui encore, il y a beaucoup de (racines) partout. C’était vraiment omniprésent à ce moment-là." Et Tracy d’ajouter : "C’est une histoire qui nous touche tous. Moi, je le sens en tant que Congolaise, mais c’est aussi l’histoire de la Belgique. C’est important de dire ce qu’il y a de bon et ce qu’il y a de mauvais tout simplement."

En RDC, des manuels scolaires lacunaires

En République démocratique du Congo, dès l’indépendance, les cours d’histoire reviennent sur la colonisation. Mais dans un premier temps, ils minimisent vraiment les abus coloniaux. Alors, depuis, les manuels scolaires restent très lacunaires. Les professeurs sur place, surtout, manquent cruellement de support pédagogique. En Belgique, le professeur peut avoir un ordinateur, un projecteur. Au Congo, il n’avait qu’une craie et un tableau. Malgré tout, Willy Tombola, professeur d’histoire à l’Athénée Victoire à Kinshasa, l’explique : il est important que les élèves congolais connaissent l’histoire de leur pays. Mais c’est au moins aussi important pour les élèves belges. "Ils ont nos matières, ils ont nos richesses. Alors c’est pourquoi ils veulent savoir d’où sont venues ces richesses. Pour moi, elles ont été exploitées, comment ils ont quitté l’Afrique ou le Congo pour la Belgique. C’est pourquoi ils veulent aussi savoir la provenance de ces richesses, la richesse qui a fait à la Belgique un grand pays, une grande puissance."

Colère, esprit de vengeance sont les premiers sentiments à chaud des élèves congolais quand ils en apprennent plus sur la colonisation. Mais l’éducation et le temps jouent le rôle pour aider ces jeunes à prendre du recul. Pembellé et Tania ont 13 et 14 ans. "Les Belges nous ont maltraités. Ils nous ont tabassés et nous ont tués. Tout ça. Pour être franc, je n’ai pas vraiment l’esprit de vengeance parce que ce sont des frères. Vous voyez ?".

"Avant, j’avais de la colère, de la haine. Moi aussi, je me disais 'Un jour quand je vais grandir, je vais remettre ça. Je vais me venger parce que les Blancs n’aiment pas les Noirsi. Je disais n’importe quoi parce que je ne savais rien. J’étais encore petite, mais en grandissant, j’ai appris qu’il ne faut pas remettre du mal au mal. Nous sommes des Congolais. L’Afrique nous apprend 'un pour tous et tous pour un'."

Pour les historiens, aller vers un récit moins eurocentré

Ça fait longtemps que les historiens belges et congolais ont la même vision critique de la colonisation et aussi très lucide sur toute la violence de cette période. Il reste peut-être quelques divergences de points de vue, mais qui font partie du débat scientifique. Historiens belges et congolais se sont d’ailleurs retrouvés à Kinshasa il y a quelques jours pour repenser l’enseignement de l’histoire du Congo, lors d’un colloque avec un premier bilan.

"On retrouve notamment l’importance de la place à accorder aux acteurs congolais dans le récit de cette histoire pour qu’on ait un récit qui soit un peu moins eurocentré (centré sur l’Europe, ndlr). L’importance aussi de replacer la période coloniale dans le temps long de l’histoire de l’Afrique et donc de rappeler à quel point l’Afrique a eu une histoire super riche avant le début de la colonisation. Ça permet aussi de changer un peu le regard sur cette période particulière" explique Amandine Lauro, chercheuse qualifiée FNRS et professeur d’histoire à l’ULB.

Changer le regard, améliorer l’enseignement de cette période chez nous. C’est justement l’objectif de la ministre actuelle de l’Éducation. Caroline Désir s’est rendue dans une école en RDC pour suivre un cours d’histoire et échanger avec des élèves. Elle a participé au colloque sur l’enseignement de l’histoire. Elle a rappelé la volonté politique de généraliser l’enseignement de l’histoire du Congo et de la colonisation en secondaire.

Ce sera chose faite grâce au nouveau référentiel du tronc commun, mais il faudra attendre 2027 pour qu’il soit effectif en deuxième secondaire. D’ici là, la ministre compte soutenir les profs qui veulent déjà avancer. "Si on doit attendre 2027, évidemment pour avoir des changements en la matière, c’est un peu long. Et donc, ce qui nous semble utile aussi et surtout, c’est d’équiper correctement les professeurs qui souhaitent s’engager évidemment dans l’enseignement de cette partie de notre histoire de la Belgique. Et il y en a déjà beaucoup qui le font et qu’ils le font très bien. Je voudrais le souligner. Donc, on doit les équiper davantage en leur proposant des ressources pédagogiques adaptées."

Soixante ans après l’indépendance du Congo, "il est temps, dit la ministre, de faire la paix avec le passé". Il y a donc de l’espoir pour que tous les jeunes Belges et Congolais connaissent mieux ce pan important de leur histoire pour mieux construire aussi leur avenir.

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