Chroniques

Colruyt au secours des syndicats de Delhaize

Les coulisses du pouvoir

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Par Bertrand Henne via

Faut-il changer les règles du jeu et revoir les conditions de travail dans le commerce de détail alimentaire ? Les syndicats le demandent depuis le début. Aujourd’hui ils trouvent un allié de circonstance chez l'un des gros employeurs du secteur : Colruyt. Le gouvernement est invité à agir.

Ubérisation

Depuis le début du conflit, les syndicats portent un message : attention, ce conflit ne concerne pas que Delhaize, il concerne un combat plus général contre le moins-disant social dans le commerce, un combat contre une forme d’ubérisation. Les syndicats dénoncent que, par le recours à la franchise, des grandes enseignes peuvent accéder à des conditions de travail plus flexibles et moins avantageuses financièrement pour les salariés. Le modèle de la franchise, qui s’appuie sur des indépendants, permet aussi largement de contourner les syndicats.

Cet argument leur est d’ailleurs reproché par certains à la droite du spectre politique. Les syndicats se battraient avant tout pour eux-mêmes. Or, chose très inhabituelle dans un conflit social, le principal employeur du secteur, concurrent direct de Delhaize, vient à plusieurs égards de donner raison aux syndicats.

Une lettre

Colruyt qui avec Lidl ou Aldi est encore dans un modèle intégré, classique. Dans une lettre au ministre de l’Emploi, le groupe s’inquiète de voir ses concurrents, comme Delhaize, Albert Hein ou Carrefour choisir massivement la franchise pour s’implanter. Colruyt n’utilise pas le même vocabulaire que les syndicats, mais les rejoint en partie. Il parle de déséquilibre historique entre les commissions paritaires qui fixent les conditions de travail pour les magasins intégrés et les magasins franchisés.

Colruyt, groupe coté en Bourse, dénonce dans ce courrier cité par l’Echo qu’aujourd’hui, "les entreprises peuvent s’organiser de telle sorte qu’elles relèvent de la commission paritaire destinée aux très petits indépendants, et se diviser en entités plus petites, même s’il s’agit essentiellement de plusieurs magasins exploités par un seul entrepreneur."

Bref ce qu’en langage syndical on appelle de l’ingénierie sociale.

Et ce n’est pas fini, Colruyt évoque aussi l’aspect social : “Les différences créent surtout une injustice sociale : des employés ayant la même fonction et les mêmes tâches dans un supermarché gagnent jusqu’à 400 euros de moins par mois lorsqu’ils appartiennent à la commission paritaire des magasins franchisés. C’est difficilement justifiable."

Bref ce qu’en langage syndical on appelle du moins disant social.

Intérêt

Bien sûr, Colruyt n’intervient pas dans ce débat par pure grandeur d’âme. Il y va d’abord de ses intérêts bien compris. D’abord Colruyt tente de redorer son blason d’entrepreneur responsable et d’enfoncer encore un peu plus l’image déplorable de Delhaize. Ensuite c’est aussi son intérêt direct de dénoncer les concurrents qui lui taillent des croupières en utilisant massivement la franchise. Enfin Colruyt ne dit pas qu’il faut harmoniser vers le haut toutes les conditions de travail. La phrase exacte est “de parvenir à un paysage concurrentiel équitable en matière de salaires et de conditions de travail, où il y a de la place pour les deux formules", franchisés et intégrés.

Malgré tout, l’intervention de Colruyt vient de donner une nouvelle dimension à la crise de Delhaize. Cela pousse l'idée d'une vaste table ronde dans le secteur du commerce entre patrons et syndicats. Mais cela pourrait aussi pousser le gouvernement fédéral à agir. Car Colruyt conclut sa lettre par ces mots : "Si aucun ajustement n’est apporté au système, le modèle du commerce intégré risque de disparaître à long terme."

La question qui est donc posée maintenant, est très politique : est-ce que, à défaut de concertation sociale, le gouvernement veut intervenir pour éviter ce glissement massif vers la franchise et le moins disant social ? Un débat qui est loin d’être simple. Un analyste du secteur comme Stefan van Rompaey du site Retail Detail annonce déjà une hausse des prix et un massacre pour l’emploi si on harmonise vers le haut les conditions de travail de tout le commerce.

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