Dans cet essai cinématographique adressé à sa fille, le réalisateur français Bertrand Bonello laisse s’échapper les angoisses cristallisées par la crise sanitaire.
Que dit le cinéma des confinements de 2020 et 2021 ? Au final, pas grand-chose : à quelques exceptions près, le septième art a mis de côté cette période trouble, peu soucieux de mettre en scène cette expérience à la fois solitaire et collective, vécue par une grande partie de la planète. Cela n’est pas totalement surprenant : il y a quelque chose d’inconfortable à voir représenter à l’écran les tourments de ces mois aliénants.
Bertrand Bonello, cinéaste acclamé à qui l’on doit notamment "Nocturama" et "L’Apollonide", en est visiblement pleinement conscient. Pas d’échappatoire pour lui : il se plonge à pieds joints dans l’inconfort du confinement avec son nouveau film, "Coma", un long-métrage qui pourrait être qualifié d’expérimental. Conçue comme une lettre du cinéaste à sa fille, alors âgée de 18 ans, cette œuvre singulière, qui mêle vidéos YouTube, animations dessinées, stop motion et rêveries cauchemardesques, a pour personnage principal une jeune femme (incarnée par Louise Labeque), seule chez elle. Elle trompe l’ennui du confinement comme elle peut : en prêtant des dialogues et des situations scabreuses à ses poupées, en discutant avec ses amies via Zoom de ses tueurs en séries préférés, ou en regardant des vidéos de Coma, une Youtubeuse (jouée par Julie Faure) qui prodigue des conseils pour vivre mieux, tout en donnant des leçons d’allemand. Connecté à ce flux d’images et de sons déstabilisant, le film expose l’ennui, la déprime et l’horreur du confinement avec un humour mordant.
Volontiers satirique et dérangeant, le film fait particulièrement grincer des dents avec ses séquences en stop motion, où des poupées stéréotypées se comportent dans un premier temps comme des personnages d’un mauvais soap-opéra, avant de glisser vers quelque chose de plus cauchemardesque. Les phrases mélodramatiques s’entrechoquent les unes contre les autres, vides de sens, mais portées par un casting vocal étonnamment prestigieux : Laetitia Casta, Gaspard Ulliel (dans son dernier rôle), Vincent Lacoste, Louis Garrel ou encore Anaïs Demoustier prêtent leur voix à ce spectacle dérangeant.
Plutôt que de tourner complètement en dérision les objets de fascination de la jeunesse, le réalisateur les transforme en source d’horreur. Chargé de l’anxiété que le cinéaste nourrit pour l’avenir, en particulier par rapport à la crise climatique, le film nous emporte dans les limbes, lieu de terreur entre la vie et la mort. Dépourvu de vrai fil narratif, souvent cryptique, “Coma” tente de saisir un peu de l’aliénation d’une certaine jeunesse. Avec un certain succès : entre fascination et aversion, le film nous offre le portrait fragmentaire et fragmentée d’une époque pas si révolue.
"Coma" est projeté au cinéma Palace à Bruxelles, au Quai10 à Charleroi et au Churchill à Liège à partir du 11 janvier.