Genève, sur les contreforts secrets du Lac Léman : Secrets, oui, car le livre dont il est question, ''Esma'', nous parle d’un double meurtre dans une de ces villas que vous ne verrez jamais.
Une demeure posée comme une parure au bord du Léman, et que seuls les plus riches peuvent se payer. En l’occurrence, ici, la propriétaire est une star de la téléréalité. On va la retrouver morte, avant de retrouver quelques jours plus tard le cadavre d’une autre personne qui lui est très proche. Mais les ingrédients de ce polar sont bien plus originaux que ce qu’il parait de prime abord. L’enquête elle-même importe peu. D’ailleurs, d’un bout à l’autre, la police semble patauger dans la boue du lac. Les deux protagonistes que l’on va suivre, deux jeunes filles, sont les vraies héroïnes de ce livre, elles s’appellent Audrey et Esma.
Qu’ont-elles de si particulier, ces deux héroïnes ?
Audrey vit avec son grand-père et travaille dans le domaine de milliardaires où elle tombe un beau jour sur Esma, réfugiée turque sans papiers exploitée dans une des villas du coin. Un peu après leur rencontre, un soir, Esma sonne chez Audrey, terrorisée. Elle a été le seul témoin du meurtre de sa patronne. Désormais, elle le sait, sa vie est en danger. Mais surtout, il n’est pas question pour elle d’aller témoigner, car elle craint plus que tout qu’on la renvoie chez elle. Le polar est donc l’occasion de montrer la relation qui se construit entre ces deux filles, mais aussi l’absence totale de sécurité qui régit la vie de cette réfugiée, sorte d’esclave moderne soudain jetée dans une plus grande précarité encore.
Ce duo d’adolescente va-t-il résoudre l’enquête ?
Je ne vous dirai évidemment pas si deux jeunes filles sont plus fortes qu’un petit gang de tueurs lancé à leurs trousses, il serait dommage de tuer le suspense, et il y en a, dans ce polar dense de 160 pages. Mais il faut reconnaître que son auteur, Iwan Lépingle, a su mettre le focus ailleurs. Il nous emmène au cœur de son récit intimiste avec beaucoup de talent, dans une BD pleine d’atmosphère qu’il a choisi de traiter en bleu et noir, une bichromie qui se prête parfaitement aux parts d’ombre du récit et aux nombreuses scènes de nuit qui parcourent l’histoire. Le final est très sobre et très touchant à la fois. Car derrière tous ces enjeux, il y a aussi la question de la construction personnelle de ces deux jeunes femmes à l’aube de leur vie d’adulte.
''Esma'' d’Iwan Lépingle, Sarbacane