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Comment de nombreux Péruviens en sont-ils arrivés à vouloir la démission de la présidente Dina Boluarte ?

Des manifestants demandent la démission de Dina Boluarte à La Joya, dans le sud du Pérou, le 6 janvier 2023.

© AFP or licensors

Un important mouvement de contestation frappe le Pérou depuis cinq semaines. Les manifestants demandent la démission de la présidente Dina Boluarte, accusée d’avoir usurpé le pouvoir et d’avoir trahi la gauche. Pour comprendre l’origine de cette crise, il convient de revenir sur le mandat court et tourmenté de son prédécesseur Pedro Castillo, destitué et arrêté le 7 décembre dernier. Boluarte, issue du même parti, était alors vice-présidente. En succédant au pouvoir comme le veut la constitution, elle tourne le dos à son ancien collaborateur, qu’elle accuse d’avoir tenté un coup d’État. Une position qui lui vaut d’être rejetée par les fidèles de Castillo, des habitants pauvres des campagnes pour la plupart. Ce sont eux qui défilent actuellement dans la capitale Lima.

L'ex-président péruvien Pedro Castillo et l'actuelle présidente Dina Boluarte,
L'ex-président péruvien Pedro Castillo et l'actuelle présidente Dina Boluarte, © Getty

En juillet 2021, un président d’extrême gauche quasi inconnu remporte les élections à 50,12% des voix face à une candidate conservatrice. Dans un pays marqué par des scandales de corruption et une instabilité politique, Pedro Castillo représente un nouvel espoir pour les classes populaires. Durant sa campagne, il martèle sa volonté "qu’il n’y ait plus de pauvres dans un pays riche".

Castillo est alors un ovni de la politique péruvienne, profondément opposé au système politique péruvien. C’est un instituteur, descendant d’indigènes, venant d’une région très pauvre du pays. Il a comme projet d’écrire une nouvelle constitution pour remplacer celle héritée du président autoritaire Alberto Fujimori, père de Keiko Fujimori, son adversaire à la présidentielle.

Quand Castillo est élu, le pays vient de traverser six ans d’instabilité politique durant lesquelles se sont succédé six présidents différents. Tous ont dû démissionner ou se sont fait destituer pour leur implication dans des affaires de corruption.

Une forte opposition du congrès

Cette élection crée la panique au sein de l’opposition : ce président rural, qualifié de "plouc communiste" par les milieux bourgeois, pourrait s’attaquer aux intérêts des élites économiques du pays. Commence alors une guerre politique et judiciaire pour le destituer, en parallèle d’attaques médiatiques. Les principaux médias du pays, liés à la droite et à de grands groupes industriels, ne se sont pas retenus pour pratiquer une campagne de dénigrement à l’encontre du président.

Dès lors, le pays est divisé avec d’un côté une caste politique et médiatique qui s’active pour défendre ses intérêts, soutenus par un congrès conservateur ; et de l’autre côté, un président communiste qui dit porter la voix des citoyens pauvres issus des campagnes. Le Pérou devient une cocotte-minute prête à exploser à tout moment.

Par ailleurs, le Congrès a beaucoup de pouvoir au Pérou. Représenté majoritairement par des partis d’opposition, il censure quasi systématiquement les projets de loi proposés par le président ; parmi ces derniers, un projet de réforme agraire et de montée du salaire minimum. La volonté de changer la Constitution passe elle aussi à la trappe.

Castillo n’est pas pour rien dans l’échec de sa politique. Il multiplie les erreurs et se montre incapable de conserver un gouvernement stable. Novice en politique, il nomme des collaborateurs inexpérimentés ou accusés d’être liés à des organisations terroristes. Il prend aussi la fâcheuse habitude de remplacer à tour de bras ses ministres. En moins de deux ans, quatre gouvernements se succèdent. Le "premier président pauvre" décide dans les derniers mois de s’allier à des politiciens de droite, ce qui pose des problèmes de cohérence sur son orientation politique. Communiste sur le plan économique, le président reste toutefois conservateur sur le plan moral. Il se prononce contre le mariage homosexuel et pour la peine de mort.

Une tentative d’auto-coup d’État

Un an et quatre mois après son élection, Pedro Castillo est affaibli et quelque peu décrédibilisé aux yeux du peuple péruvien. C’est le moment pour le Congrès de lancer une attaque décisive. Une motion de censure (la troisième depuis le début du mandat) est votée dans le but de destituer le président le 7 décembre 2022.

Avant le vote de destitution et dans une tentative désespérée, Castillo s’exprime à la télévision afin d’annoncer la dissolution du Congrès "pour rétablir l’État de droit et la démocratie". Il accuse ce dernier de soutenir les grands monopoles industriels, qui auraient "tout fait pour tenter de détruire l’institution présidentielle".

L’opposition ne l’entend pas de cette oreille. Castillo est accusé "d’auto-coup d’État". De fait, cette tentative de dissolution est illégale car les conditions nécessaires indiquées dans la constitution ne sont pas réunies.

Plusieurs membres du gouvernement démissionnent et la vice-présidente, Dina Boluarte, reprend les mots du Congrès en dénonçant sur Twitter "un coup d’État qui aggrave la crise politique et institutionnelle." Un coup de couteau dans le dos par cette avocate de formation qui accompagnait Castillo depuis ses débuts dans l’aventure présidentielle.

Le congrès vote alors la destitution du président pour "incapacité morale". Castillo n’aura présidé que 16 mois. Il est arrêté puis incarcéré par la police alors qu’il tente de fuir le Palais présidentiel.

Le 7 décembre toujours, et conformément à la Constitution, Dina Boluarte prend les rênes du pouvoir. Elle se rapproche des forces d’opposition en nommant un conservateur comme chef du gouvernement.

Par ses prises de position et ses actions, Boluarte s’est attiré les foudres des partisans de Castillo, nombreux parmi les habitants des régions pauvres. Accusant la nouvelle présidente d’usurpation et de trahison, les Péruviens descendent dans la rue en masse. S’ensuit une terrible répression policière qui a fait plus d’une quarantaine de morts et des centaines de blessés, jusqu’à présent.

Sur le même sujet : extrait du JT du 18/01/2023

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