Comment est né le mythe de Marco Polo et des pâtes qu'il aurait ramenées de Chine ?

Au niveau technologique, on est capable de faire des pâtes à partir du VIIIe millénaire avant notre ère. C’est à ce moment-là qu’apparaissent, par hybridation, les céréales riches en gluten, au nord-est du Croissant fertile. Le gluten permet d’obtenir un pâton élastique, qui ne va pas se désagréger au cours de la cuisson dans l’eau bouillante. La poterie, récemment inventée, facilite aussi cette cuisson. On maîtrise depuis longtemps les techniques de mouture des grains, avec une grande finesse.

D’un point de vue archéologique, on n’a cependant trouvé aucune trace de pâtes à cette époque-là.

C’est au Ier siècle de notre ère que la consommation de pâtes alimentaires est avérée, à partir de la Méditerranée orientale, d’où elles vont se répandre, dans les siècles qui suivent, à travers toute la Méditerranée, dont l’Italie. On raconte ainsi que Cicéron, au Ier siècle avant notre ère, mangeait des pâtes jusqu’à avoir mal au ventre. Et le poète Horace chantait son amour pour les lasagnes – lagana -, des lanières irrégulières servies avec des pois chiches ou des poireaux.

On voit bien que le mythe de Marco Polo et des pâtes ne tient absolument pas la route, étant donné que les Romains, dans les premiers siècles de notre ère, connaissent très, très bien ces pâtes alimentaires.

Entre 750 et 1258, des recueils de recettes témoignent de la consommation de pâtes dans le califat abbasside de Bagdad, multiculturel et mélange de multiples traditions.

Au XIIIe ou XIVe siècle, dans la partie occidentale de l’empire, on voit apparaître le couscous, d’origine berbère, ou encore, dans la partie espagnole, des pâtes de type vermicelles.

Toutes ces traditions différentes vont circuler à travers toute la Méditerranée et se retrouver, dès les 12e et 13e siècles, dans les premiers textes culinaires italiens.

Au XVIe siècle, on est très perméable à la culture italienne dans les cours européennes, elle devient une véritable mode. Le maître queux Lancelot de Casteau sert des macaronis et des raviolis (des rafioules, à la sauce wallonne) à la cour du Prince-Evêque de Liège.

Les pâtes alimentaires existent donc dans l’Empire romain depuis le Ier siècle de notre ère, au moins. Il faut donc rejeter l’histoire selon laquelle Marco Polo les aurait introduites en Italie en 1293.

Toutefois, "il y a effectivement une culture ancestrale des pâtes en Chine aussi. Ce qui nous met face à un phénomène assez interpellant, c’est que, dans un mythe, on peut nous raconter des choses complètement fausses – Marco Polo a ramené les pâtes de Chine en Italie - et des choses complètement vraies - il existait une culture des pâtes en Chine depuis des siècles. C’est tout l’art de l’historien de faire la distinction entre le vrai et le faux."

Au IIIe siècle avant notre ère, les variétés du blé au gluten sont déjà bien arrivées en Chine et bien implantées dans la culture chinoise. Les pâtes se déclinent en une variété de formes différentes, dont des formes d’animaux.

Au milieu du XIXe siècle, l’immigration italienne a fait découvrir les pâtes aux Américains, qui vont en devenir de grands producteurs, même s’ils considèrent les Italiens comme les maîtres incontestables dans le domaine.

Les pâtes chinoises vont arriver aux Etats-Unis plus tard, dans les années 1870. C’est le premier pays du monde où se rencontrent les deux cultures des pâtes, italienne et chinoise, ce qui est fondamental pour que le mythe puisse prendre naissance. Autour de 1890, la primauté revient à la Chine.

Le mythe de Marco Polo et des pâtes, qui auraient été découvertes en Chine par un certain Spaghetti, date de 1929. Il a été publié dans le Macaroni Journal, l’organe de presse des fabricants de pâtes américains.

On est dans un contexte de guerre commerciale et c’est une petite attaque contre les fabricants italiens, afin de leur montrer qu’ils ne sont pas plus qu’eux à l’origine des pâtes alimentaires, explique Pierre Leclercq.

La culture populaire américaine a découvert Marco Polo en 1840, à la suite du grand traité commercial signé avec la Chine. On a alors attribué à Marco Polo plusieurs découvertes, qui font de lui un superhéros et le responsable de toute la modernité. Il y a notamment l’introduction, de Chine en Italie, de la boussole, de la poudre à canon, des prémices de l’imprimerie, voire de la crème glacée… Son image devient un produit de marketing, y compris dans le cinéma, avec The adventures of Marco Polo, avec Gary Cooper, qui montre l'explorateur découvrir les pâtes chez un vieux Chinois...

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