Comment est organisée une vente publique d’un chef-d’œuvre estimé à plusieurs millions d’euros ?

Le tableau L’Art de la conversation

© sothebys.com

Parmi les 35 lots proposés cette année dans une vente aux enchères de la société Sotheby’s, se trouve un chef-d’œuvre de Magritte inédit en vente publique. Il s’agit du tableau L’Art de la conversation, signé du peintre belge, maître du surréalisme, en 1950. Interrogée sur La Première, Virginie Devillez, spécialiste dans l’art impressionniste, moderne et contemporain chez Sotheby’s comme spécialiste en art impressionniste, moderne et contemporain, explique comment on peut estimer la valeur d’une telle œuvre : "Nous avons mis une estimation basse et une estimation haute. On a estimé l’œuvre de 9 à 12 millions, donc on dira que la moyenne est pour l’instant à 10,5 millions. Comment fait-on ? On a évidemment une série de comparatifs. Dans le marché de Magritte, on serait bien étonnés, mais certaines œuvres peuvent effectivement faire autour de 10 millions et d’autres seulement un ou deux millions. Ça dépend du sujet, de la période. Par exemple, cette œuvre-ci est très importante et elle date de 1950. Elle représente un peu la quintessence de ce que le marché recherche chez René Magritte. Ce qui rend ici le tableau particulièrement désirable, c’est qu’on retrouve le mot, et pas n’importe quel mot, le mot 'amour', sauf qu’il faut savoir que les tableaux de Magritte, les fameux tableaux mots, il les a surtout faits dans les années 20. Ici, il reprend son thème de prédilection, mais qui atteint une autre dimension parce que le mot se fond avec le paysage. Et ce qui rend aussi très désirable ce tableau, c’est qu’on retrouve à l’arrière-plan une figuration de ce qui rappelle le fameux Empire des lumières de René Magritte, avec une maison dans la nuit, avec un croissant de lune. Ces différents éléments font donc qu’on est dans une œuvre très caractéristique, très poétique, très recherchée, d’où cette estimation".

Période vache

Virginie Devillez évoque le contexte de la création de cette œuvre : "1950, c’est le retour de Magritte aux peintures telles qu’il faisait dans les années 30, c’est-à-dire extrêmement poétiques, avec une réflexion. Magritte est sorti de la Seconde Guerre mondiale avec une tout autre façon de peindre, parce qu’il s’était disputé à l’époque avec André Breton, et il avait fait ce qu’on appelle le 'surréalisme en plein soleil', dans un style Renoir et avec des couleurs très criardes. Et il y avait eu sa fameuse période vache, qui était une peinture très caractéristique, et le nom 'vache' n’est pas anodin. Au début des années 50, Magritte rencontre Alexandre Iolas, qui va devenir son grand marchand et qui va lui ouvrir les portes du marché américain, et Magritte décide de retourner à l’essence même de sa peinture. On est en 1950 et c’est à partir de là qu’il va peindre toutes les séries de tableaux qu’on connaît si bien. Et L’Art de la conversation s’inscrit dans une série de quatre tableaux qui s’appellent tous L’Art de la conversation, et il y en a un qui se trouve au Musée des Beaux-Arts de Verviers, et qui représente par exemple le pendant négatif de l’amour, puisque c’est un taureau qui est poignardé avec le mot España ensanglanté".

"Magritte a envoyé ses toiles aux États-Unis en 1950 à son marchand, Alexandre Iolas, qui allait donc vendre beaucoup d’œuvres aux États-Unis et même obtenir la consécration pour Magritte avec une exposition au MoMA, à New York. Sauf qu’après quelques mois, Magritte a demandé que lui revienne la toile parce qu’il l’aimait vraiment beaucoup. Mais Magritte était aussi quelqu’un qui avait envie de bien vivre. Il avait connu quand même beaucoup de vaches maigres. Magritte, en 1950, a 52 ans et le succès n’arrive vraiment qu’à ce moment-là. Et donc, quelques années plus tard, il va quand même céder personnellement l’œuvre à son avocat à New York, qui s’appelait Harry Torczyner", raconte-t-elle.

"Rien n’est laissé au hasard"

"Aujourd’hui, le marché n’est plus du tout dominé par les institutions. Elles n’ont malheureusement plus les moyens d’intégrer de tels chefs-d’œuvre dans leurs collections et ce sont souvent des privés qui achètent. Dans une telle vente publique, rien n’est laissé au hasard, et heureusement, parce qu’on ne se retrouve pas à la dernière minute avec une œuvre estimée de 9 à 12 millions d’euros en se demandant qui va lever la main. On prépare ça vraiment des semaines à l’avance. Ça fait une semaine que l’œuvre est exposée à Paris. Nous avons organisé beaucoup d’événements pour faire venir des amateurs. Il faut savoir aussi que des œuvres aussi importantes ont déjà été montrées à New York et Hong Kong parce que les grands collectionneurs ne savent pas toujours se déplacer, ce qui fait que le marché américain et le marché asiatique ont pu les voir de visu, ce qui est vraiment très important. On sait donc déjà qu’il y a des amateurs", conclut-elle.

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