Déclic

Comment Giorgia Meloni et l'extrême droite italienne s'approprient... "Le Seigneur des Anneaux"

Déclic et des claques

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Giorgia Meloni et son parti d'extrême-droite Fratelli d'Italia ont gagné les élections législatives en Italie. Ce parti post-fasciste ancre son idéologie dans un livre... qui n'a rien à voir avec un livre de théorie politique mais dans un monument de la pop culture : Le Seigneur des anneaux. Explications dans Déclic.

Le jeudi 22 septembre, en plein cœur de Rome, sur la Piazza del Popolo, la foule des drapeaux bleus et blancs s'agite pour un des derniers meeting de Giorgia MeloniSur la scène, se trouve Pino Insegno, célèbre comédien de doublage. Il a été la voix italienne Ned Flanders, de Sherlock Holmes, de Mohammed Ali... Il va inviter la candidate et il prononce cette phrase : "Le jour de la défaite viendra, mais ce n'est pas aujourd'hui"Giorgia Meloni entre sur la scène.

Cette phrase est (en fait) une référence directement tirée d'une œuvre littéraire et cinématographique emblématique : Le Seigneur des anneauxLe comédien Pino Insegno, qui introduit le meeting de Giorgia Meloni, est aussi la voix italienne d'Aragorn, le grand brun ténébreux joué par Viggo Mortensen dans les films de Peter Jackson, adaptations de l'œuvre (évidemment) de Tolkien.

Les héros de la droite dure

Cette introduction liée au Seigneur des anneaux n'est en réalité pas si étonnante. Georgia Meloni est absolument fascinée par ce livre. Elle disait, la semaine dernière, au New York Times, que Le Seigneur des anneaux n'était pas seulement sa saga préférée... C'est pour elle "un texte sacré".

Elle ne considère pas cette œuvre comme de la fantasy. Le livre n'est pas simplement une fiction. C'est une base idéologique sur laquelle elle s'appuie... et elle n'est pas la seule dans son camp politique. Le quotidien américain écrit à ce sujet que depuis un demi-siècle, Le Seigneur des Anneaux a été un pilier central sur lequel les descendants du post-fascisme ont reconstruit l'identité de la droite dure...

Dès les années 70, les membres du Front de la Jeunesse (branche jeune du MSI, parti néo-fasciste) se sont tournés vers cet univers mythique traditionnaliste pour trouver des symboles, des héros, des mythes qui sont libérés des tabous fascistes.

© Antonio Masiello/Getty Images

La relecture néo-fasciste de Tolkien

Comment s'est opéré ce glissement de l'extrême droite postfasciste italienne vers le Seigneur des Anneaux ?

En 1970 sort une traduction italienne du Seigneur des Anneaux. La préface est signée par un certain Elemire Zolla, philosophe, référence pour la droite dure, qui va amener une interprétation néo-fasciste et traditionaliste de Tolkien.

Elemire Zola écrit que "Tolkien parle de tout ce à quoi nous sommes confrontés tous les jours"Et à l'époque, les jeunes du Front de la jeunesse se rassemblent autour de cette idée. Ils se voient comme les habitants de la Terre du Milieu, qui se battent contre des invasions de dragons, d'orcs et de créatures malfaisantes.

Tolkien, qui est un écrivain catholique, conservateur, antimoderne, expliquait qu'il voyait le Mordor comme une allégorie des forces visant à la destruction de la civilisation chrétienne. On comprend comment ce dispositif narratif ancré dans un contexte médiéval peut parler à ces jeunes du front de la jeunesse italien. En 1977, ils vont créer des événements appelés Campo Hobbit.
Du nom des hobbits... Ce sont des festivals où cette extrême-droite se rencontre pour écouter de la musique et discuter de politique.

Giorgia Meloni qui est née en 1977 n'a évidemment pas participé à ces campi hobbit, mais elle est l'héritière de cette culture particulière qui s'appuie sur une pure fiction pour créer de l'idéologie.

Le phénomène récurent de la post-vérité

Cette revendication idéologique, à l'heure où l'Italie s'est retournée vers l'extrême droite, refait surface.

On dit souvent que l'Italie a été pionnière dans l'émergence et la formation des populismes. Avec Silvio Berlusconi, notamment.

Or, un des vices contemporains des populisme, c'est la post-véritéQuand la limite entre mensonge et vérité se brouille (on l'a appris avec Donald Trump, le président américain).

La post-vérité c'est aussi l'idée que la fiction vaut autant que la réalitéQue les faits ne sont pas l'étalon de base, le dénominateur commun pour raconter et pour agir sur le monde. Quand Giorgia Meloni dit que pour elle, Le Seigneur des Anneaux ce n'est pas une univers fantastique, c'est un récit politique sur le monde dans lequel nous vivons, on sent quand même les mécanismes de la post-vérité. Mais des mécanismes qui donc, on été enclenchés (en Italie) dès les années 70.

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