"Des pressions ? Mais évidemment que ça existe ! Et elles proviennent vraiment de tous les milieux : politique, économique, sportif, et même culturel." Bruno Clément, Référent Info "Nous" à la RTBF sait de quoi il parle : ancien éditeur et présentateur de Questions à la Une, ex-rédacteur en chef du JT, il y a été – et y est encore – confronté. Il nuance toutefois : "moi, j’ai l’impression qu’elles ne sont pas si fréquentes que cela…"
Pas si fréquentes, peut-être, mais lourdes à gérer ? "Oui bien sûr : il y a des pressions que je qualifierais de "normales", des gens mécontents qui nous appellent, envoient des mails, s’indignent, a priori ou a posteriori, que l’on puisse faire tel ou tel sujet. On écoute, on répond et on ne s’interdit rien.
Et puis il y a les plaintes devant les tribunaux ou au Conseil de Déontologie (CDJ), qui sont plus contraignantes."
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"Ce n’est pas du côté du service juridique de la RTBF qu’on se retrouve avec les coups de fil de politiciens mécontents", commente le juriste Stéphane Hoebeke. "Cela, ça se passe dans d’autres sphères, dans différentes circonstances aussi. Ici, on traite avant tout des plaintes et recours judiciaires ou devant le CDJ, qui sont le plus nombreux." 100 à 120 dossiers traités par an.
Mais au chapitre pressions diverses, le juriste ajoute aussi les attaques ad hominem et le harcèlement sur les réseaux sociaux, les violences verbales et physiques sur le terrain ("en augmentation depuis la pandémie de Covid et les manifestations"), les questions parlementaires à la ministre des Médias, voire une utilisation de la Médiation de la RTBF. "En tout cas, nous nous saisissons du problème dès qu’une personne est nommément citée."
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Journalisme d’investigation, journaliste soumis à pressions
Les pressions, c’est en tout cas un peu le quotidien des journalistes d’Investigation. Emmanuel Morimont, a travaillé à Questions à la Une (QALU) et est aujourd’hui au magazine Investigation. "Moi, je dirais que les pressions, elles sont plutôt en augmentation. Peut-être, aussi, parce que le temps d’enquête pour Investigation est plus long que pour QALU. Et qui dit un travail de recherche plus long, dit aussi recherches plus approfondies encore, et le risque de déranger certaines personnes."
Fabrice Gérard, journaliste Société a réalisé 6 longs formats d’enquête, pour QALU et Investigation. Et s’est retrouvé incriminé à 4 reprises. "A part un cas, où nous avons été condamnés, la RTBF et moi, à un euro de dommages et intérêts, les autres cas de plaintes, au CDJ et en justice, nous les avons gagnés.
Je me suis senti soutenu
Au rayon pressions politiques, je me souviens d’un sujet pour Investigation dans lequel je voulais interviewer le ministre de la Justice. Pendant 4 mois, j’ai tout tenté, impossible de fixer un rendez-vous, il estimait qu’il n’était pas responsable. Alors à un moment, on a fait le forcing, et on a tenté de décrocher une interview au débotté. Il n’a pas apprécié, a téléphoné à la responsable éditoriale en se plaignant de la méthode. Justine Katz est revenue m’en parler et je lui ai démontré que tout avait été fait dans les règles. Un épisode désagréable, mais je me suis senti soutenu par ma hiérarchie.
Je résumerais les pressions comme ceci : les pressions politiques, ça existe, et elles sont insidieuses, elles passent par une série de canaux informels, et notamment ta hiérarchie ; les pressions économiques, elles, sont plus directes et brutales : on sort l’armée d’avocats."