Nous avons parfois des idées un peu préconçues sur le cerveau, mais en fait le cerveau évolue toute la vie. On pourrait presque parler de "moments" du cerveau : il y a le cerveau de l’enfance jusqu’à l’adolescence qui est le cerveau un peu immature, puis il y a le cerveau qui arrive à maturation avec le sommet vers 30 ans. Ensuite, il y a le processus d’évolution du cerveau et du vieillissement, dont nous avons parlé avec le Docteur Pierre Schepens, psychiatre et Directeur de la Clinique de la Forêt de Soignes.
Une neurogenèse bien réelle
Il y a récemment eu une petite découverte qui a fait une révolution. Beaucoup d’entre nous on appris que l’on naît avec un certain nombre de neurones, et qu’ensuite on les perd au fil du temps. En réalité il y a une vraie neurogenèse : 1,75% des neurones se reconstituent à partir de rien pendant l’évolution, dans les zones de l’hippocampe et le cerveau émotionnel, pour affiner le fonctionnement du cerveau. Il y a donc deux grandes étapes dès le 28e jour, in utero, où le cerveau commence à se développer à une vitesse folle. Ensuite, le bébé naît avec un cerveau qui n’est pas encore à maturité. Il y a 100 grammes de circonvolutions et de connexions, de choses à mettre en place. On peut notamment observer la capacité de pouvoir reconnaître les parents, puis la capacité d’améliorer la praxie, d’arriver à s’asseoir, à tenir debout, tout cela sous-tend le développement du cerveau et la compréhension du langage qui commence à arriver avec des mots simples.
Plus tard, le cerveau arrive, vers 4-5 ans, à un état de relative stabilisation. Ensuite, il se réveille au moment des processus d’adolescence. Ce qui explique que parfois certaines maladies comme la schizophrénie apparaissent à ce moment-là, lorsque le cerveau rentre dans sa phase de maturation finale, qui peut aller jusqu’à une trentaine d’années. C’est à ce moment que les pathologies et les fragilités de départ, qui se manifestaient peu, se mettent en route. C’est un vrai problème car la période fragile au niveau physiologique, c’est aussi la période nécessairement fragile au niveau des relations avec ses parents quand on est adolescent. Le cerveau est également en état de stress à cette période. Pour les adolescents, par exemple, le cerveau continue à se développer jusqu’à 25-30 ans. À l’entrée de l’adolescence, le cortex préfrontal, le grand organisateur cognitif-conscient-volontariste qui met de l’ordre dans tout ça et certaines zones du cervelet, sont des zones qui ne sont pas très bien développées. Le cerveau émotionnel occupe plus de place, ce qui explique le paroxysme d’explosivité, la difficulté de tenir les journées à l’école, etc.
Des choses qui font du bien et un stress limité pour le bien-être de son cerveau
Le cerveau féminin atteint son pic maturité de 1 à 3 ans avant celui des hommes. Après 80 ans, le cerveau masculin s’atrophie plus vite que le cerveau féminin. À tel point qu’il y a une étude sur la maladie d’Alzheimer qui cite comme facteur de risque simplement le fait d’être un homme. Le cerveau évolue tout le temps, et cette neurogenèse qu’on n’imaginait pas, c’est une chose relativement récente. Au-delà de ça, tout ce qui compte beaucoup c’est la substance blanche, les capacités de connexion ou ce qu’on appelle la plasticité neuronale qui continue à se développer. Après 50 ans, le cerveau commence à vieillir.
Peut-on améliorer le cerveau ? Ça a l’air bête, mais il suffit de faire des choses qui font du bien et de limiter le stress. Notamment le stress moléculaire, donc les abus en général (alcool, drogue, substances…). Des études ont été faites aussi au sujet des Oméga 3 et Oméga 6, d’avoir une activité physique, d’exercer son cerveau, de garder le sens de la créativité car cela est important à chaque moment de la vie. Cette plasticité neuronale est au cœur du fonctionnement du cerveau, qui n’est pas une sorte d’ordinateur avec une carte mémoire très puissante. On le voit auprès de personnes qui récupèrent après un AVC par exemple. Ce sont des phénomènes de reconstruction qui permettent d’emprunter des "contre-allées" et de continuer à fonctionner. On reconstruit des routes en permanence.
Dans notre culture, on médicalise beaucoup les choses. Mais dans certaines cultures, comme les cultures asiatiques, on considère que finalement l’évolution est bien faite et que quand on vieillit on perd un peu la mémoire immédiate, mais on garde la mémoire ancienne. Ce qui permet de transmettre quelque chose, car quand on est vieux le temps de vie se réduit et l’évolution du cerveau fait qu’on ne peut se concentrer finalement que sur des choses bien ancrées qu’on peut transmettre aux générations suivantes. C’est une version un peu plus poétique que la maladie d’Alzheimer…
Les animaux, moins affectés par le vieillissement
Quand le vieillissement arrive, cela veut dire que l’on n’a pas juste un capital érodé au terme de la vie et puis qui disparaît. Il arrive souvent pour trois raisons parce qu’on a une dégradation au niveau des synapses (ce qui assure la transmission de l’information cérébrale entre les neurones, qui perdent un peu de leur agilité). La deuxième raison, ce sont les autoroutes de la substance blanche, cette fluidité qui contient quelques nids-de-poule. Cette substance blanche s’appelle la myéline et elle permet à l’information de circuler. La troisième raison, ce sont les problèmes circulatoires vasculaires, car l’activité cérébrale est corrélée avec la vascularisation. Quand celle-ci est moins bonne, le cerveau fonctionne alors moins bien. Les personnes qui ont des problèmes vasculaires, qui n’ont pas d’activité physique, qui ont beaucoup bu, fumé, consommé des produits, qui mangent beaucoup de sel et de sucre, tout cela a aussi un impact sur le cerveau. Il y a aussi les maladies, le stress, l’impact de la société finalement sur le cerveau ! La dépression, l’anxiété, sans même parler des grandes pathologies psychiatriques.
En ce qui concerne le vieillissement du cerveau, certaines zones sont liées à la captation de la mémoire et au maintien de la mémoire qui s’émoussent un peu au fil du temps. Ce qui explique certains trous de mémoire. Beaucoup de personnes s’inquiètent face à ces oublis, d’autant plus s'il y a des antécédents familiaux. On se demande alors vite si on ne va pas devenir malade à son tour.
Les animaux vieillissent aussi et la nature est toujours bien faite. En effet, les animaux qui ont généralement une durée de vie plus courte que les humains, ont aussi un vieillissement du cerveau, mais ils sont moins affectés sur les zones de mémoire par rapport à l’être humain. Ils ont beaucoup moins de trous de mémoire. Leur cerveau va vieillir aussi, mais avec moins de troubles de mémoire.
Finalement, il semble qu’il y a quand même certains gènes qui sont impliqués dans le vieillissement général du corps. Notamment sur les branches d’ADN, il y a quelques bouts qui s’érodent de chaque côté. Puis quand il n’y en a plus, c’est une sorte de déterminisme, a priori, qui fait que certaines personnes vivent plus longtemps que d’autres. La rapidité d’érosion dépend de la qualité de vie que l’on a et de la qualité de ce qu’on mange. On peut aussi garder cette idée qui explique que quand une personne âgée s’en va, c’est une bibliothèque qui s’en va...