Belgique

Comment lutter contre la haine sur les réseaux sociaux ?

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Par Hugues Angot

C’est un procès inédit qui s’est ouvert ce lundi. Un homme d’une quarantaine d’années a tenu sur Facebook, des propos haineux et menaçants envers les femmes. Juridiquement, les faits sont assimilés à un délit de presse. Et ce genre de délit est très rarement poursuivi par la justice car la Constitution prévoit qu’il soit jugé en cour d’assises. QR l’actu fait le point sur cette affaire avec Carine Doutrelepont, professeur de droit à l’ULB, spécialisée en droit des médias et Karim Ibourki, président du CSA, conseil supérieur de l’audiovisuel.

Pourquoi un procès d’assises ?

Un procès d’assises, c’est une procédure très coûteuse et qui génère une grande publicité, ce n’est donc pas le lieu le plus approprié pour traiter de ce genre d’affaire même si la constitution le prévoit actuellement, estime Carine Doutrelepont. "A l’heure actuelle, comme ces faits doivent être jugés à la cour d’assises et que cette procédure est très lourde et très coûteuse, il y a une certaine impunité qui s’est installée. D’où cette réflexion amenée par un certain nombre d’observateurs, de correctionnaliser ce genre de fait. Ce serait beaucoup plus simple à juger. Ici, on doit considérer que l’affaire était à ce point sérieuse, qu’elle nécessitait sans doute un renvoi devant la cour d’assises".

Différence entre haine et injure ?

L’injure peut être qualifiée pénalement tout comme la haine qui peut amener à des comportements là aussi interdits comme la haine raciale par exemple. Tout est évidemment une question de gradation explique Karim Ibourki. "Il est important d’analyser à qui s’adressent les propos. Il faut distinguer la personnalité publique, du citoyen privé. On aura tendance à être plus tolérant pour une personnalité publique même si tout n’est pas permis bien entendu".

Et quid de la liberté d’expression ?

Pouvoir contester quelqu’un ou exprimer son désaccord par rapport à des idées est bien entendu tout à fait permis. Par contre, avoir un discours de haine ou d’incitation à la haine est considéré comme pouvant faire l’objet de poursuite en droit belge. Mais qu’en est-il de la caricature ou du blasphème ? Ne peut-on pas considérer cela comme une injure ? Pour Carine Doutrelepont, il ne faut pas tout mélanger. "La caricature fait partie de notre liberté d’expression. Quant à l'idée du blasphème, là encore il ne peut contrevenir à liberté d’expression. Par contre, l’injure peut être poursuivie".

Réseaux sociaux, responsables du contenu ?

La télévision ou encore les journaux sont considérés comme des éditeurs de contenu. Ils ont donc une responsabilité éditoriale. Actuellement, les plates-formes comme Facebook ne sont pas considérés comme des éditeurs et donc ne peuvent pas être tenus pour responsables. "Les réseaux ont une responsabilité d’hébergeur, et si un contenu est illégal, ils doivent le retirer. En ce moment, il y a un règlement européen qui est en discussion, et qui devrait davantage responsabiliser les réseaux pour ne pas laisser de contenus haineux sur leurs plateformes", explique le président du CSA.

Qui contrôle ?

Pour Karim Ibourki, le contrôle est en discussion au sein de la Commission européenne : "Au sein de chaque État membre, il va y avoir un responsable du contenu digital et au niveau européen, il y aura une assemblée qui pourra délibérer des problèmes qui lui seront soumis. Ce que nous souhaitons en tant que régulateur, c’est de pouvoir s’adresser directement aux plateformes. Aujourd’hui, elles sont toutes ou presque hébergées en Irlande et donc ce dialogue n’est pas toujours évident".

Quid des créateurs de page ?

Créer une page sur Facebook implique un certain nombre de responsabilités précise Carine Doutrelepont. "Les modérateurs ou créateurs de page sur Facebook par exemple ont bien une coresponsabilité. Il y a un arrêt de la Cour européenne de justice dans ce sens. Bien entendu, on peut demander à Facebook de retirer un contenu ou de bloquer l’information mais on peut aussi engager la responsabilité du créateur de la page".

Bannir les auteurs ?

Le bannissement provisoire existe sur les réseaux sociaux avec par exemple 3 jours de sanction si on a publié quelque chose qui serait contraire aux valeurs de Facebook, mais peut-on envisager d'aller plus loin dans les sanctions ? Dans le projet de réglementation européen, il y a une obligation pour les grandes plateformes de collaborer avec les autorités pour les auteurs de propos particulièrement graves.

Le contenu terroriste par exemple doit être retiré dans l’heure s’il est demandé par une autorité. Donc il y a une certaine collaboration entre réseaux sociaux et autorités, explique Karim Ibourki. Par contre, il faut aussi être prudent en ce qui concerne la liberté d’expression. "Notre valeur principale en démocratie doit être la liberté d’expression. Alors si on évoque la question de l’anonymat qui peut être problématique chez nous, si on pense à des contenus injurieux, dans certains pays non démocratiques, c’est l’anonymat qui peut protéger".

 

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