"Love, love, love, dit-on en Amérique, Lioubov en Russie Soviétique, Amour aux quatre coins de France ; Moi je crois, crois, crois qu’avec tous ces mots-là là là, la paix enfin aura un jour sa chance." Ce refrain en apparence un peu candide est signé d’un groupe que vous connaissez certainement : Les Poppys, cette chorale d’enfants français ultrapopulaire pour ses ballades pacifistes dans les années 1970. "Love, Lioubov, Amour" est la face B du 45 tours qui contenait le célèbre "Non, non, rien n’a changé" en 1971. À l’époque, les préoccupations sont la guerre du Viêt Nam… et la Guerre froide. 50 ans après, force est de constater que peu de choses ont changé : certes la Russie n’est plus soviétique, mais elle est bel et bien en guerre, et les angoisses des enfants de l’époque sont sans doute les mêmes que ceux d’aujourd’hui. Alors, que leur dire devant les images de chars, de bombardements, de civils en exode sur les routes ? Faut-il aborder le sujet avec vos enfants ? Si oui, comment ?
"Papa, pourquoi il y a la guerre ?" Cette question, vous l’avez peut-être entendue de la bouche de vos enfants à la maison cette semaine, à l’heure du souper, devant le JT. L’invasion de l’Ukraine par les troupes russes a saisi grands et petits. Mais si les adultes sont en principe plus outillés pour comprendre les tenants et aboutissants, à 8 ou 9 ans, des concepts entiers leur échappent. Faut-il pour autant éviter d’aborder le sujet ? Certainement pas, selon Monique Meyfroet, psychologue pour enfants : "Même si les parents essayent de les protéger des informations en éteignant radio, télévision ou internet, les enfants vont en entendre parler. Ça percole très vite. Dans leur entourage, il y a toujours quelqu’un qui sait et va dire quelque chose – et pas nécessairement de manière juste d’ailleurs. La première chose à se dire, c’est donc que les enfants sont au courant de ce qu’il se passe."
Les enfants sont de véritables éponges émotionnelles
Selon notre interlocutrice, il est donc important de fournir des vraies informations, quitte à entreprendre la conversation même si leurs enfants ne semblent pas vouloir l’aborder. "Il ne s’agit pas de s’étaler en long, en large et en travers, mais bien de dire que oui, on est préoccupé parce que la situation n’est pas facile, qu’on pense aux gens qui, à cause d’une guerre que quelqu’un a décidée, souffrent. Mais il faut tout de suite l’associer à des paroles plutôt rassurantes", note Monique Meyfroet qui complète : "En disant par exemple que ce qui se passe en Ukraine n’a pas lieu chez nous, et qu’il faut toujours garder en tête le fait que résoudre les problèmes et les différends par la force ne mène à rien."
Attention tout de même : un enfant n’est pas l’autre, cela veut dire qu’on ne va pas leur parler à tous de la même manière. Un maître-mot : s’adapter à son audience. Il y a, par exemple, des enfants beaucoup plus anxieux que d’autres. "C’est le cas autour de 6, 7 ans, pour Mme Meyfroet. À cet âge-là, ils sont beaucoup dans l’approche de la mort, dans les cauchemars, les rituels comme regarder sous le lit si un monstre ne s’y trouve pas. Avec eux, ce n’est pas le moment pour insister lourdement sur les choses."
Parlez de votre propre vécu
Car, que vos enfants s’adressent à vous ou non, il faut garder en tête également que ce sont en revanche de véritables "éponges" émotionnelles. Très jeunes, ils sont en effet sensibles à leur environnement et " absorbent " les émotions, pour le meilleur mais aussi pour le pire. "Au-delà de ce magma d’informations, que les petits comprennent plus ou moins, c’est surtout l’état psychique de leurs parents qui les préoccupe. La communication des émotions, et encore plus celles qui sont tues, c’est extrêmement important. L’enfant a besoin de son parent, et il a besoin de le maintenir en bonne santé, si je peux dire ça de manière aussi banale. Mais voilà, tous les enfants n’iront pas sonder leurs parents d’eux-mêmes, de peur de les mettre mal à l’aise" révèle notre experte. Parent, un conseil : parler de votre propre vécu et de ce que vous ressentez.
Mais alors, sur quel ton le faire ? Question délicate, d’autant qu’il n’est pas toujours aisé de rester réaliste sans se montrer alarmiste. Une chose est sûre : le discours doit être rassurant. Les sentiments comme la peur et la colère sont acceptables et humains. "Quand on voit un enfant relativement jeune et préoccupé, on peut lui dire qu’il ne va pas nous arriver des malheurs à nous, mais qu’on peut être tristes, un peu inquiets, se demander comment les choses vont se passer même si on sait que nous ne serons pas attaqués, ça, c’est quand même important à dire" insiste la psychologue Monique Meyfroet.
Les bons VS les méchants ?
Reste qu’au-delà de la communication de ses émotions, il faut trouver un ressort narratif compréhensible et nuancé de la situation. Sans nécessairement en attendre une réponse précise, complète et encyclopédique, les enfants veulent avant tout connaître le positionnement de l’adulte. Exercice d’équilibriste, surtout dans les cas de guerre, où l’enfant aura tendance à la résumer en une dispute entre bons et méchants. Mais pour notre interlocutrice, "il est important de dire qu’il y a des gens qui ont des conceptions, des gens qui ont des idées, et qui ne vont pas avec les autres et on le sait bien : on le vit tout le temps dans la cour de récréation, par exemple quand un copain a volé votre collation. Moi je ne crois pas qu’il faille édulcorer", pointe la psychologue.
Pour les jeunes ados, c’est encore différent : avec eux, il est permis d’avoir une discussion sérieuse, voire leur proposer de regarder des contenus qui décodent les enjeux, expliqués à leur niveau. (Voir ci-dessous la vidéo explicative des Niouzz, par exemple)
Ukraine : c’est quoi, une guerre ?
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En revanche, pour les ados un peu plus âgés, il ne faut pas négliger le fait qu’ils sont souvent dans des troubles plus complexes : "Forcément, quand on entend le président de l’Ukraine qui mobilise tous les gens de 18 à 60 ans, c’est difficile de ne pas se sentir concerné quand on en a 17… Donc il faut l’aborder. Mais toujours leur rappeler que c’est loin de chez nous malgré tout. Que, certes, nous nous sentons concernés parce qu’on est humain et que tout ce qui touche à l’humanité nous concerne, mais on n’en est pas à prendre les armes quand même !" alerte Mme Meyfroet.
L’info en continu : à proscrire
En revanche, à ce stade, notre experte est catégorique : il est absolument indispensable d’écarter les jeunes enfants des images, de l’information en continu. "Certaines personnes seront fascinées par les événements : c’est un ressort psychologique puissant. C’est extrêmement dangereux pour l’enfant parce qu’il pourrait croire que le conflit se passe chez lui, dans sa maison, dans son foyer et qu’il occupe tout l’esprit de ses parents."
Mais il y a image et image. Ainsi, notre psychologue conseille enfin de demander aux enfants de dessiner ce qu’ils ressentent. "C’est toujours intéressant de demander à un enfant une représentation de son monde, même pas nécessairement aujourd’hui et pas nécessairement à cause de la guerre. Notez pour cela qu’il faut être avec eux et près d’eux, de manière à pouvoir l’observer, non pas dans le but de le scruter, mais plutôt de l’accompagner."
Est-ce que ça se contamine, la guerre ?
Depuis le début de l’épidémie mondiale de coronavirus il y a deux ans, les périodes extrêmement angoissantes se succèdent pour les enfants, à une objection près selon Mme Meyfroet : "La pandémie, nous pouvions en parler plus facilement parce que nous la ressentions tous en même temps, c’était un instant collectif. On prenait des mesures collectives. Ici, dans le cas de l’Ukraine, peut-on prendre des mesures collectives ? Certains jeunes enfants se diront : ‘’Est-ce que ça se contamine la guerre ?’’ Il faut y penser. Il faut rassurer l’enfant, ça ne se contamine pas comme le Covid-19. Ce n’est pas une attaque dirigée contre nous et nous n’allons pas devoir nous battre. Mais on ne peut pas ne pas faire ce lien avec la contamination qui se fera dans l’esprit des petits."
Parler, communiquer, échanger, dessiner, et pourquoi pas chanter ? Au hasard, "Love, love, love, dit-on en Amérique, Lioubov en Russie Soviétique, Amour aux quatre coins de France ; Moi je crois, crois, crois qu’avec tous ces mots-là là là, la paix enfin aura un jour sa chance."