La mort reste un tabou et met toujours mal à l’aise. Plus encore lorsqu’il s’agit d’un bébé. Face au deuil périnatal et à la douleur des parents, on se sent démuni. L’écart se creuse, les mots manquent et les parents souffrent en silence. Si bien qu’au moment où les parents ont le plus besoin de soutien, ils en reçoivent le moins. Ancienne doula, ou accompagnatrice à la naissance, Hélène Gérin a rencontré plus d’un parent endeuillé. Elle propose des clés pour sortir de cette dynamique.
Elle publie Dans ces moments-là - Le deuil périnatal, un livre qui permet de prendre conscience de ce qu'est le deuil périnatal et aux parents de comprendre qu'ils ont le droit de demander de l'aide et de la recevoir.
Quelle conduite adopter envers le parent endeuillé ?
Les proches, qui n'ont bien souvent pas connu le bébé, n'ont pas accès à cette réalité du deuil et manquent de repères. Ils ne se rendent pas compte de la souffrance que vivent les parents qui rentrent de l'hôpital les bras vides.
Il n'y a en réalité pas de recette de bonne conduite, chaque deuil est particulier et évolue au fil des jours. La même chose, que ce soit un contact physique, un geste, un regard, un silence, peut soutenir un jour et irriter au plus haut point le lendemain. Il est difficile de se représenter ce qui peut véritablement aider à tel ou tel moment.
Alors, comment faire pour avoir une attitude soutenante ?
- Il est important pour l'entourage de poser des questions pour pouvoir s'ajuster : "Est-ce que ça te fait du bien que je te prenne dans les bras ? Ou au contraire as-tu besoin de solitude ?" Il faut respecter ce dont le parent a besoin.
- Dans le même esprit, il faut éviter les bons conseils non sollicités, du type : "il faut lire ce livre ou voir un thérapeute ou aller dans un groupe de parole"...
- On peut aussi prendre les devants avec délicatesse, sans rien imposer, par exemple : "Je t'apporte à manger demain soir pour que tu puisses te reposer". C'est bon pour le parent endeuillé de se reposer sur les initiatives des proches.
Dire simplement :"Appelle-moi si tu as besoin de quelque chose", cela ne fonctionne pas. Les parents ne savent pas à quoi les proches sont prêts et eux-mêmes parfois ne savent même pas ce dont ils ont besoin.
Comment parvenir à s'exprimer en tant que parent endeuillé ?
Dans la vie de tous les jours déjà, on n'est pas très outillé pour savoir de quoi on a besoin dans notre vie et pour l'exprimer. Alors, dans un moment aussi chamboulé émotionnellement, c'est d'autant plus flou, d'autant plus difficile.
Dans son livre, Hélène Gérin propose une série de ressources pour permettre aux parents d'exprimer ce dont ils pourraient avoir besoin à tel moment, avec chaque fois une traduction en plusieurs déclinaisons possibles.
"Si j'ai besoin d'honorer mon enfant aujourd'hui, je pourrais faire une promenade souvenir avec mes amis, aller sur sa tombe, allumer une bougie, écrire un poème... Et à chaque fois, je peux envisager quel rôle mon entourage pourrait jouer pour nourrir ce besoin que j'ai en moi."
Certains parents endeuillés refusent de parler ou nient l'existence de l'enfant disparu. Là encore, il s'agit de respecter leurs besoins, de ne pas avoir d'attente, d'intention, de projet sur eux. Les laisser vivre et se mettre à leur service. C'est leur histoire et ça leur appartient.
Reconnaître l'existence de l'enfant
Attitudes déplacées, maladresses, accusations d'entretenir le morbide, amis perdus, famille fracturée,... les relations avec les proches sont compliquées dans ces moments-là.
Nier l'enfant décédé, c'est ce qui fait le plus de mal aux parents. Beaucoup ont la sensation que leur enfant est mort deux fois : la première fois au moment de sa mort et après, à cause du silence qui a entouré son décès. Il est difficile de voir son enfant enterré chaque jour par son entourage.
Les proches doivent reconnaître l'existence de l'enfant, même s'ils ne l'ont pas rencontré. Il ne faut certainement pas faire comme s'il n'existait pas. Il faut le nommer par son nom et poser des questions sur l'enfant.
S'ils n'en parlent pas, c'est parce qu'ils sont animés des meilleures intentions : ils ne veulent pas raviver la peine des parents. Sauf que cette peine, elle les habite tout le temps, rappelle Hélène Gérin. Alors, puisque c'est là, autant en parler le plus simplement possible, et prononcer ce prénom, qu'ils ont choisi et qu'ils aiment, est un cadeau inestimable. Peu à peu, l'enfant deviendra un être qui fait partie de la famille et dont on peut parler simplement.
Il vaut mieux être maladroit qu'absent ou silencieux. On peut toujours rattraper une maladresse. Les parents ont besoin de parler de l'enfant disparu, dans la durée, et de recevoir de petites attentions : un petit mot pour son anniversaire, une bougie allumée à Noël...
La souffrance de l'accouchement
On oublie souvent la souffrance de la maman qui doit accoucher d'un bébé décédé ; c'est un moment très violent au niveau émotionnel et psychologique. La plupart du temps, cela ne se passe pas par césarienne, pour pouvoir préserver l'utérus pour une éventuelle prochaine grossesse.
Vient ensuite tout le post partum habituel, "mais il n'y a pas le bébé à tenir dans ses bras qui compense les éventuels désagréments qu'on vit, comme les seins remplis de lait et pas de bébé pour le boire. C'est très douloureux physiquement et émotionnellement."
Le deuil dans le couple
On ne vit pas le deuil de la même manière au sein du couple. Chacun a son histoire de vie, vit ses émotions de manière différente. Il est important de pouvoir nommer ce qui se vit, de dialoguer. Ce qu'on dit dans les premiers jours évolue bien sûr au fil du temps, il faut donc refaire le point régulièrement, évaluer les besoins de chacun.
Hélène Gérin propose des outils pour nourrir ce dialogue à l'intérieur du couple, éviter que des tangentes se prennent et qu'il soit difficile ensuite de se retrouver.
Le deuil dans la fratrie
La fratrie est elle aussi en souffrance et a besoin d'être encadrée, par les parents ou par les proches, les amis. Cette aide bienvenue soulage les parents autant que les enfants.
Dans la cellule familiale, il est bon d'en parler avec des mots tout simples, de ne pas faire de secret de famille, de tabou. Sinon, les répercussions peuvent être lourdes à long terme et un manque et un malaise peuvent apparaître.
Il faut utiliser des mots tout simples, qui ne soient pas ambigus: 'mort', 'décédé' plutôt que 'parti', 'perdu'. Il existe des livres pour enfants très bien faits sur le sujet, qui peuvent apporter une aide appréciable.
La notion de réparation concernant les enfants qui viennent par la suite ou qui restent, la notion d'ordre d'arrivée également expliquent beaucoup de choses dans les parcours de vie. Les enfants ont besoin de savoir qui est leur famille. En parler libère les parents, les autres enfants, les générations futures.
Dans le cas particulier de la gémellité, la culpabilité, ce qu'on appelle le syndrome du survivant, peuvent hanter le jumeau qui reste. Il est important là aussi de mettre des mots dessus, de bien rassurer l'enfant qui reste, de lui expliquer qu'il n'y a pas de faute commise de sa part. On peut cultiver une forme d'amour pour celui qui est parti et le faire vivre dans la famille, si cela a du sens pour tous.
L'entourage maladroit
Les parents sont parfois accusés d'entretenir le souvenir de l'enfant de façon morbide, de se complaire dans leur douleur. Pour Hélène Gérin, ces réflexions parlent beaucoup plus de la personne qui dit ce jugement que des parents eux-mêmes. Cela part d'un désir réel et légitime de voir le parent aller mieux. Il faut pourtant accepter son impuissance, en tant que proche, à laisser le processus de deuil se faire, et cela peut prendre du temps.
Les réactions de l'entourage sont parfois toxiques pour le processus de deuil, et il est important parfois de pouvoir mettre ses limites pour se protéger, et de renouer le contact plus tard quand on va mieux.
Le site d'Hélène Gérin danscesmomentsla.com donne toutes les infos utiles concernant le livre, ainsi que des conseils à télécharger librement par les parents et les proches.