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Comment réussir un coup d’Etat fasciste ? Il y a 100 ans en Italie, Mussolini lançait la Marche sur Rome

Mussolini et les hiérarques du parti fasciste en 1922
Mussolini et les hiérarques du parti fasciste en 1922 © Photo de propagande

C’était il y a 100 ans : la Marche sur Rome imposait le fascisme en Italie. Benito Mussolini prend le pouvoir par un coup de bluff qu’il met habilement en scène comme un coup d’Etat. Si l’arrivée la semaine dernière au pouvoir en Italie de Giorgia Meloni, héritière du fascisme, interpelle, les deux histoires sont différentes. À l’opposé d’une victoire électorale, la Marche sur Rome d'il y a un siècle est bel et bien une prise de pouvoir paramilitaire, basée sur l’intimidation et qui profite d’un vide de pouvoir dans une Italie exsangue après deux années de troubles et une guerre mondiale.

Les années rouges

Pour bien saisir l’atmosphère de l’époque, il faut revenir quelques années plus tôt. L’Italie sort de la Grande guerre dans le camp des vainqueurs mais avec le sentiment d’avoir été maltraitée. La victoire est "mutilée", le Traité de Versailles n’a pas tenu les promesses territoriales des Alliés. Rome voit des territoires comme Fiume, des bouts de la côte dalmate et albanaise lui échapper.

Le pays est en crise. Tensions sociales, difficultés économiques, déficit budgétaire, chômage, inflation… La classe moyenne souffre. Les petits paysans sont déçus de ne pas avoir accès à de nouvelles terres.

Ce malaise prend des formes violentes au sortir du conflit. Deux années 1919 et 1920, appelées les "années rouges", le "bienno rosso", sont traversées par des manifestations ouvrières, des mobilisations paysannes et la crainte du bolchevisme qui s’empare de la classe moyenne et de la bourgeoisie. Quasiment une guerre civile qui fait 3000 morts.

S'imposer par la violence

C’est sur ce terreau que se développe le fascisme. Un mouvement qui naît comme une milice. Benito Mussolini, ancien instituteur devenu journaliste, venu du socialisme anticlérical et antimilitariste, fonde d'abord une armée, pas un parti. Cette armée, ce sont les Faisceaux italiens de combat avec ses "squadre d’azione", des escouades d’action, groupes paramilitaires visant à briser les grèves.
 

Mussolini entouré des hiérarques du parti fasciste
Mussolini entouré des hiérarques du parti fasciste © Photo de propagande

Politiquement, Benito Mussolini pour s’opposer au bolchevisme rassemble tous les déçus de la paix de Versailles comme des anciens combattants, des patriotes, des anarchistes, des patrons et de jeunes nationalistes.

Il copie sans vergogne un mouvement plus connu que le sien, celui de Gabriele d’Annunzio, les "Arditi d’Italia" qui rassemble d’anciens combattants et qui réussit en septembre 1919 à s’emparer par la force de la ville de Fiume qui rejoindra plus tard l’Italie au lieu de rester autonome comme prévu. Mussolini note la tactique du coup de force des légionnaires de Gabriele d’Annunzio, il reprend aussi chez lui le salut romain, bras tendu, et ses chemises noires, inspirées des bataillons d’assaut de l’armée italienne.

Après un échec aux élections de 1919, Benito Mussolini opte pour l’action illégale et violente. Cela fonctionne : en 1921, le parti fasciste nouvellement constitué compte plus de 300.000 membres et fait élire 35 députés à la Chambre dont Mussolini. Très loin d’une majorité.

Une démocratie libérale moribonde

Face à lui, le spectacle que donne la démocratie italienne est catastrophique : quatre gouvernements libéraux se succèdent entre 1919 et 1922 et les décisions prises à Rome ne sont pas appliquées dans le pays. Le reste de l’opposition se délite, le parti socialiste perd du terrain face aux communistes, qui font dissidence en 1921, et surtout face aux fascistes, les autres partis n’arrivent pas à créer un front commun.

Le terrain est donc prêt pour une prise de pouvoir. Depuis l’été 1922, la rumeur d’une Marche sur Rome est distillée, comme dans ce discours de Milan : "Le moment pour nous est propice, je dirais même, il est inespéré. Si le gouvernement est intelligent, il nous donnera le pouvoir pacifiquement. S’il n’est pas intelligent, nous le prendrons par la force. Nous devons marcher sur Rome pour l’arracher des mains des politicards pusillanimes et ineptes. Quand la cloche sonnera, nous marcherons comme un seul homme".

Les fascistes multiplient les coups au cours de l’automne : ils occupent Civitavecchia, un port non loin de Rome, bousculent un ministre à Ancone, prennent Terni, Bolzano, Trente, saccagent le domicile d’un élu socialiste…

Benito Mussolini donne des gages aux uns, comme les milieux économiques, la famille royale, les libéraux, les nationalistes, tout en continuant à agiter la menace comme à Naples où se tient le deuxième congrès du parti fasciste. Benito Mussolini harangue ses troupes le 24 octobre 1922 : "Je vous le dis avec toute la solennité que le moment impose : ou ils nous donnent le gouvernement, ou nous le prenons en allant à Rome !".

Une Marche sur Rome vouée à l'échec

La Marche sur Rome doit débuter le 27 octobre 1922 à minuit et attaquer la capitale le lendemain. Tout est organisé militairement. Un quadrumvirat dirigera les opérations depuis Perugia. Des Chemises noires prennent position dans des centres névralgiques du nord et du centre du pays. Souvent comme à Padoue, Trieste et Venise, l’armée collabore. Cela, Mussolini l’avait bien noté en scrutant le coup de force de Gabriele d’Annunzio à Fiume. Ailleurs, les autorités militaires résistent comme à Vérone, Ancone, Bologne. Mais souvent l’hésitation l’emporte.

L’Italie est découpée en 12 zones et trois colonnes doivent partir de Civitavecchia, Mentana ou Tivoli pour converger sur Rome. Mais rien ne se passe comme prévu : retard, indécision, mauvaise communication, manque de ravitaillement et finalement la pluie diluvienne. Ils sont au total 26.000 à marcher, ou plutôt à piétiner sous les trombes d’eau. Peu ou mal armés. Des fascistes décident de prendre le train pour rejoindre Rome mais ils sont bloqués sur ordre du gouvernement et 400 carabiniers qui les stoppent sans coup férir.

À Rome, le pouvoir s’organise. Il y a 28.000 militaires bien armés, certainement de quoi résister. Du point de vue militaire, après un jour, l’insurrection se dirige tout droit vers un échec.

La démission du roi et du gouvernement

Mais la partie va se jouer ailleurs. Mussolini va jouer et gagner sur le terrain politique. Comme au poker, au bluff. Le 26 octobre, le gouvernement du libéral Luigi Facta est tombé et l’état de siège doit être proclamé. Le Premier ministre démissionnaire prépare le décret. Mais c’est le roi Victor Emmanuel III qui doit signer ce décret, et le souverain refuse de le faire le 28 octobre. A-t-il pris peur ? Compte-t-il sur les fascistes pour rétablir l’ordre ? Craint-il pour sa couronne ?

Sans état de siège, Luigi Facta est désavoué et le roi demande à un homme politique libéral devenu fasciste Antonio Salandra de former un gouvernement qui offrirait quatre portefeuilles au parti fasciste, dont l’Intérieur à Mussolini.

Celui-ci refuse, et exige le poste de président du conseil, c’est-à-dire Premier ministre. Le 29 octobre, Victor Emmanuel III accepte et le fait venir à Rome pour constituer un gouvernement. Mussolini, prudemment resté à Milan exige même un télégramme pour acter cela : il a gagné la partie.

Le 30 octobre à 11h15, il arrive à Rome par train de nuit en chemise noire et ment au roi : "Je viens tout droit de la bataille qui s’est déroulée, heureusement sans effusion de sang". Pour parfaire la légende, le Duce fera défiler le soir même dans Rome ses troupes qu’il fait venir par train alors qu’elles étaient bloquées à 100 km de là.

Mussolini et les chemises noires rentrent à Rome par la porte de la Piazza del Popolo le 28 octobre 1922
Mussolini et les chemises noires rentrent à Rome par la porte de la Piazza del Popolo le 28 octobre 1922 © AFP Publifoto

Il rajoute une couche après avoir formé son gouvernement de coalition le 16 novembre : "Avec 300.000 jeunes gens armés, prêts à tout, prêts à m’obéir avec un aveu­glement presque mystique, je pouvais châtier tous ceux qui ont diffamé et tenté de salir le fascisme". Une menace devant le Parlement qui doit encore lui accorder la confiance, car sur 535 députés, il n’y a à ce moment que 35 élus fascistes. Et là aussi, Mussolini gagne : l’investiture étant accordée par 316 voix contre 116 et 7 abstentions.

Benito Mussolini pose entouré de son premier gouvernement
Benito Mussolini pose entouré de son premier gouvernement © PUBLIFOTO / AFP

Vaincre par la menace

Le gouvernement de coalition mis en place par Mussolini est modéré puisqu’il ne compte que trois fascistes, au côté d’autres ministres de toutes tendances politiques : démocrates libéraux, monarchistes, populaires, seuls les communistes et les socialistes sont exclus. Mais la voie est ouverte par le coup. Benito Mussolini dédouble rapidement les institutions de l’Etat : après la Marche sur Rome en octobre 1922, dès le mois de décembre, un grand conseil fasciste supplante le gouvernement, une milice nationale voit le jour en janvier 1923, des préfets volants sont envoyés dans les provinces et la dictature fasciste est instaurée en 1925. Les élections de 1929 et 1934 se transforment en plébiscites pour les fascistes.

La Marche sur Rome est rapidement élevée au statut de mythe, avec une réorchestration organisée sans couac en 1923, et en lui donnant le statut de fête nationale. Le calendrier fasciste débute depuis 1927 à la date du 29 octobre.

La Marche sur Rome reste donc un tournant où la démocratie libérale italienne moribonde s’incline devant la violence des fascistes, ouvrant la voie à deux décennies de régime totalitaire. Mais c’est bien sur un coup de bluff que Mussolini réussit à s’emparer du pouvoir, donnant l’exemple à d’autres après lui : Mussolini fait des émules à commencer par Hitler, mais aussi Léon Degrelle et les rexistes.

Des fascistes sur un véhicule blindé devant une caserne de Piacenza
Des fascistes sur un véhicule blindé devant une caserne de Piacenza © Andrea Jemolo / akg

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