Politiquement, Benito Mussolini pour s’opposer au bolchevisme rassemble tous les déçus de la paix de Versailles comme des anciens combattants, des patriotes, des anarchistes, des patrons et de jeunes nationalistes.
Il copie sans vergogne un mouvement plus connu que le sien, celui de Gabriele d’Annunzio, les "Arditi d’Italia" qui rassemble d’anciens combattants et qui réussit en septembre 1919 à s’emparer par la force de la ville de Fiume qui rejoindra plus tard l’Italie au lieu de rester autonome comme prévu. Mussolini note la tactique du coup de force des légionnaires de Gabriele d’Annunzio, il reprend aussi chez lui le salut romain, bras tendu, et ses chemises noires, inspirées des bataillons d’assaut de l’armée italienne.
Après un échec aux élections de 1919, Benito Mussolini opte pour l’action illégale et violente. Cela fonctionne : en 1921, le parti fasciste nouvellement constitué compte plus de 300.000 membres et fait élire 35 députés à la Chambre dont Mussolini. Très loin d’une majorité.
Une démocratie libérale moribonde
Face à lui, le spectacle que donne la démocratie italienne est catastrophique : quatre gouvernements libéraux se succèdent entre 1919 et 1922 et les décisions prises à Rome ne sont pas appliquées dans le pays. Le reste de l’opposition se délite, le parti socialiste perd du terrain face aux communistes, qui font dissidence en 1921, et surtout face aux fascistes, les autres partis n’arrivent pas à créer un front commun.
Le terrain est donc prêt pour une prise de pouvoir. Depuis l’été 1922, la rumeur d’une Marche sur Rome est distillée, comme dans ce discours de Milan : "Le moment pour nous est propice, je dirais même, il est inespéré. Si le gouvernement est intelligent, il nous donnera le pouvoir pacifiquement. S’il n’est pas intelligent, nous le prendrons par la force. Nous devons marcher sur Rome pour l’arracher des mains des politicards pusillanimes et ineptes. Quand la cloche sonnera, nous marcherons comme un seul homme".
Les fascistes multiplient les coups au cours de l’automne : ils occupent Civitavecchia, un port non loin de Rome, bousculent un ministre à Ancone, prennent Terni, Bolzano, Trente, saccagent le domicile d’un élu socialiste…
Benito Mussolini donne des gages aux uns, comme les milieux économiques, la famille royale, les libéraux, les nationalistes, tout en continuant à agiter la menace comme à Naples où se tient le deuxième congrès du parti fasciste. Benito Mussolini harangue ses troupes le 24 octobre 1922 : "Je vous le dis avec toute la solennité que le moment impose : ou ils nous donnent le gouvernement, ou nous le prenons en allant à Rome !".
Une Marche sur Rome vouée à l'échec
La Marche sur Rome doit débuter le 27 octobre 1922 à minuit et attaquer la capitale le lendemain. Tout est organisé militairement. Un quadrumvirat dirigera les opérations depuis Perugia. Des Chemises noires prennent position dans des centres névralgiques du nord et du centre du pays. Souvent comme à Padoue, Trieste et Venise, l’armée collabore. Cela, Mussolini l’avait bien noté en scrutant le coup de force de Gabriele d’Annunzio à Fiume. Ailleurs, les autorités militaires résistent comme à Vérone, Ancone, Bologne. Mais souvent l’hésitation l’emporte.
L’Italie est découpée en 12 zones et trois colonnes doivent partir de Civitavecchia, Mentana ou Tivoli pour converger sur Rome. Mais rien ne se passe comme prévu : retard, indécision, mauvaise communication, manque de ravitaillement et finalement la pluie diluvienne. Ils sont au total 26.000 à marcher, ou plutôt à piétiner sous les trombes d’eau. Peu ou mal armés. Des fascistes décident de prendre le train pour rejoindre Rome mais ils sont bloqués sur ordre du gouvernement et 400 carabiniers qui les stoppent sans coup férir.
À Rome, le pouvoir s’organise. Il y a 28.000 militaires bien armés, certainement de quoi résister. Du point de vue militaire, après un jour, l’insurrection se dirige tout droit vers un échec.
La démission du roi et du gouvernement
Mais la partie va se jouer ailleurs. Mussolini va jouer et gagner sur le terrain politique. Comme au poker, au bluff. Le 26 octobre, le gouvernement du libéral Luigi Facta est tombé et l’état de siège doit être proclamé. Le Premier ministre démissionnaire prépare le décret. Mais c’est le roi Victor Emmanuel III qui doit signer ce décret, et le souverain refuse de le faire le 28 octobre. A-t-il pris peur ? Compte-t-il sur les fascistes pour rétablir l’ordre ? Craint-il pour sa couronne ?
Sans état de siège, Luigi Facta est désavoué et le roi demande à un homme politique libéral devenu fasciste Antonio Salandra de former un gouvernement qui offrirait quatre portefeuilles au parti fasciste, dont l’Intérieur à Mussolini.
Celui-ci refuse, et exige le poste de président du conseil, c’est-à-dire Premier ministre. Le 29 octobre, Victor Emmanuel III accepte et le fait venir à Rome pour constituer un gouvernement. Mussolini, prudemment resté à Milan exige même un télégramme pour acter cela : il a gagné la partie.
Le 30 octobre à 11h15, il arrive à Rome par train de nuit en chemise noire et ment au roi : "Je viens tout droit de la bataille qui s’est déroulée, heureusement sans effusion de sang". Pour parfaire la légende, le Duce fera défiler le soir même dans Rome ses troupes qu’il fait venir par train alors qu’elles étaient bloquées à 100 km de là.