Un jour dans l'histoire

Comment sont nés les restaurants ? Une histoire surprenante

Au restaurant La Tour d’Argent

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Par RTBF La Première
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On date souvent l’origine des premiers restaurants à la Révolution française. D’autres la font remonter à un procès, en 1756, qui aurait opposé un cuisinier à l’influente corporation des cuisiniers traiteurs. Explications avec Pierre Leclercq, historien de la gastronomie à l’ULg et membre du Centre de Gastronomie historique.

La littérature contemporaine véhicule couramment deux versions sur l’origine des restaurants.

La première en fait remonter l’origine à la déroute de l’aristocratie lors de la Révolution française. Les aristocrates déchus auraient laissé leurs cuisiniers au chômage, qui n’auraient pas eu d’autre choix que d’ouvrir une multitude de restaurants, ce qui aurait marqué l’acte de fondation des restaurants. Mais on sait aujourd’hui que c’est un mythe. Il était très difficile pour ces cuisiniers de se faire une place dans la société, à la Révolution, parce que le pouvoir les soupçonnait constamment de garder des liens avec leurs anciens maîtres. Le cuisinier de la reine Marie-Antoinette, pour sa part, a carrément été exécuté.

La seconde version s’appuie sur un procès qui aurait opposé un certain Monsieur Boulanger à la corporation des cuisiniers traiteurs de la ville de Paris. Il tenait le restaurant de la rue des Poulies à Paris, en 1765, dont le fondateur était l’homme d’affaires Mathurin Roze de Chantoiseau. On ignore qui ce Boulanger était vraiment. Était-il le chef cuisinier ou le gérant ? Ou s’agissait-il d’un seul et même personnage ? Le premier a-t-il revendu le restaurant au second ? Quoi qu’il en soit, Mathurin Roze de Chantoiseau était très attentif au commerce de Paris et à la manière de l’améliorer, c’est lui qui a publié le tout premier almanach commercial parisien.

Le véritable acte de naissance du restaurant se situerait donc au moment où la corporation des cuisiniers traiteurs a intenté un procès à Monsieur Boulanger, parce qu’il servait un ragoût, les pieds de mouton à la poulette, qui était l’une de leurs prérogatives. Le restaurateur a gagné le procès, ce qui aurait fait jurisprudence et permis aux restaurants de se développer.
C’est là que l’on entre dans le mythe parce qu’on ne trouve aucune trace du procès, explique Pierre Leclercq. C’est une vision de l’Histoire qui a été développée par les historiens libéraux du 19e siècle.


Du bouillon au restaurant

Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy est le premier à avoir écrit une histoire de l’alimentation française, vers 1778. Il aura une influence énorme sur l’historiographie du 19e et même du 20e siècle. Il est aussi le premier à parler des restaurants, se référant à des événements qui se sont passés dans les années 1760, et en particulier à ce procès qui oppose Boulanger à la corporation des cuisiniers traiteurs.

Il part du mot potage pour expliquer ce qu’est un restaurant. Il faut savoir que le premier restaurant ouvre sous le nom de maison de santéChantoiseau sentait l’air du temps, l’envie d’une cuisine plus diététique, plus légère. Il va ouvrir un restaurant qui propose carrément une cuisine pour malades, mais bien présentée et attractive pour les gens bien portants également. Parmi ces plats, il y a le 'restaurant', un bouillon recommandé à ceux qui doivent retrouver leurs forces, restaurer leur santé. Par métonymie, cet établissement, cette maison de santé qui propose des restaurants, des bouillons, va finir par s’appeler un restaurant.
 

Dans le Paris de l’Ancien Régime

Avant l’arrivée des restaurants, une offre de repas de qualité existait déjà dans l’hôtellerie parisienne, via la corporation des cuisiniers traiteurs, qui était très imaginative. Pour Pierre Leclercq, il est exagéré de dire que les restaurateurs ont offert une cuisine de plus grande qualité. Les restaurants se sont en réalité développés au sein même de la corporation, il n’y avait aucun conflit entre eux. Et le fameux procès avec Monsieur Boulanger n’aurait jamais eu lieu.

Dans les métiers de l’alimentation parisiens de l’époque, on trouve aussi des rôtisseurs, des pâtissiers, des charcutiers, des marchands de vin, mais seuls les cuisiniers traiteurs ont le droit de proposer des repas complets. Comme chacun de ces métiers est tenté d’élargir son offre et de proposer aussi des repas, les procès sont nombreux !

On se retrouvait dans de situations surréalistes. Les marchands de vins, par exemple, ne pouvaient servir que du vin. Mais ils étaient tenté de servir un repas à leurs clients. C’est alors interdit. Par contre, la plupart de ces marchands tenaient tavernes. Ils disposaient généralement d’un gril. Les clients pouvaient venir aves leur viande crue et la faire cuire. 

De même, le client pouvait acheter un repas chez le cuisinier traiteur et venir le manger dans la taverne du marchand de vin.


Quand les restaurants font polémique

L’écrivain Louis-Sébastien Mercier écrit, en 1798, un ouvrage en 6 volumes, Le Nouveau Paris, où il évoque pour la première fois les cuisiniers des aristocrates déchus qui ouvrent les premiers restaurants. Pour lui, 'les faux révolutionnaires' sont des remplaçants des anciens aristocrates, ils ont adopté leurs moeurs, y compris en allant manger dans les restaurants, ouverts d’ailleurs par les cuisiniers de ces aristocrates. Il condamne sans aucun argument les restaurants. Cette information évoquant l’importance de la Révolution dans la gastronomie sera répercutée sans aucune vérification jusqu’à aujourd’hui.

Le cuisinier Antonin Carême, plus tard, aura un peu la même opinion concernant l’impact de la Révolution sur la création des restaurants, mais sans les condamner ni les assimiler au vice. Au contraire, il s’agit pour lui d’une véritable bénédiction. La haute cuisine française, affirme-t-il, est enfin dispensée au public grâce aux restaurants et aux cuisiniers des anciens aristocrates. Mais là encore, le mythe ne résistera pas aux documents.
 

Ecoutez la suite de l’histoire des restaurants ici, dans Un Jour dans l’Histoire.

 

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