Un Belge sur neuf consomme des antidépresseurs, avec un rapport souvent problématique au produit. En 2017, 1 200 000 patients se sont vus prescrire un médicament contre la dépression, un peu moins que l'an d'avant, mais la dose quotidienne a augmenté dans le même temps... A l’origine de cette surconsommation : une société de plus en plus rude et de plus en plus médicalisée. Comment envisager le sevrage ?
Une prescription trop systématique ?
Jusqu'il y a quelques années, les antidépresseurs avaient des effets secondaires très importants, les médecins étaient donc très prudents. La nouvelle génération des inhibiteurs de sérotonine (Prozac...) a révolutionné ce traitement et le geste du prescripteur est devenu beaucoup plus facile.
Selon Solidaris, plus de 80% des antidépresseurs sont prescrits par un médecin généraliste et non par un psychiatre. Alors que dans la ligne de conduite du traitement de dépression, ces médicaments ne devraient être prescrits que dans des formes graves de dépression. La psychothérapie, ou traitement par la parole, est recommandée dans les formes moins sévères de cette maladie, mais elle est moins accessible d'un point de vue financier.
Normalement, la prise d'antidépresseurs doit être limitée dans le temps. On parle de 15 jours à un mois maximum pour les benzodiazépines, or de nombreux patients en prennent depuis 20 ans. Pour les antidépresseurs, le minimum dans un traitement pour une vraie dépression est de 6 mois, suivis d'une réévaluation et d'une diminution éventuelle.
Une population âgée fort exposée
Les personnes âgées consomment de plus en plus d'antidépresseurs, parfois même sans le savoir, et il s'agit souvent d'une combinaison de plusieurs médicaments. En maison de repos, 60 à 70% des patients sont placés sous antidépresseurs au sens large. Il est très difficile de réguler cette consommation et de faire face à l'état de manque, à la fois pour la patient, le médecin, les soignants et l'entourage.
Le Dr Pierre Lemaire, gériatre au CHR Saint-Joseph de Mons, a mis en place un programme de sevrage pour les aînés. Parmi les psychotropes régulièrement prescrits, il considère que les antidépresseurs sont les moins perturbants pour la population âgée, par rapport aux somnifères, anxiolytiques... qui ont des conséquences sociales et cognitives très importantes. Les antidépresseurs peuvent être un mal nécessaire face à la vie dans laquelle ils vivent, même si le diagnostic de dépression n'est pas toujours prescrit d'une façon très objective. Le problème de sevrage se pose surtout pour ces autres médicaments qui créent une vraie addiction.
Le travail psychothérapeutique est la clé
Pour le Dr Pierre Cole, psychothérapeuthe, responsable de la Clinique de la Dépression au CHU Brugmann, on n'observe pas toutes les caractéristiques de la dépendance parmi les consommateurs d'antidépresseurs, contrairement aux benzodiazépines, qui sont très efficaces mais addictives. Arrêter le traitement implique toutefois une grande difficulté, une grande crainte, due à la dépendance psychologique : "Pour certains, le médicament agit un peu comme un gri-gri".
Le traitement antidépresseur permet à un certain moment de mieux fonctionner mais le fond du problème n'est pas travaillé. Le travail psychothérapeutique est la clé. Car la maladie dépressive est une maladie chronique, avec des symptômes qui peuvent revenir à distance, après l'arrêt ou la diminution des médicaments.
Le Dr Pierre Lemaire confirme : le patient a peur d'arrêter car il craint de retomber dans le même état d'angoisse, de vide, de déprime. L'accompagnement psychologique est donc très important. C'est dans ce but qu'il a mis en place une structure de sevrage des psychotropes pour les personnes âgées. On n'y utilise pas de médicaments mais on a recours à un encadrement avec des ateliers et du travail en groupe, où les patients sont suivis sur le long terme par des psychologues, des kinés, des ergothérapeutes,... Ils peuvent exprimer leur souffrance tout en étant accompagnés médicalement. Cela fonctionne très bien, ce qui révèle deux choses :
- que les patients ont davantage besoin d'un soutien psychologique dans cette épreuve d 'arrêt ou de diminution progressive
- qu'une resocialisation est bienvenue pour ces personnes âgées qui souvent vivent dans la solitude. La dynamique de groupe les fait revivre et retrouver un certain bien-être.
"Il faut garder à l'esprit que si le problème de fond n'a pas été réglé, le patient risque de ne pas supporter l'arrêt du médicament. On a mis un emplâtre sur la jambe de bois pendant un certain temps, mais après il faut passer aux choses sérieuses et affronter la réalité, avec un encadrement. Aujourd'hui, on ne parle plus assez."
La difficulté du sevrage
Le sevrage implique généralement 4 à 5 jours de mal-être physique. Certaines molécules demandent un temps de sevrage plus long que d'autres, en fonction du 'temps de demi-vie', le temps qu'il faut à l'organisme pour éliminer la molécule.
On n'arrête pas seul son traitement du jour au lendemain, au risque de voir arriver une foule d'effets secondaires. Il faut être accompagné, pour avoir un suivi et pouvoir recevoir des alternatives. La diminution de la posologie doit être très progressive.
Et demain?
Pour le Dr Pierre Cole, la grande époque des antidépresseurs est derrière nous. Un tiers seulement des patients a une réponse satisfaisante par rapport à la prise de ces médicaments, ce qui explique que de plus en plus de gens sont à la recherche d'alternatives. De nouveaux outils se développent, comme les médecines parallèles, la pleine conscience, la méditation.