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Comment tendre vers l’économie de la post-croissance ? Fin du PIB et… plus de siestes

Tendances Première: Le Dossier

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L’année 2022 a été marquée par des catastrophes climatiques et par la guerre énergétique liée à la guerre en Ukraine, entraînant la population mondiale dans les difficultés économiques. Un véritable tournant qui amène, plus encore qu’auparavant, la question de la décroissance sur la table. Un concept porté notamment par Timothée Parrique. Il donne des pistes pour un monde tourné vers la post-croissance : une croissance axée sur le bonheur et l’écologie, dans laquelle la lucrativité est bannie.

Sur la thématique de la décroissance et/ou de la post-croissance, c’est un des jeunes chercheurs les plus en vue du moment. Le Français Timothée Parrique est chercheur en Suède, à l’Université de Lund. Dans son livre Ralentir ou périr, l’économie de la décroissance, Timothée Parrique démontre les limites écologiques, sociales ou même économiques de la croissance.

Une onde de choc dans le monde scientifique et politique. Mais rien à côté du cataclysme qu’il prévoit. Quelles sont les nouvelles voies économiques à emprunter pour contourner ce constat ?

Les initiatives locales à rassembler pour créer l’économie du futur

Il est certes jeune, mais ses idées radicales et iconoclastes valorisant la décroissance, au moment de ses premières recherches pour la communauté scientifique, font désormais le tour des médias. Il suffit de remarquer la diffusion planétaire du concept de sobriété.

En effet, la guerre énergétique, les grands feux de l’été en France et la vague de froid polaire aux États-Unis amorcent un changement des mentalités constate Timothée Parrique : "Après 2022 qui était vraiment la bande-annonce de l’apocalypse, on s’est rendu compte que le plan A, 'business as usual', n’a pas marché, le plan B du capitalisme vert non plus, et on se dit qu’on n’avait pas prévu de plan C".

Son livre compte dès lors "détailler une organisation collective du ralentissement". Pour aboutir à l’arrêt de l’accélération, il faut réunir toute la série d’initiatives locales qui existent parfois depuis longtemps comme les monnaies locales. "Ces personnes-là ont déjà construit l’économie du futur. Une des clés de la transition est : comment est-ce qu’on arrive à connecter la richesse de ces initiatives post-capitalistes qui existent ici et là, qu’on les rassemble et qu’on arrive à montrer aux politiques et aux grandes entreprises qui aujourd’hui résistent au changement avec une espèce de discours disant qu’il n’y a pas d’alternative. Ce qui est complètement faux". C’est l’hypothèse de son ouvrage : ces initiatives, elles pourraient créer un nouveau système, "et créer une économie beaucoup plus joyeuse, efficace et soutenable que celle d’aujourd’hui".

L’apologie de la sieste

Alors quelles pistes peut-on envisager pour basculer vers ce changement, vers ce ralentissement de l’économie sur le marché ? Timothée Parrique en livre notamment une à la fois détonante et révolutionnaire : faire la sieste.

Il explique : "On s’autorise à sortir des diktats du productivisme, de la rationalité économique. On fait la sieste aujourd’hui dans une économie qui est épuisée non seulement écologiquement mais aussi socialement. La sieste qui d’ailleurs a été sacrifiée où elle existait pour promouvoir la croissance économique : on a enlevé la sieste comme cela les gens travailleraient plus et cela stimulerait l’économie. La décroissance, elle, est une apologie de la sieste sur le contraire : on va essayer de ralentir l’économie pour pouvoir enrichir ce qu’il y a en dehors de l’économie".

Le chercheur en économie donne même quelques conseils : paresser quelques minutes dans son lit ou bien aller chercher ses enfants plus tôt et rater un afterwork ou une réunion de travail.

Plus facile à dire qu’à faire… Comment s’extraire de ce rythme de travail infernal ? La solution pourrait passer par les ingénieurs et économistes eux-mêmes, lassés d’un productivisme inutile, ou les nouveaux diplômés qui refusent de plus en plus de se soumettre aux grosses entreprises. Ceux-ci doivent s’engouffrer dans leurs rêves durables, comme construire des vélos cargos, plutôt que d’œuvrer sur un modèle de frigo connecté.

La fin du PIB

Le principe de la croissance est en partie fondé sur le PIB. Un acronyme que veut supprimer Timothée Parrique. Pour le chercheur français, il ne s’agit que d’une construction récente, et donc pas si difficile à abolir.

"Avant les années 50, cela paraissait bizarre pour les politiques de maximiser le PIB. La plupart l’ont refusé à l’époque car le but d’une économie c’est le plein-emploi, la stabilité financière. Ce n’est pas d’augmenter cet indicateur contour de l’économie. Il a fallu que les comptables leur montrent que c’est trop bien, que cela mesure la valeur ajoutée (et ils ont été convaincus). J’ai travaillé un peu avec l’historien allemand Matthias Schmelzer, qui a étudié dans sa thèse la construction du paradigme qu’il a appelée 'l’hégémonie de la croissance'. Quand on se rend compte que c’est si récent, et construit par une minorité de personnes, on arrive à comprendre qu’on puisse le déconstruire assez facilement pour construire une nouvelle histoire du progrès, qui ne serait pas centrée sur un indicateur débile de presque 100 ans".

Pour tendre vers la décroissance, Timothée Parrique propose à la place de viser la soustraction plutôt que l’addition. Dans notre système actuel, valoriser la mal bouffe, "c’est du plus" et payer des médecins qui luttent contre ce fléau, "c’est du plus" ; polluer la planète avec des 4x4 "c’est du plus", et payer des pompiers pour éteindre les grands incendies issus de la pollution, "c’est du plus"… En d’autres termes, la croissance économique peut devenir contreproductive, antiéconomique : les bénéfices générés par un surcroît d’activité sont minimes "par rapport aux coûts sociaux et écologiques créés par cette activité".

La décroissance ? Un progrès

L’économie n’est pas vouée à disparaître, mais doit être réduite à sa plus pure expression. Elle n’est pas une définition fabriquée avec des concepts et de chiffres incompréhensibles, mais elle se résume à "l’organisation de la satisfaction des besoins", soit un contenu plus philosophique et politique car les besoins sont contextuels.

"On prend l’hypothèse que les besoins sont infinis. Dans l’expérience de tous les jours, si vous pensez à votre alimentation, votre transport, votre santé, ils ne sont pas infinis, il y a toujours des taux de satiété : j’ai besoin de me nourrir, d’aller un point A et B, de vivre dans une maison dans laquelle je me sens heureux, d’être en bonne santé après avoir été malade". La question fait alors sens :

Si la satisfaction des besoins est une logique de suffisance, pourquoi a-t-on une économie organisée autour de la croissance exponentielle ?

Diaboliser la décroissance n’a donc plus de sens pour le chercheur, qui l’appréhende comme un progrès, car l’humanité vit dans un modèle d’obésité. Autre solution qu’il apporte pour pencher vers ce concept : valoriser le temps de travail en dehors des entreprises traditionnelles, c’est-à-dire se diriger vers une réduction du temps de travail au profit d’autres activités économiques, mais qui apportent une plus-value sociale. Faire du bénévolat pour une association, devenir membre d’un club de sport,… sont des exemples d’investissements sociaux et sanitaires qui apportent aussi, dès l’enfance, les compétences chères au monde professionnel, comme la coopération. On se focalise alors sur l’essentiel et on participe à des projets qui nous apportent plus de bonheur que de végéter dans un travail futile et destructeur de la planète.

En résumé, la croissance doit être perçue comme une valeur anthropologique plutôt que de l'analyser au sens comptable du terme.

La post-croissance : se débarrasser de la lucrativité… et de la publicité

À quoi ressemblera l’économie de demain ? Pour l’économiste, il s’agira de la post-croissance, une économie du bien-être, du bien commun et du vivant.

"On continuerait d’avoir des entreprises, d’organiser de la production, il y aurait du travail dans ces entreprises, mais on se serait débarrassé de la lucrativité. On a du mal à l’imaginer mais cela existe déjà en France, ce sont des sociétés coopératives d’intérêt collectif SCIC, des coopératives à lucrativité limitée" propose-t-il.

Un exemple frappant, celui de l’entreprise Patagonia qui est passé à ce modèle en 2022 : "La soutenabilité écologique et l’utilité sociale d’abord, la viabilité économique, c’est un truc qu’on organise après".

C’est là où on renverse le système économique parce qu’aujourd’hui, on se retrouve dans des situations où on ne peut pas faire ce qu’on voudrait ou devrait faire écologiquement parce qu’on n’a pas l’argent. Alors qu’en fait, l’argent, ce sont les billets de Monopoly : on s’arrange, on fait une convention sociale. On ne peut pas atténuer le changement climatique parce qu’on n’a pas d’argent, c’est stupide. On peut négocier entre nous mais on ne peut pas négocier avec le climat.

Que retenir de sa thèse ? Sur le plan politique, "on se débarrasse de la lucrativité des entreprises, des politiques de croissance et des indicateurs qui reproduisent cette hégémonie du financier sur le social et l’écologique, on oublie donc comment calculer le PIB".

Sur le plan individuel, il faut sortir des diktats du pouvoir d’achat. "Cela demande des organisations collectives où par exemple, on supprime la publicité. Dans un système capitaliste, elle sert à inciter à la consommation, génère énormément de coûts sociaux. Imaginez pour la publicité dans la rue avec le mannequin en maillot de bain. Combien de personnes vont se sentir complexées comparées aux quelques consommateurs qui vont se sentir forcés d’acheter un maillot de bain".

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