Ce vendredi 29 octobre, nouvelle séance au Parlement wallon de la commission d’enquête parlementaire "chargée d’examiner les causes et d’évaluer la gestion des inondations de juillet 2021 en Wallonie", comme tous les vendredis.
Au menu du jour : la suite du défilé des bourgmestres des communes touchées par la catastrophe de l’été. Ont déjà été entendus les maïeurs d’Eupen, Limbourg, Verviers et Theux.
Aujourd’hui sont attendus : Daniel Bacquelaine, bourgmestre (MR) de Chaudfontaine ; Michel Legrand, bourgmestre faisant fonction de Pepinster (du 10 au 14 juillet 2021) et Philippe Godin, bourgmestre de Pepinster ; Fabien Beltran, bourgmestre (PS) de Trooz.
Premier auditionné donc Daniel Bacquelaine pour la commune de Chaudfontaine ; il est revenu lui aussi dans un exposé introductif sur les journées du 13 au 15 juillet, les "précipitations anormales", la montée inexorable des eaux dans les caves puis les rues, le manque de matériel des pompiers locaux, des personnes coincées durant des heures dans leurs habitations, le plan d’urgence communale déclenchée le 14 juillet à 10 heures, 3 heures après une phase d’alerte sur la Vesdre – sans qu’il se soit trouvé, insiste-t-il, une annonce de pré-alerte, et une phase de pré-alerte sur l’Ourthe venue trop tard cette fois. Et un bilan final lors de "cette véritable destruction de territoire" de 4 habitants décédés, 1871 habitations sinistrées (1686 sur la Vesdre, 185 sur l’Ourthe), 3794 personnes sinistrées, des milliers d’habitations privées d’électricité, 1159 personnes évacuées vers des centres d’accueil à Beaufays, Fléron, Olne ou Beyne Heusay. Daniel Bacquelaine qui a aussi longuement évoqué la nécessaire phase de reconstruction depuis et l’aide aux sinistrés qui continue, avec la distribution de dons, de repas avec la Croix-Rouge et le relogement en cours.
Un manque de "culture du sauvetage"
C’est ce qu’a aussi pointé en réponse aux questions des députés le bourgmestre de Chaudfontaine : des bateaux de la Défense inadaptés, pas assez puissants face aux courants et un manque global de moyens. "On a bien vu des militaires et quelques camions. Et j’ai entendu le bon sens populaire auprès de certains sinistrés, me disant 'Ils ne sont pas des milliers à l’armée ? Où sont-ils ?'. Il y a eu en effet une grande incompréhension dans l’engagement des moyens, une sous-estimation de l’ampleur de la situation. Je ne connais pas bien le matériel de l’armée mais ce n’était manifestement pas en proportion avec la réalité du terrain". Tout en soulignant un peu plus tard "l’attitude remarquable des militaires présents, faite de dévouement et d’empathie avec la population. C’est une fonction importante mais ce n’est sans doute pas la seule pour la Défense. Et je me suis posé des questions tout au long de la journée importante du mercredi dans la crise…"
Même remarque, en passant, à propos de la Protection civile : "J’ai lu qu’il y avait 286 agents au total à la Protection civile, je ne sais pas combien nous en avons vu dans les communes touchées lors des inondations, plus de 200 communes… Evidemment la Protection civile a été très efficace après les inondations, nous aidant notamment pour le pompage des hydrocarbures dans les caves polluées, c’est l’une de leurs spécialités. Mais je ne pense pas que ce soit ainsi des corps isolés dépendant de niveaux de pouvoirs différents qui peuvent nous aider, il faudrait travailler à retrouver une certaine unicité globale".
A Chaudfontaine, l’ordre d’évacuer a été donné dans l’après-midi du 14 juillet, avant la décision provinciale. Daniel Bacquelaine qui a fait valoir son expérience – il est bourgmestre depuis 1992 : "Je ne pense pas qu’il faut attendre qu’on nous dise ce que l’on doit faire dans ce genre de crise. Le bourgmestre n’est pas seul mais à un moment c’est tout de même à lui de décider, même s’il n’a pas reçu d’ordres venus d’ailleurs. Il y a une part de rationnel, une part d’intuitif… C’est quand j’ai vu la vitesse du flux de la Vesdre, non comparable aux inondations précédentes de 1998 et 1999, que j’ai décidé les premières évacuations tellement la rivière me semblait menaçante". Même si : "Le principe d’évacuation n’est pas simple. Parfois, on peut se demander si on ne met pas les gens davantage en danger".
"Attendre, attendre"
"Attendre. Attendre aura été le verbe le plus conjugué à toutes les formes dans cette crise", souligne ensuite l’échevin de Pepinster Michel Legrand, bourgmestre faisant fonction du 10 au 14 juillet dans la soirée. Attendre des bateaux finalement trop peu puissants, attendre des renforts militaires - "deux militaires dans un camion Unimog le 15 juillet à minuit, bientôt rappelés (après 4 heures sur le terrain) à la caserne de Spa, à l’étonnement général" -, attendre du ravitaillement, des moyens. Une absence de moyens qui aura pendant de longues heures rendu les évacuations impossibles, la commune finissant par avoir recours à la réquisition de tracteurs d’agriculteurs, des bulldozers et des camions d’entreprises de terrassement pour sauver les habitants bloqués chez eux par la montée des eaux. Michel Legrand qui souligne avoir vécu 25 ans en bord de Vesdre, voyant régulièrement l’eau monter via les caves ou les avaloirs lors de crues, "mais ici c''était 2m75 d’eau dans ma rue"… Six habitants de Pepinster sont morts dans les inondations.
Et tourne l’éternelle question du rôle du délestage du barrage d’Eupen dans la brusque crue lors des inondations : le bourgmestre faisant fonction tourne longuement autour mais pointe bien 3 heures de débit accru et l’effondrement des premières maisons de bord de Vesdre à Pepinster vers 4 heures du matin le 15 juillet : "Je ne veux imputer de faute à personne, mais ça aggrave".
Vient alors le bourgmestre en titre de Pepinster Philippe Godin en poste depuis près de 15 ans, par ailleurs assureur de métier "double peine parfois" au regard de la crise actuelle. Il a repris ses pleines fonctions de bourgmestre vers 22h50 le 14 juillet, de retour de vacances après avoir été en connexion permanente avec les autorités jusque-là, assumant la pleine responsabilité des décisions prises. Et notamment l’impossibilité pendant longtemps, faute de moyens adéquats, de pouvoir évacuer des citoyens menacés malgré un ordre provincial. C’était trop tard et trop risqué. Philippe Godin a aussi épinglé les bateaux inadaptés face à la puissance des flots, avec par exemple ce chavirage d’une embarcation avec 5 sauveteurs et 3 habitants de Pepinster, ces derniers perdant la vie. Des appels répétés des autorités locales pour des bateaux ont été lancés les 14 et 15 juillet.
Le bourgmestre de Pepinster a dépeint, trois mois après, "une ville fantôme" – le courant a été coupé sur toute la commune dès le 14 juillet. "L’éclairage public commence seulement à revenir. Quand vous entrez en ville actuellement, vous verrez une maison sur quatre ou sur cinq éclairée, les autres sont toujours vides". Et de recenser 1400 bâtiments sinistrés, touchés par l’eau de 80 cm à 2m70 selon les rues, "60 commerces, soit tous les commerces, dévastés, les grandes surfaces éventrées". "Nous nous sentions bien seuls, en tout cas au niveau de l’aide. Nous avons géré toute cette période seuls parce que nous n’avions pas d’aide extérieure", a conclu Philippe Godin.
"Sentiment d’impuissance"
Après une heure d’interruption, à 14h30, les députés ont commencé à entendre le dernier bourgmestre du jour, Fabien Beltran, pour la commune également lourdement frappée, Trooz, traversée par plusieurs cours d’eau dont la Vesdre. 4867 personnes affectées, 2200 logements, 40 commerces (sur 41 dans la commune) dévastés, 4 écoles (sur 5), la plupart des services communaux, avec une rivière qui passe de 12 m3/seconde en temps normal à 400 m3/seconde, montant de six mètres dans certaines rues… Le personnel communal s’est retrouvé lui-même coincé dans la vallée, dans les locaux du service travaux (où l’on remplissait les sacs de sable) et au final sur le toit du bâtiment. Là aussi, les appels se sont multipliés, les secours et notamment la Défense arrivant bien lentement. 8 militaires mettent des bateaux à l’eau vers 22 heures le 14 juillet au plus fort de la crue. Une dizaine d’habitants seront évacués dans la soirée sur les 2000 en attente. Certaines personnes resteront bloquées plus de 30 heures sur les toits ou dans les combles : trois personnes sont décédées à Trooz. Aujourd’hui 80 personnes sont encore à reloger et le retour du gaz dans la commune n’est pas attendu avant le 15 novembre.
Au plus fort de la crise, c’est la solitude et l’abandon qui dominent. "C’est un vrai sentiment d’impuissance qui domine", avoue-t-il, "lorsque toute la nuit vous recevez 300 à 400 appels, souvent sur mon GSM personnel, des appels à l’aide de gens ayant besoin d’être secourus, et quand vous savez que vous avez 8-10 personnes sur le terrain, vous comprenez vite que l’équation ne sera pas simple à résoudre…" D’autant plus que les services de communication et informatiques de la commune étaient sous eau dans les caves de la maison communale, le centre de crise a donc dû être rapidement délocalisé de manière plutôt improvisée.
Faute d’autres moyens, la commune a même eu recours pour des évacuations à un club de jet-ski : "Des gars se proposent pour venir aider les gens. Les pompiers me disent 'Monsieur Beltran, vous ne pouvez pas autoriser ça, c’est votre responsabilité personnelle et s’il y a des morts ce sera pour vous !' Sauf qu’en face de moi j’ai des gens qui m’appellent à l’aide en disant 'j’ai des enfants, je vais traverser la rue à la nage pour aller de l’autre côte et les sauver'. Alors qu’est-ce que vous faites dans ce cas-là ? J’ai pesé le pour et le contre, vérifier que ces gens étaient professionnels et sérieux et je leur ai dit 'allez-y !' Ils y sont allés, ils ont ramené des gens et il n’y a pas eu de blessés".
La séance a été levée peu avant 16 heures.
A noter que la prochaine réunion de la Commission est déjà programmée après le congé de Toussaint au vendredi 12 novembre, avec les auditions prévues des représentants de Liège, Esneux et Rochefort.