Economie

Comprendre la pénurie de puces électroniques en 5 questions

Processeur Intel

© 2021 Anadolu Agency

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Par Simon Tilquin

L’entreprise belge Solvay qui investit dans les semi-conducteurs à Taïwan, le géant sud-Coréen Samsung, qui annonce un investissement de 175 milliards d’euros majoritairement dans le secteur des puces électroniques, l’Américain Intel qui veut investir plus de 100 milliards de dollars sur le continent européen pour concurrencer les géants du numérique sur le marché des semi-conducteurs… Les entreprises rebondissent face à la crise des puces électroniques.

Parce qu’en effet, depuis le début de l’année, l’industrie des puces électroniques est en crise. Elle n’arrive pas à faire face à la demande grandissante du secteur de l’automobile mais aussi de toute l’industrie de l’électronique. La puce électronique est présente dans beaucoup d’appareils de notre quotidien comme nos smartphones, nos pneus de voiture, nos sèche-cheveux pour ne citer que cela. De ce fait, plusieurs constructeurs d’automobiles ont déjà annoncé que leurs productions seraient ralenties ou complètement stoppées. Quelles sont les raisons d’une telle paralysie de l’industrie de la puce électronique ? Comment l’Europe et les entreprises peuvent-elles y remédier ? Voici 5 points pour y voir plus clair.

Pourquoi il y a une pénurie de puces électroniques ?

Tout d’abord, la crise du coronavirus et le variant Delta qui sévit dans la région d’Asie du Sud-Est. Une grande partie des usines de puces électroniques sont installées au Vietnam, en Malaisie, en Thaïlande ou en Indonésie. Les premières vagues avaient contraint les usines à fermer.


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Quand elles se sont rouvertes, elles étaient déjà submergées par la demande de toute l’industrie de l’électronique et principalement des constructeurs automobiles. Mais l’arrivée du variant Delta a tout bouleversé dans l’industrie et plusieurs usines ont de nouveau fermé. Les fermetures ont donc des conséquences sur les firmes européennes.

Processeur Intel contenant des puces électroniques

Ensuite, l’augmentation de la demande de puces électroniques. Avec le confinement, la demande en objets électroniques a explosé. Les TVs, ordinateurs, et autres consoles de jeux vidéo ont nécessité une surproduction de puces électroniques. Le télétravail a renforcé la demande en ordinateur. D’après Jean-Pierre Raskin, professeur en microélectronique à l’UCLouvain, "l’internet des objets, renforçant l’interconnexion entre les objets électroniques, favorise la consommation de puces électroniques". L’avènement de la 5G mobilise aussi plus de ressources pour les constructeurs.

Enfin, "une raison de type géopolitique est la pression sur l’accès aux matériaux", explique Jean-Pierre Raskin. Dans une puce électronique, il y a plus de 60 éléments du tableau périodique de Mendeleïev (vous vous souvenez, ce vieux tableau rempli d’éléments chimiques que les élèves détestent). Ces éléments, comme le silicium majoritairement présent dans la fabrication d’une puce électronique, ne sont pas forcément rares mais il existe souvent une pression entre les pays exportateurs et importateurs pour l’accès à la ressource.

L’internet des objets, renforçant l’interconnexion entre les objets électroniques, favorise la consommation de puces électroniques.

Quel est l’impact sur le consommateur ?

L’impact est multiple car la puce électronique est présente dans de nombreux objets de notre quotidien. Dû à une demande trop importante et à une offre quasi nulle, beaucoup des produits contenant une puce électronique voient leurs prix augmenter. Certains produits se raréfient comme la Playstation 5 qui est devenu introuvable dans beaucoup d’endroits en Belgique. D’autres produits comme les ordinateurs ou les smartphones vont augmenter de prix dans les prochains mois.

Le secteur automobile est aussi touché par cette pénurie. L’entreprise Toyota en Europe a repoussé de deux semaines l’ouverture d’une usine dans le nord de la France, en raison de la pénurie. Le constructeur japonais compte même réduire de 40% sa production mondiale en septembre. Les usines en Belgique sont aussi en difficulté. Tout cela fait augmenter le prix des voitures neuves qui entraîne un déplacement de la demande sur le secteur de l’occasion, secteur qui voit lui même augmenter ses prix.

Qui fabrique ces puces ?

Il y a plusieurs sortes d’entreprises qui fabriquent ces puces. Certains comme Qualcomm, Qorvo, Skyworks Solutions, entreprises américaines ou Dolphin Design en France travaillent dans le design de puces et dans la commercialisation de celles-ci mais ne fabriquent rien. On les appelle "fabless", contraction de "fabrication" et "less" (moins en anglais) pour signifier les entreprises qui conçoivent leurs produits mais délèguent toute leur production.

Usine Samsung

D’autres comme TSMC, entreprise taïwanaise, GlobalFoundries, entreprise américaine ou encore Melexis, entreprise belge, coté au BEL20, sont des fonderies, c’est-à-dire que ce sont des entreprises qui fabriquent les puces électroniques. La leader sur le marché est TSMC avec plus de la moitié des parts dans le domaine. "Plusieurs autres comme Samsung sont actifs sur toute la chaîne de production : le design et la fabrication", souligne Jean-Pierre Raskin.

Quels sont les enjeux géopolitiques de cette pénurie ?

Les enjeux géopolitiques sont nombreux et sont principalement le fruit du conflit commercial entre la Chine et les États-Unis. Selon Jean-Pierre Raskin, "la Chine a renforcé de manière assez importante son autonomie sur le marché des puces électroniques en formant de plus en plus d’ingénieurs designers qui participent au processus entier de fabrication".

La Chine se positionne de ce fait en concurrence face aux États-Unis. L’ex-président américain Donald Trump, en barrant la route à l’entreprise chinoise Huawei pour l’utilisation des matières premières américaines, a bouleversé l’industrie chinoise de l’électronique et a renforcé la guerre commerciale entre les deux pays. L’actuelle vice-présidente Kamala Harris, vice-présidente américaine, a récemment appelé à plus de coopération internationale pour améliorer la chaîne logistique face à la pénurie de puces électroniques, mais la guerre commerciale subsiste.

"Gaufre" de silicium, destiné à la fabrication de puce électronique

De plus, plusieurs entreprises, leaders dans leur pays, sont empêchées de produire des puces, à cause de la pandémie, ce qui complique la relance économique de certains pays et entache leurs relations diplomatiques. D’après Jean Pierre Raskin, "la dépendance est trop grande envers les pays asiatiques".


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La plupart des usines de puces électroniques sont installées en Asie, majoritairement en Asie du Sud-Est. "Il y a eu un déplacement des fonderies, des usines, vers les pays asiatiques ce qui a rendu plus inaccessible les puces électroniques".

En Europe, le retard est flagrant. Toujours leader dans le domaine de la recherche, l’Europe représente seulement 15% de la fabrication des puces dans le monde (alors que TSMC, entreprise taïwanaise en représente plus de la moitié). "L’important est donc de reprendre le contrôle de la production et de réinvestir dans le domaine de l’électronique", souligne Jean-Pierre Raskin, professeur en microélectronique à l’UCLouvain. "Il nous reste encore des entreprises engagées dans la fabrication comme Infineon, Bosh, Nokia, Ericsson ou Melexis en Belgique mais elles devraient être plus nombreuses et plus imposantesIl faut donc réindustrialiser en Europe en insistant sur la justice sociale et la problématique environnementale. Il est temps d’être plus résilient, agir avec rationalité et bon sens. Il ne faut plus utiliser cette technologie à des fins purement commerciales mais il faut avoir une réflexion sur la production."

Il faut réindustrialiser en Europe en insistant sur la justice sociale et la problématique environnementale.

Au niveau belge, que peuvent faire les entreprises face à cette pénurie ?

La pénurie est un problème pour les entreprises du nord et du sud du pays. Pour Kevin Verbelen, expert en commerce international et juriste d’entreprise chez Agoria (organisation patronale dans le secteur de l’industrie technologique), "l’enjeu pour les entreprises belges, c’est de demander plus de temps, de ralentir le processus de leur production pour pouvoir avoir une douce transition car cette crise va encore durer". "Il faut aussi négocier les contrats d’approvisionnements en connaissance de cause".

Test de puce électronique
Test de puce électronique © Getty Images

L’entreprise doit penser sur le long terme et observer les marchés pour ne pas payer trop cher les lots de puces électroniques. Lors de la négociation du contrat, "il faut être assez flexible avec les clients et les fournisseurs". Selon Kevin Verbelen, "les investissements d’Intel (Intel, fabricant de semi-conducteur, va investir 100 milliards de dollars en Europe, ndlr) sont intéressants pour l’industrie en Belgique mais ne seront effectifs que dans quelques années". "Il faut donc pour l’instant ralentir la production".

Tout dépend donc de la situation de l’entreprise mais ce qui est sûr c’est que cette pénurie risque d’impacter l’industrie encore quelques années.

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