Le mastodonte des médias Vivendi, dirigé par Vincent Bolloré, prépare une offre publique d’achat (OPA) pour contrôler le groupe Lagardère qui détient entre autres Hachette, Europe 1, JDD, Paris Match et les boutiques Relay.
Cette opération est soumise à l’autorisation de plusieurs autorités, comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la Commission européenne, en raison des risques de concentration dans les secteurs de l’édition et des médias.
Vivendi se recentre sur les médias
Déjà détenteur de 27%, Vivendi se donne jusqu’au 15 décembre 2022 pour acquérir les 18% du fonds Amber Capital, deuxième actionnaire du groupe Lagardère, qui a accepté de les céder. Si cette opération aboutit, le géant des médias français détiendra 45% du capital et 36% des droits de votes de Lagardère.
"Par voie de conséquence, un projet d’offre publique au même prix visant toutes les actions Lagardère non encore détenues par Vivendi sera déposé à titre obligatoire auprès de l’Autorité des marchés financiers conformément à la réglementation applicable", explique Vivendi dans son communiqué.
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Dans le secteur des médias, de la communication et des éditions, Vincent Bolloré et Vivendi ont mis la main sur Canal +, de CNews, Prisma Media, Havas et Editis. Autant dire qu’avec l’OPA annoncé visant à contrôler le groupe Lagardère, l’homme d’affaires breton a comme stratégie de se recentrer encore plus sur les médias. Nombreuses sont les voix qui s’inquiètent d’une telle concentration de médias dirigés par un seul groupe, un seul homme.
Un danger pour la pluralité des opinions et de l’information ?
Premier actionnaire du groupe Lagardère qui détient Europe 1, le milliardaire français et Vivendi ont déjà redéfini la grille et la ligne éditoriale de la radio d’information pour se rapprocher fortement de celles de CNews. A tel point que cela a provoqué un mouvement de grève des salariés d’Europe 1 au mois de juin.
"On constate une "emprise de plus en plus évidente, de plus en plus forte de Vincent Bolloré sur la grille de rentrée […] La méthode Bolloré est déjà à l’œuvre chez Europe 1, ça promet pour la suite", avait déploré Olivier Samain délégué syndical SNJ de la radio.
D’une part, c’est bien de l’indépendance éditoriale et de la pluralité des opinions qui est au centre des débats lorsqu’un groupe détient en tout ou en partie plusieurs groupes de médias et/ou d’éditions. La crainte des associations de journalistes réside dans le fait que cette concentration des médias implique une uniformisation de l’information, et donc un gommage de la diversité des opinions.
Évidemment, on est dans une perte complète de la diversité que pouvaient apporter des médias différents
Frédéric Antoine, expert des médias et professeur émérite à l’UCLouvain souligne cette réalité d’une perte de la diversité de l’information au profit d’une économie recherchée par ces grands groupes : "En ce qui concerne le rapprochement entre Vivendi et Europe 1, ce qui est symbolique, c’est que le rapprochement se fait au niveau de l’information. Que le but ce n’est pas de faire des partages entre les programmes du groupe Vivendi – Canal Plus et les autres médias. Là, on a plus qu’une seule façon de faire de l’information en radio et en et en télé."
"Pour faire des économies, on va regrouper les rédactions et proposer les mêmes contenus sur des supports différents. Parce que finalement, ça va être économiquement beaucoup moins cher d’avoir une seule rédaction qui travaille pour plusieurs types de médias. Évidemment, on est dans une perte complète de la diversité que pouvaient apporter des médias différents."
S’unir pour se défendre contre les géants de l’Internet
D’autre part, des experts en économie des médias soulignent que la concentration des médias est une stratégie pour répondre à un changement des usages des consommateurs et donc à une concurrence de plus en plus féroce de nouveaux acteurs tels Netflix, Amazon et consorts.
Dans cette même logique, TF1 et M6 ont aussi annoncé au mois de mai leur volonté de fusionner pour créer un géant de la télévision française. Les deux chaînes qui possèdent d’autres médias justifient ces fiançailles par la nécessité de lutter contre les géants de l’Internet.
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Frédéric Antoine, expert des médias et professeur émérite à l’UCLouvain confirme cette stratégie de défense des médias classiques face aux géants de l’Internet : "Ces regroupements se justifient par la compétition entre les médias classiques et les nouveaux médias, comme les GAFA. Donc pour être plus fort, les médias classiques se regroupent. Il faut être plus puissant, plus fort, avoir davantage de parts de marché pour être très solide. Chacun essaie de couvrir ses armes pour trouver un moyen de se défendre."
"Il y a encore quelques années, la solution était de créer des grands groupes internationaux pour être présent partout avec des tas de filiales. Mais on voit que pour l’instant, les médias classiques font l’inverse. Il se replie sur un territoire, sur un pays où là il cherche à être très fort comme s’ils avaient construit une sorte de château fort avec des tours de garde pour empêcher les nouveaux médias de les envahir. Dans le cadre de Vivendi et Lagardère, c’est relatif. Vivendi ne va pas devenir beaucoup plus puissant, mais c’est un pas dans cette direction-là. "
Des médias dans une main, une présidentielle dans l’autre ?
Alors que la campagne électorale pour les prochaines élections présidentielles françaises se prépare, des voix s’interrogent sur le groupe Vivendi et l’influence qu’il pourrait avoir sur le choix des électeurs via les médias qu’il possède déjà dans son escarcelle.
Frédéric Antoine n’écarte pas cette possibilité qui s’est déjà vérifiée dans le passé à l’étranger : "C’est ce qui inquiète beaucoup de gens pour l’instant. On sait que les accointances entre le groupe Bolloré la famille Bolloré et certains partis politiques ne datent pas d’hier. On se souviendra que c’est sur le yacht de la famille Bolloré que Nicolas Sarkozy était allé se reposer. On se souvient aussi du célèbre Silvio Berlusconi qui s’est construit sa carrière politique sur le fait qu’il possédait des chaînes de télévision en Italie."
"C’était lui qui déterminait ce qu’il fallait diffuser comme informations. Tout comme l’image de lui-même qu’on allait présenter. La France est en train d’expérimenter justement durant cette période qui est un tournant entre Vivendi et Lagardère. C’est un cas possible de rapport à la médiacratie."
Comme l’histoire l’a déjà démontré dans bien d’autres pays, les enjeux économiques de ces groupes de médias face à une forte concurrence des géants de l’internet peuvent parfois se faire au détriment de la diversité de l’information.