Condamnation aux Philippines : quand une journaliste s’attaque au président Duterte

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Par Esmeralda Labye

Elle s’appelle Maria Ressa. Elle a 56 ans. Depuis plus de 30 ans, cette journaliste écrit, dénonce, s’attaque aux maux de son pays, les Philippines. Avec l’arrivée au pouvoir du Président Duterte en 2016, son travail s’est considérablement compliqué. L’homme veut à tout prix la faire taire, elle et son magazine en ligne, Rappler. Maria Ressa est devenue l’épine du pied de Rodrigo Duterte.

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Ce lundi matin, la journaliste a donc été reconnue coupable par un tribunal de Manille. Pour ses soutiens, il ne s’agit ni plus ni moins que d‘une nouvelle tentative de museler l’une des principales opposantes au président.

Maria Ressa a été journaliste pour CNN Philippines pendant des années, avant de lancer, le 1er janvier 2012, le site d’information en ligne Rappler. Très rapidement, celui-ci est visé par plusieurs procédures judiciaires après avoir publié des articles critiques contre la politique du chef de l’Etat, y compris sa campagne sanglante et controversée contre le trafic de drogue.

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Maria Ressa risque une peine de 6 mois à 6 ans de détention. Elle a été laissée libre dans l’attente de l’examen de son appel.

Maria Ressa

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Menaces et intimidation

Le procès découle d’un article écrit en 2012 sur les liens supposés entre un homme d’affaires et le président de l’époque de la Cour suprême de l’archipel.

La plainte a d’abord été rejetée mais le dossier a finalement été transmis au parquet qui a décidé de la poursuivre elle et l’ancien journaliste Reynaldo Santos qui avait écrit l’article.
Ce dernier a également été déclaré coupable lundi et libéré sous caution.
Les poursuites résultent d’une loi controversée sur la cybercriminalité, réprimant la diffamation en ligne mais aussi le harcèlement ou la pédopornographie.

"On m’a avertie : tais-toi ou tu seras la prochaine… C’est en partie pourquoi j’ai été visée", a expliqué la semaine dernière à l’AFP Mme Ressa. Le gouvernent du président Duterte a rejeté les accusations selon lesquelles cette affaire était politique et affirmé que les autorités veillaient à l’application de la loi, y compris contre les journalistes.

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Duterte, Ressa, une guerre ouverte

Pour les organisations de défense des droits de l’Homme et les associations luttant pour la liberté de la presse affirment que cette affaire de diffamation, les procédures fiscales contre Rappler et les efforts du gouvernement pour retirer ses accréditations au site relèvent du harcèlement.
Amnesty International a ainsi affirmé que les "attaques" contre Rappler s’inscrivaient dans une campagne contre la liberté de la presse aux Philippines.

Human rights watch abonde dans le même sens et s’inquiète des conséquences d’un emprisonnement de la journaliste.

" Cette peine permettrait au gouvernement de la juger pendant qu’elle est en prison " explique Phil Robertson, directeur de l’antenne Asie de l’association. " Et de décider si elle se comporte comme le veut le gouvernement, si elle suit leurs directives. Si elle continue par exemple à publier des choses depuis la prison, la peine pourrait être prolongée jusqu’à six ans. C’est une façon de procéder très pernicieuse et très désagréable. Nous sommes un peu choqués que le tribunal ait prononcé ce genre de peine."

Human rights watch

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Tenir tête

Tel est le sacerdoce des journalistes philippins contre les attaques de Rodrigo Duterte.

Pas évident quand on connaît et relit les déclarations du président lors de son investiture : " Ce n’est pas parce que vous êtes un journaliste que vous serez préservé des assassinats si vous êtes un fils de pute. La liberté d’expression ne pourra rien pour vous, mes chers. " L’archipel est classé 136e pays au classement mondial de la liberté de la presse 2020.

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Le verdict condamnant Maria Ressa survient un mois après l’arrêt de la diffusion des chaînes d’ABS-CBN, principal groupe de médias philippin, après que le gouvernement a contre toute attente pris un décret ordonnant leur fermeture en raison des difficultés des discussions relatives au renouvellement de sa licence.
Cela fait des années que M. Duterte menace de fermer ABS-CBN, un groupe qui, à l’instar de Rappler, a largement couvert la "guerre contre la drogue" du président, qui a encouragé les policiers à tuer les trafiquants de drogue et les toxicomanes présumés.
Selon l’Agence philippine de lutte contre la drogue, les policiers ont tué au moins 5600 personnes suspectées de trafic de drogue au cours d’opérations officielles. Mais certaines organisations dénoncent un bilan est au moins trois fois plus élevé.

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L’indépendance du système judiciaire philippin, depuis longtemps entaché de soupçons de corruption, a été particulièrement mise à mal depuis l’arrivée au pouvoir de M. Dutertre en 2016, selon les organisations de défense des droits de l’homme.

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