L’annonce fait l’effet d’une bombe. Joseph Kabila, l’ancien président de la République démocratique du Congo (2001 – 2018), sa famille et des proches auraient détourné près de 138 millions de dollars (122,5 millions d'euros) des caisses de l'État congolais entre 2013 et 2018. Probablement plus… C’est la conclusion d’une enquête nommée ‘Congo Hold-up’, menée par un réseau international d'investigation journalistique qui rassemble 19 médias (européens, avec European Investigative Collaborations, américains, congolais et libanais) ainsi que cinq ONG spécialisées dans la lutte contre la corruption. On parle déjà de la plus importante fuite de documents bancaires d’Afrique…
L’effet d’une bombe, mais une bombe à retardement. Puisque des soupçons pesaient déjà fortement sur les manœuvres financières de Joseph Kabila, notamment dans l’exploitation minière, par le biais de l’entreprise publique minière, Gécamines. Cette fois, l’enquête Congo Holdup va plus loin. Elle révèle pour la première fois, les noms de ceux qui ont participé à ce détournement présumé et la manière dont ils ont procédé, documents signés à l’appui.
3,5 millions de documents
L’enquête s’est faite sur base de plus de 3,5 millions de documents : relevés bancaires, courriels, contrats, factures et dossiers d'entreprise, etc. issus de la banque gabonaise BGFI et obtenus par Mediapart ainsi que l'ONG Plateforme pour la protection des lanceurs d'alerte en Afrique (PPLAAF). Les journalistes ont mis au jour un schéma de corruption à grande échelle.
Joseph Kabila et sa famille "ont pu se livrer à un véritable pillage des caisses de l'État", dénoncent les journalistes, grâce à la filiale congolaise de la BGFI, dirigée par le frère adoptif du président, Francis Selemani, et via une société boîte aux lettres, Sud Oil.
En plus de pots-de-vin, Sud Oil aurait perçu "une sorte de 'Taxe Kabila’" auprès de plusieurs institutions et entreprises publiques congolaises comme, entre autres, la Banque centrale, l'entreprise minière nationale Gécamines et le Fonds national d'entretien routier. La paye de 925 casques bleus congolais opérant en Centrafrique a même été détournée par le clan Kabila via la BGFI, selon les journalistes à l'origine de l'enquête.
Pour la première fois, on peut retracer le circuit du détournement de l’argent public
"Cette enquête est d’une ampleur inégalée", s’exclame Jean Claude Mputu, membre de Resource Matters et porte-parole du collectif anti-corruption ‘Le Congo n’est pas à vendre’, dont certains membres ont participé à l’enquête. "Pour la première fois, on peut retracer le circuit du détournement de l’argent public : depuis un compte public, de la Banque centrale du Congo ou de la Gécamines, vers une banque qui s’avère être la plaque tournante de ce processus de détournement. Ces documents permettent de retracer d’où l’argent est parti et où il a atterri. Soit dans une entreprise appartenant à Joseph Kabila, soit dans les comptes bancaires de son entourage proche. Des personnes identifiables, puisque pour retirer des millions à la banque, il faut signer. Tout cela au mépris de la loi congolaise, au mépris des règles du secteur bancaire, sans parler des questions éthiques…".
De fait, ce détournement présumé des richesses s’est produit sans scrupules, dans un pays parmi les plus pauvres au monde. En RDC, aujourd’hui, plus de 70% de la population vit avec moins de deux dollars par jour.
"Concernant les flux financiers de la Gécamines, nous avions des soupçons que des sommes avaient été détournées", ajoute Jean-Claude Mputu. "Cette enquête nous montre, preuve à l’appui, quand ces sommes ont été transférées et qui en sont les bénéficiaires".