Constitution, droits des LGBT, des femmes, liberté de la presse : la liste des tiraillements s’allonge entre la Pologne et l’Europe

Un manifestant tient un drapeau de l’UE lors d’un rassemblement devant la Cour constitutionnelle de Varsovie le 7 octobre 2021

© Jaap Arriens / AFP

C’est le dernier coup de canif en date au contrat entre la Pologne et les Européens : vendredi la Cour constitutionnelle polonaise s’est prononcée sur la supériorité de la loi fondamentale polonaise face à la loi européenne, y compris donc les traités qui imposent les directives européennes sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

Or, le droit européen prime sur le droit national : c’est l’un des principes de la construction européenne. Face à cette fondamentale remise en cause, la Commission européenne menace de sanctions. Le Parlement européen aussi pourrait sévir, via les conditions liées à l’Etat de droit pour obtenir la manne du plan de relance.

Tout cela renvoie à d’autres dossiers qui divisent : la politique d’immigration, les droits des LGBT, des femmes, la liberté de la presse et même l’attachement viscéral au charbon, autant de pommes de discorde entre l’Union européenne et son plus grand membre à l’est. Passage en revue de ces points de friction.

Un traité européen "incompatible" avec la Constitution polonaise

 

C’est le dernier dossier brûlant. Le bras de fer dure depuis des années. Le professeur à l’ULiège et spécialiste de l’Europe Franklin Dehousse rappelle que "la Commission qui était dirigée par Juncker et avant même la 2ème Commission Barroso, annonçaient déjà de mâles intentions de faire respecter l’État de droit. Cette histoire traîne depuis longtemps et c’est, d’ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles cela dérape de plus en plus".

Une manifestante devant la Cour constitutionnelle de Varsovie qui tient une audience sur la primauté du droit européen ou polonais.

Au départ, après le retour au pouvoir des nationalistes ultraconservateurs du parti Droit et Justice PiS de Jaroslaw Kaczynski en 2015, il y a une série de réformes judiciaires controversées. Selon la Commission européenne, elles menacent la démocratie et l’état de droit en Pologne.

La Commission européenne en a contesté une, concernant la création d’une chambre disciplinaire des juges manquant de garantie d’impartialité. La Cour européenne a soutenu cette contestation, le gouvernement polonais a répliqué en appelant son tribunal constitutionnel…

Immigration : des barbelés à la frontière

La Pologne est le pays le plus peuplé à l’est de l’Europe. Ni son histoire, dépourvue d’expansion coloniale, ni ses caractéristiques démographiques (peu de minorités) ou religieuses avec la prédominance d’une Eglise catholique conservatrice, ne la prédisposait à devenir un pays d’accueil de migrants.

Le gouvernement conservateur se montre peu enclin à favoriser cette immigration. Il veut par exemple autoriser ses agents frontaliers à ignorer plus facilement les demandes d’asile et de renvoyer les migrants.

Il vient d’envoyer des milliers de soldats à sa frontière avec la Biélorussie et a érigé une clôture de barbelés et instauré un état d’urgence le long de la zone frontalière, qui en exclut l’accès aux journalistes et aux organisations humanitaires.

Des ONG, dont Amnesty International, accusent le gouvernement polonais d’empêcher les migrants de présenter leurs demandes d’asile en Pologne et de les forcer à retraverser la frontière.

La commissaire européenne Ylva Johansson a déclaré que la législation actuellement en discussion au Parlement polonais soulevait d’emblée "plusieurs interrogations" et a appelé à la "transparence dans la protection des frontières extérieures de l’Union européenne" suite aux décès de migrants à la frontière, jugeant "totalement inacceptable que des gens meurent aux frontières extérieures" de l’Union.

Zones sans LGBT

A la mi-juillet, la Commission européenne a lancé une procédure d’infraction contre la Pologne pour les "zones sans idéologie LGBT" décrétées par nombre de collectivités locales, régions et communes.

La Commission européenne avait appelé au respect de la dignité et des droits humains qui sont "des valeurs fondamentales de l’Union européenne" et avait assuré que la Commission utiliserait tous les instruments à sa disposition pour défendre ces valeurs.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait, quant à elle, fustigé des "zones sans humanité" qui "n’ont pas leur place" dans l’Union européenne.

Fin septembre, quatre régions, Cracovie, Rzeszow, Lublin et Kielce ont finalement renoncé à ce concept tout en soulignant leur attachement à la tolérance, au christianisme et au rôle traditionnel de la famille dans la vie de la société polonaise.

Andrzej Duda critique vivement les LGBT lors d'un rassemblement de campagne

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Droits des femmes

La Pologne est aussi la cible des critiques pour son retard en matière de droits des femmes, notamment à l’avortement, et de définition du féminicide.

Le Parlement européen souhaite une directive pour définir ce type de crime qui s’appuierait sur les normes de la Convention d’Istanbul, premier traité international à fixer des normes juridiquement contraignantes pour éviter les violences sexistes, contesté dans des pays conservateurs comme la Pologne. Le texte voulu par le Parlement a le soutien de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et pointe aussi "la coercition reproductive et le refus de soins sûrs et légaux en cas d’avortement constituent également une forme de violence fondée sur le genre".

Au sein de l’Union, l’avortement n’est permis qu’avec des conditions très restrictives en Pologne et à Chypre et reste illégal à Malte.

La Pologne avait ratifié en 2015 la Convention d’Istanbul. Mais l’an passé, Varsovie a annoncé son intention de se retirer de ce traité, comme la Turquie l’a fait le 1er juillet.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a aussi condamné mi septembre la Pologne pour avoir retiré la garde de ses quatre enfants à une mère qui, après avoir divorcé de son mari, avait entamé une relation avec une autre femme. Les juges européens ont relevé que "l’orientation sexuelle de la requérante et sa relation avec une autre femme ont été constamment au centre des délibérations et omniprésentes à chaque étape de la procédure judiciaire". La Pologne a été condamnée à verser 10.000 euros à la plaignante, au titre du préjudice moral.

 

Médias sous pression

La liberté de la presse est un autre point de tension. La chaîne de télévision TVN24 critique à l’égard du pouvoir polonais a risqué de ne pas obtenir le renouvellement de sa licence d’émission le mois dernier.

Finalement, la chaîne d’information continue a vu sa concession renouvelée. Elle a failli être réduite au silence à cause d’un projet de loi interdisant aux sociétés n’appartenant pas à l’espace économique européen de détenir une participation majoritaire dans les groupes de médias polonais. TVN appartient au groupe américain Discovery. Pour l’instant, le Sénat a rejeté le projet de loi.

Dans son rapport annuel sur l’État de droit dans l’UE présenté en juillet, la Commission s’inquiète de pressions politiques et de menaces pour l’indépendance des médias dans plusieurs pays dont la Pologne, mais aussi la République tchèque, Malte, la Slovénie, la Bulgarie et la Hongrie.

Les menaces sont là. Reporters Sans Frontières critique la législation proposée, qualifiant TVN de "joyau de la couronne de la démocratie polonaise".

Depuis l’arrivée au pouvoir du parti conservateur nationaliste Droit et Justice (PiS) en 2015, la Pologne a perdu 46 places dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF, chutant à la 64e position.

La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a promis pour l’an prochain "une loi sur la liberté des médias".

Charbon et pollution

La Pologne reste avec l’Allemagne et la République tchèque un des pays qui recourent encore beaucoup au charbon pour produire son électricité. Comme l’explique notre article, c’est parce qu’il revient moins cher de payer les droits d’émission de CO2 pour cette énergie bon marché et largement disponible sur leurs territoires nationaux que de se tourner vers le gaz ou des énergies renouvelables. La Pologne est dépendante du charbon pour environ 80% de son électricité et compte quelque 80.000 emplois dans le secteur minier.

Mais cela pollue à tel point que la justice européenne s’en est mêlée. La cour de Justice de l’Union européenne a par exemple ordonné pour ce mois de mai l’arrêt de l’exploitation de la mine de charbon de Turów, ce que le gouvernement polonais a refusé jugeant l’amende de 500.000 euros par jour disproportionnée et injustifiée, la qualifiant de "racket judiciaire".

C’est la République tchèque qui demandait la fin de l’exploitation de cette mine, en service depuis 1904, à cause de son un impact négatif sur l’environnement des régions frontalières, où les habitants se plaignent du bruit, de la poussière et du manque d’eau.

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