Le Scan

COP26 : des centrales au gaz "zéro carbone", futur probable ou conte de fées énergétique ?

© Belga Images

"Les centrales dernier cri, ultramodernes que l’on va installer ici en Belgique, permettront de passer très rapidement du gaz naturel au gaz vert, ou à l’hydrogène, donc du gaz décarboné" déclarait sur notre antenne le coprésident d’Ecolo Jean-Marc Nollet en septembre dernier. Ne faisant en cela que soutenir sa consœur de Groen et actuelle ministre de l’énergie, Tinne Van Der Straeten, qui, tenue de se justifier de la création de nouvelles centrales au gaz en Belgique, a indiqué à plusieurs reprises avoir "obligé tous ceux qui présentent des nouveaux projets au gaz, à présenter une feuille de route pour devenir neutre en carbone".

Alors, des centrales au gaz peuvent-elles cesser d’émettre du CO2 ? Et si oui, de quelle manière et à quel prix ? Le Scan décrypte les dessous de cette audacieuse promesse.


►►► La Belgique veut devenir un hub de l'hydrogène renouvelable


Ce qui est certain c’est que les responsables écologistes ne sont pas les seuls à faire cette promesse : en quelques clics on peut trouver le même argument sur les sites des principaux acteurs du marché du gaz en Belgique. Comme sur cette page d’Engie, où il est indiqué qu’à long terme, ces centrales pourront également devenir neutres en carbone en fonctionnant à l’hydrogène ou au méthane synthétique au lieu du gaz". Même chose chez Luminus, sur la page présentant son projet pour une nouvelle centrale à Seraing, où l’on peut lire "la technologie TGV permettra à terme l’utilisation du gaz vert ou de l’hydrogène". Ou encore chez Eneco pour son projet à Manage qui pourrait selon eux "évoluer vers la neutralité de ses émissions de CO2 en intégrant progressivement des combustibles verts tels que le biogaz et l’hydrogène vert".

L’hydrogène vert n’est pas encore là qu’il manque déjà

La piste privilégiée semble donc bien celle de l’hydrogène, ou plus précisément de l’hydrogène "vert", c’est-à-dire produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable (par opposition à l’hydrogène "gris", extrait de ressources fossiles et donc polluant). Francesco Contino, ingénieur civil et professeur à l’UCLouvain, et expert en hydrogène. "Techniquement, oui ce sera possible d’utiliser de l’hydrogène vert et donc zéro carbone dans nos futures centrales" prévient-il d’emblée.

Pourtant, il ne s’en cache pas, l’idée de faire effectivement tourner ces centrales à l’hydrogène vert le laisse plus que dubitatif : "Il y a d’autres contraintes" poursuit-il. "C’est plutôt la disponibilité de cet hydrogène qui va poser question. On utilise déjà énormément d’hydrogène dans l’industrie (ndlr : de l’hydrogène gris pour le moment), environ 300 TWh (térawatt-heure) au niveau de l’Europe. Et en fait, dans le Green Deal, cet ambitieux plan qu’a mis l’Europe sur pied, on prévoit deux fois 40 gigawatt. Quarante en Europe et quarante hors de l’Europe avec possibilité d’import. Et cette capacité-là va donc en fait produire exclusivement la quantité que l’on consomme déjà dans l’industrie. Et donc le problème principal c’est que si l’on veut avoir plus d’utilisations d’hydrogène, on va avoir besoin d’encore plus de production. Et actuellement, même les plans les plus ambitieux ne le couvrent pas" insiste Francesco Contino.


L'hydrogène plus cher que le gaz

Alors que tout le secteur du transport, des constructeurs d’avions à ceux d’automobiles en passant par les trains, parie lui aussi en grande partie sur l’hydrogène vert pour se "décarboner" dans les décennies qui viennent, difficile d’imaginer, même à long terme, alimenter en plus les grandes centrales thermiques avec de l’hydrogène vert. D’autant plus que le passage à cette source d’énergie aurait forcément un coût qui, bien que difficile à estimer, sera probablement prohibitif par rapport aux tarifs du gaz selon Francesco Contino : "L’hydrogène est un vecteur d’énergie très pratique mais on oublie souvent que ça a un coût. Un coût en termes d’installation notamment (ndlr : pour convertir les centrales, seulement partiellement compatibles à l’hydrogène à l’heure actuelle) et puis les meilleurs prix qu’on annonce pour l’instant tournent autour de cinq euros le kilo d’hydrogène. Si l’on convertit cela en unité d’énergie, ça ferait environ 150 ou 170 euros du mégawatt-heure. Or, actuellement le gaz naturel est à plus ou moins 100 euros du mégawatt-heure et on crie déjà à la crise. On a déjà des problèmes d’approvisionnement de nos centrales. Donc imaginer passer à un combustible encore plus cher, ce n’est pas aussi simple que ça" prévient-il.

Loading...

L'hydrogène, notre sauveur ? Un récit développé par les industriels

Malgré tout cela, l’idée de faire fonctionner dans un futur plus ou moins proche les centrales au gaz à l’hydrogène est défendue de longue date par l’industrie gazière européenne, et ce au plus haut niveau. Pascoe Sabido en sait quelque chose, en tant que chercheur pour le groupement d’ONG Fossil Free Politics et le Corporate Europe Observatory il entend ce discours depuis des années et l’a vu progressivement passer de la bouche des industriels à celles des décideurs européens : "Ce que l’on nous dit partout en Europe, c’est que l’hydrogène est le nouveau sauveur. Il va décarboner nos économies et nous pouvons continuer comme avant simplement en injectant de l’hydrogène dans tout. Mais en réalité, ce récit développé par l’industrie gazière n’est rien d’autre qu’un conte de fées. Et je suis très déçu de voir tous nos gouvernements écouter ces contes de fées au lieu de préparer la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles" se désole-t-il.

Partageant le constat selon lequel il n’y aura jamais assez d’hydrogène vert avant trente ou quarante ans, ce chercheur londonien dénonce une "hydrogen hype", créée uniquement pour servir les intérêts de l’industrie gazière : "Pour eux c’est une question de survie […] s’ils ne se repeignent pas en vert, s’ils ne parviennent pas à faire partie du programme (ndlr : du Green New Deal européen) alors ils seront hors-jeu. C’est pourquoi ils ont inventé cette histoire de transition vers le zéro carbone, sachant très bien que c’est la seule manière de rester aux affaires […] Parce que l’industrie gazière sait que si l’hydrogène vert vient à manquer, ce sera à eux de combler l’offre".

© Tous droits réservés

Des politiques qui reprennent l'argumentaire du lobby gazier ?

Nos dirigeants en Belgique auraient-ils dès lors eux aussi repris l’argumentaire du lobby gazier ? La ministre de l’Énergie s’en défend et évoque d’autres pistes technologiques qui seraient sur la table pour convertir les centrales au gaz : "on a besoin de gaz maintenant pour une question de backup et de flexibilité mais j’ai obligé tous les producteurs de nouvelles capacités au gaz à déjà organiser leur sortie du gaz […] Tout est sur la table. Il y a différentes technologies qui sont possibles, il y a aussi une innovation qui peut et qui va se faire, avec la pyrolyse ou le biogaz par exemple"


Des pistes d’énergie vertes qui sont cependant encore moins abouties à l’heure actuelle que l’utilisation de l’hydrogène et dont la production en quantités suffisantes est d’autant plus incertaine. "On peut le faire et pour nous le plus important reste d’accroître les énergies renouvelables" martèle néanmoins Tinne Van Der Straeten. Ce seront donc les industriels eux-mêmes qui seront en charge de proposer des solutions. Des études de faisabilité et des plans de réduction doivent d’ailleurs être rendus en ce sens dès 2026 et 2027. Mais la "clause de durabilité" qui oblige ces industriels à devenir "zéro carbone" est, elle, fixée à l’horizon 2050. D’ici là, beaucoup de choses peuvent se passer mais ce qui est certain c’est qu’en attendant, entre aujourd’hui et 2030 au plus tôt, les émissions de CO2 dues à notre production d’électricité vont bel et bien augmenter.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous