Un changement de paradigme
Aussi, le mouvement écologiste n’est pas une nouveauté. Les scientifiques prennent conscience de l’existence du réchauffement climatique dès les années 1970-1980 et le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est créé en 1988. Le mouvement écologique touche, déjà à ce moment-là, certaines franges de la population, notamment en Allemagne, rappelle Geoffrey Pleyers. En Belgique, par exemple, c’est le moment d’expériences comme celle de La Baraque à Louvain-la-Neuve.
Pour le sociologue, il ne s’agit pas non plus du grand premier mouvement global dans nos sociétés contemporaines. En revanche, on y ressent, aujourd’hui, un côté plus "mondialisé" : "Il s’agit d’un mouvement très global. La présence des réseaux sociaux a contribué à lui donner cette dimension. Par exemple, lors des manifestations à Paris, quand Greta Thunberg était là, tout le monde parlait en anglais."
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Selon le sociologue, mais aussi selon Bernard Feltz, il n’est pas non plus possible de comparer ce mouvement à celui de mai 1968 : "On vit un moment charnière, un véritable tournant. Et on se rend compte que l’enjeu est énorme : il s’agit de l’avenir de l’humanité et de questions urgentes. Par rapport à mai 1968, on est face à quelque chose de plus fondamental : on touche aux possibilités des conditions d’une vie sur Terre, alors qu’en 1968 les combats étaient différents et tous les pays n’ont pas été touchés", explique le philosophe.
Pour lui, il s’agit de modifier radicalement notre vision du monde : le progrès, tel qu’on le connaissait, reposait sur une vision du monde où les ressources seraient infinies. "Or cette vision impose un monde sans limites, alors que là, on se rend compte de la finitude du monde".
Le mouvement, tout en demandant un changement et imposant une remise en question, a fait, lui aussi, son bout de chemin. Aujourd’hui, il s’est professionnalisé. "Ces jeunes sont engagés d’une manière peu classique. Ils ne sont pas organisés en syndicats ou structures de ce genre, mais leur action impacte la vie quotidienne et leur mouvement est de longue haleine, comme c’est le cas pour de nombreux mouvements de contestation aujourd’hui", analyse Geoffroy Pleyers.
Ce ne sont pas des syndicats, et pourtant, il suffit d’écouter les déclarations des porte-parole belges de "Youth for Climate" pour se rendre compte qu’on va beaucoup plus loin dans la stratégie de communication. On n’est pas dans de simples grèves d’étudiants, comme on a pu les voir par le passé.
"Lors de la COP21 de 2015, de jeunes Belges et Français étaient présents. Depuis lors, la communication de ces activistes se professionnalise. Certains membres du mouvement ont des expertises en matière de communication et d’organisation et consacrent leur carrière à ces enjeux après avoir renoncé à des jobs bien plus rémunérateurs. Après, ce qui reste très intéressant dans ce mouvement, c’est qu’il est toujours capable de mobiliser des adolescents de 13 ou 14 ans.", détaille le sociologue. Pour lui, le poids de ces activistes au sein de la société est bien réel.
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Quel avenir pour le mouvement ?
Au-delà des engagements portés par les différents pays, ce qui distingue le combat écologique des autres est le sentiment qu’on ne peut pas y arriver tous seuls. "Même l’Europe ne peut rien face au changement climatique, à elle seule. La question est urgente et totale", estime Bernard Feltz. Si on est loin d’accomplir des véritables progrès en matière de lutte contre le réchauffement climatique, on peut facilement imaginer que le mouvement aura bel et bien un avenir.
Encore une fois, l’analyse des experts est plus nuancée. "Il est très difficile de prévoir quelle direction prendront les membres du mouvement", selon Geoffrey Pleyers. Certains s’engageront peut-être en politique, d’autres poursuivront leurs carrières dans d’autres domaines, sans doute en portant un regard particulier à l’écologie. "Après, il faut dire que déjà lors de la COP de 2009 on disait qu’on n’avait plus le temps. Aujourd’hui, on est en plein dedans. Désormais, personne ne peut ignorer que le réchauffement climatique existe. Et pourtant, certains le font. En ce sens, le mouvement aura de l’avenir grâce à des manifestations, induisant des changements des modes de consommation, en essayant d’influencer les politiques", conclut le sociologue.
L’espoir ? Toujours le même : produire un véritable changement de paradigme. Pour Bernard Feltz, cela se rapproche des grandes étapes qui ont permis d’aboutir à des lois sociales après la Seconde Guerre Mondiale. "On est dans un moment analogue : à l’époque, on a imposé des contraintes sociales aux entreprises. C’était un correctif au capitalisme sauvage. Aujourd’hui, on doit faire la même chose avec l’écologie. Il faut les contraindre pour avoir un changement. Cela demande que les rapports de force changement et, culturellement, ils sont en train de changer."