COP27

COP27 : c'est l'heure du bilan avec François Gemenne, et pour l'instant c'est loin d'être gagné

Le focus : François GEMENNE

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Par François Heureux avec François Gemenne

"On n’est encore nulle part", déclaration du chef de la délégation belge hier soir à la COP 27, la conférence des Nations unies sur le climat censée se terminer ce vendredi. Ça sent donc les prolongations. Il reste beaucoup de nœuds à trancher avant d’aboutir à une déclaration finale. C’est assez habituel, les COP se terminent souvent le samedi ou le dimanche, après de longues nuits de négociations. François Gemenne, politologue à l’ULiège, professeur à Sciences Po Paris, était l’invité de François Heureux ce matin sur les ondes de la Première. L’occasion de faire le point avec celui qui est également membre du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat, et co-auteur de leur dernier rapport, en direct de Charm-el-Cheikh.

La question qui est sur toutes les lèvres depuis quelques jours est souvent la même. Est-ce que c’est là qu’on va sauver la planète du réchauffement climatique ?

"Très clairement, non. D’abord, vu l’état des négociations aujourd’hui. Hier soir il y avait accord sur seulement deux points sur les 31 qui étaient à l’agenda. On va donc jouer les prolongations jusqu’à dimanche et les Égyptiens espèrent avoir un accord au finish, à l’épuisement. Et surtout, la préoccupation des négociateurs semble non pas d’avancer, mais d’essayer d’éviter tout recul majeur par rapport à Glasgow. On a donc des négociations qui vivent un peu leur vie autonome au ralenti, tandis que le changement climatique, lui, avance à grands pas. Et le problème, je crois, c’est qu’on attend trop de ces négociations. On compte sur ces négociations pour sauver la planète alors qu’en réalité, si les différents États arrivent les mains vides, les négociations ne vont pas pouvoir leur donner davantage que ce qu’ils y apportent. C’est en quelque sorte comme une assemblée générale. Les COP n’ont pas le pouvoir d’injonction aux États, et donc aucune COP, même la plus réussie, ne pourra sauver le climat."

Faut-il pour autant ne rien attendre du tout de cette COP27 et des autres qui arrivent les années qui viennent ?

"Non, ça reste des moments importants, ça reste des forums de discussions importants, et comme le climat est un problème global, on est condamnés à coopérer ensemble, on est condamnés à mettre nos efforts en commun. Mais par contre, il ne faut pas attendre que les COP puissent à elles seules décider de réductions d’ambition, puissent à elles seules fournir l’argent pour l’adaptation ou pour les pertes et dommages, simplement parce que c’est simplement une assemblée d’États qui restent souverains et qui vont essayer de mettre en commun leurs efforts. Mais ce n’est pas davantage que ça."

Comme beaucoup de participants, la majorité sans doute, François Gemenne s’est rendu à cette COP en avion, il le reconnaît d’autant plus sans problème que dans son dernier livre intitulé L’écologie n’est pas un consensus, il dénonce la culpabilisation liée à la lutte contre le réchauffement climatique. Gemenne avait d’ailleurs été pointé du doigt pour avoir pris l’avion entre Nice et Paris.

Arrêter de prendre l’avion, ça ne fait pas avancer la cause climatique ?

"Bien sûr. Chacun doit être responsabilisé par rapport à ses comportements, et notamment pour ça, il est utile que chacun ait en tête quelle est l’empreinte carbone associée à chacun de ses comportements. Par contre, si on commence à juger chacun et à émettre un jugement moral sur chacun à partir de son style de vie, je crains fort qu’on arrive à une société qui se divise en deux camps, le camp du bien contre le camp du mal, sans prendre en compte que nous sommes tous, dès le départ, dans le camp des méchants. Du seul fait de notre condition de citoyens de pays industrialisé, nous portons à notre corps défendant une responsabilité énorme dans le changement climatique. L’enjeu n’est donc pas seulement de stigmatiser et de pointer du doigt les comportements des uns et des autres, et c’est souvent des moyens de détourner le regard de l’éléphant qui est dans la pièce, c’est-à-dire la décarbonation massive de notre société."

Quid des militants qui jettent de la soupe sur les vitres des peintures dans des musées ou qui bloquent des routes ou le décollage d’avions, c’est contre-productif ce genre de protestations ?

"Je comprends évidemment la colère et le sentiment de frustration qui animent ces militants, et je les partage aussi, mais je crois qu’il faut prendre garde à ce que les actions pour le climat parlent à la société entière, et pas seulement à un cercle de convaincus. On le voit bien, le but de ces actions est de choquer et de faire parler. Mais ce faisant, ça divise aussi la société entre ceux qui vont trouver ces actions géniales et ceux qui, au contraire, vont être profondément choqués. Et le problème, c’est que ceux qui vont être profondément choqués, ce sont précisément les gens qu’il faudrait le plus convaincre pour embarquer dans cette décarbonation de la société. J’ai envie de dire qu’il me semble qu’aujourd’hui, le stade de l’alerte est dépassé. 85% des Européens se disent tracassés par le changement climatique. Aujourd’hui, je crois que ça ne sert plus à rien de crier au feu. Aujourd’hui, ce qu’il faut, c’est éteindre l’incendie parce que tout le monde voit bien que la maison brûle et le changement climatique lui-même se charge régulièrement de le rappeler."

Qui va éteindre cet incendie ? Qui va embarquer la société vers le grand virage, vers une société décarbonée ? Est-ce que ce sont les partis politiques, les partis au pouvoir ?

"Non. Mon sentiment est qu’on est dans une sorte de jeu de dupes où chacun essaye de se renvoyer la balle. On a les États qui disent que c’est aux citoyens d’agir et on a cette sorte d’écologie des petits gestes qui, au fond, ne représente qu’un quart de l’effort à fournir et qui va parfois nous détourner de l’essentiel. Et on a les citoyens, et notamment les activistes, qui demandent aux États d’agir. Mais le problème, c’est que quand on regarde les résultats des élections, les États ne reçoivent pas de mandat très fort pour agir pour le climat. On ne peut pas dire qu’il y a un vote massif pour le climat. Je crois donc aujourd’hui que davantage qu’une majorité conscientisée, ce sont des minorités déterminées qui vont pouvoir faire advenir le changement. Et ces minorités déterminées, on va les trouver évidemment dans la société civile, mais aussi dans les collectivités et dans les entreprises. Quand je regarde l’état de la société aujourd’hui, il me semble que là où il y a le plus de changement qui est en marche, c’est dans les entreprises, c’est dans les collectivités. C’est donc vraiment sur ces minorités qu’il faut, je crois, s’appuyer, de manière à voir comment on amplifie leur action, comment on amplifie le changement et comment on lui permet de se démultiplier."

Les partis politiques ne sont aujourd’hui pas à la hauteur du défi écologique ? Ce n’est pas d’eux que viendra la pulsion ? On sait que la Belgique s’est engagée à diminuer ses émissions de 35% d’ici 2030. Vous dites aujourd’hui que ce n’est qu’une promesse, qu’on attend toujours les actes ?

"Bien sûr. Tout le monde fait des promesses à l’horizon 2030, 2040 ou 2050, mais le problème de ces promesses, c’est que les gens qui les font ne seront plus en charge d’ici 2030 ou 2040, et donc n’auront plus à rendre des comptes sur les promesses qu’ils ont faites. C’est-à-dire que ces promesses à horizon de moyen ou de long terme sont surtout des moyens de retarder l’action. Si vous me dites que je dois perdre 10 kilos d’ici 2030, je sais très bien que je vais continuer à boire beaucoup trop de bière jusqu’en 2029 et que ce n’est qu’en 2029 que je vais me dire : " Oh là là, il faudrait que je perde un peu de poids ". Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est qu’on ait des engagements mois après mois, année après année, qui ne portent pas seulement sur les températures, mais qui portent sur les émissions de gaz à effet de serre que nous émettons. Ça, ça me paraît très important. L’autre chose, c’est que la démocratie représentative, qui est aujourd’hui représentée par des partis dans nos parlements, a des limites à traiter cet enjeu de long terme et, je pense, n’est plus capable aujourd’hui de prendre les virages nécessaires pour respecter les objectifs de l’accord de Paris. Parce que chaque parti va chercher à s’adresser à une classe particulière d’électeurs dont il va représenter les intérêts, qui vont parfois être contradictoires. Et le rôle du gouvernement va être de dégager un contrat social qui combine ces différents intérêts relativement contradictoires. Mais là-dedans, personne ne va vraiment représenter l’intérêt du climat, personne ne va vraiment représenter l’intérêt de la biodiversité, chacun va représenter les intérêts de ses électeurs […] Ça ne veut pas du tout dire que le politique n’a plus aucun rôle à jouer, et je crois que le rôle du politique est d’encadrer les choses, soit par des règlements, soit par une fiscalité qui soit un peu plus offensive en matière climatique. Mais par contre, je ne pense pas qu’on doive trop attendre des gouvernements. On demande aux gouvernements de sauver le climat et les gouvernements ne reçoivent jamais ce mandat de la part de leurs électeurs.

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