Simon a 17 ans. Il étudie à l’Athénée Léonie de Waha, à Liège. Dans un reportage du Journal télévisé, il se confie : "La majorité des élèves [de mon école] souffrent beaucoup. Il y a beaucoup d’élèves en décrochage scolaire. Je le suis peut-être moi-même. Certains élèves tiennent des propos beaucoup plus graves, comme le suicide par exemple." Si la situation de Simon est particulière (son école ne propose qu’un jour de cours en présentiel par semaine, lui et ses camarades ont lancé une pétition pour que cela change), ses propos illustrent la détresse vécue par beaucoup d’adolescents.
"Ce deuxième confinement est encore plus difficile à vivre que le premier", explique Bruno Humbeeck, psychopédagogue à l’Université de Mons. "Le premier confinement a eu lieu en fin d’année, quelque chose s’était déjà construit. C’étaient des vacances anticipées en quelque sorte. Mais ce deuxième confinement intervient en début d’année, quand tout se met en place. L’organisation des groupes est perturbée." "Et puis, poursuit-il, il y a un manque de perspective, on ne voit pas quand cela va finir. C’est très difficile pour les adolescents, qui sont en phase de construction."
Un deuxième confinement plus difficile encore
Au travers de ses consultations, Fabienne Glowacz, professeure en psychologie à l’ULG, fait le même constat : "La perte de sens, la perte de motivation et la détresse persistent et, pour certains, s’intensifient. Les jeunes ne vont pas bien." Dans une enquête qu’elle avait réalisée lors du premier confinement (de mars à mai 2020), elle avait mis en évidence que 80% des adolescents interrogés présentaient une anxiété inhabituelle, et qu’un jeune sur deux faisait part d’une humeur dépressive. Le retour à l’école a réjoui la majorité d’entre eux, mais n’est pas suffisant pour répondre à leurs besoins psychologiques et sociaux. Leurs contacts restent limités : l’enseignement est hybride, ils sont toujours privés de leurs activités sociales, sportives, culturelles…
"De plus, leurs stratégies compensatoires sont moins grandes, précise la psychologue. Il y a une sorte d’épuisement au niveau de la mobilisation des ressources personnelles. Lors du premier confinement, les ados se sont mis à la cuisine, ont fait de l’activité physique, du bricolage, des jeux de société… Aujourd’hui, l’enthousiasme qui les a aidés à mettre en place ces activités s’est effrité, tant chez eux que chez les travailleurs sociaux qui s’occupent d’eux". Or, la diversité des intérêts, des activités, des sources de satisfaction sont un des remparts contre le risque de dépression.
L’autre est vu comme une menace
Bruno Humbeeck note, lui, que l’absence d’événements dans leur vie est difficile à vivre : "Pour se construire, un adolescent doit pouvoir produire un récit à propos de lui-même, il doit pouvoir se raconter, mais là il n’y a plus rien à raconter. Les festivals, par exemple, sont des endroits où les jeunes peuvent en même temps s’affirmer dans leur individualité et en même temps partager une identité commune. Il n’y a plus rien de tout ça aujourd’hui. Les mécanismes de reconnaissance identitaire disparaissent les uns après les autres."
Par ailleurs, la crise sanitaire est anxiogène. Les jeunes n’ont pas peur pour eux mais, comme l’explique Alisée, 13 ans, dans la vidéo ci-dessous, ils ont peur de transmettre le virus à leur famille. "L’autre est vu comme une menace, s’exclame Fabienne Glowacz, or l’expérience de l’altérité, de l’amitié, du fonctionnement de groupe est primordiale dans l’adolescence. Il va falloir déconstruire les messages qui ont accompagné cette crise."