"Ça rend fou d’être sans papier"
Le titre de l’exposition est inspiré d’un texte de la peintre. Elle y parle de la schizophrénie qui dissocie l’esprit du corps. Quant à la notion d’exil, elle est liée à son parcours. "Je me suis exilée deux fois et je pense que ma schizophrénie vient du fait d’avoir autant de fois perdu mes repères. J’étais sans papier en France puis sans papier aux USA. Ça efface ta place dans la société, ça rend fou d’être sans papier. Tu es reléguée sur le plan de la dépersonnalisation. Tu ne peux pas travailler ou te promener sans avoir peur de te faire déporter. Cette inadéquation constante à la société cause des maladies mentales."
Il faut créer des espaces où on peut souffler
Dans ses œuvres, l’artiste représente souvent cet exil destructeur. "Je peins aussi des villes étrangères qui me dépassent, qui me surpassent avec leurs gros buildings et me remettent à ma place d’exilée qui ne connait pas ça." Femme de lettres, Nabila Hamici cite de nombreux auteurs, à l’instar de Frantz Fanon, connu pour ses écrits sur l’impact de l’aliénation sur la santé mentale des peuples colonisés.
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À travers son art, elle conjugue peinture et écriture. Ses textes accompagnent les peintures et contextualisent le récit visuel. Mais l’écrit fait aussi pleinement partie des œuvres, elle nomme sa calligraphie 'schizo-graphie'. "Cette écriture ‘dit les choses’ pour reprendre l’expression d’Henri Michaux, là où les textes représentent les images", indique le dossier de l’exposition.
Questionner la société
Au mois d’avril 2022, au retour de Nabila Hamici en Europe, une série de rencontres seront organisées autour de la santé mentale des populations racisées. "Je veux proposer cette réflexion au public. La question du lien entre racisme et santé mentale est permanente. Par exemple, concernant ce qui s’est passé avec Junior Masudi Wasso, moi en tant que personne racisée et nous en tant que groupe, nous devons lire les articles de presse qui minimisent l’impact de l’insulte, de l’agression, de l’humiliation, du mépris ; c’est notre quotidien. C’est épuisant, ça nous tue à petit feu, ça nous rend fous. Je veux que l’exposition apporte quelque chose de positif en termes de guérison dans la société", appuie Anne Wetsi Mpoma.
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La fondatrice de la Wetsi Art Gallery dit ne pas avoir toujours été militante. "Quand j’étais plus jeune, j’étais convaincue que si tu veux tu peux. J’étais consciente du racisme, mais il y a eu un moment de basculement où je me suis rendu compte que ce n’était pas une fatalité. Je suis devenue militante en décidant de lutter contre, et en me disant que c’est même de notre devoir puisque c’est une injustice qu’on subit. Par exemple, ce n’est pas normal de galérer pour trouver un appart parce qu’on est noir, ça a des effets sur la santé mentale et physique aussi. Entre femmes activistes, on doit aussi apprendre à développer des mécanismes de soin, c’est un monde qui est empreint de violence et il faut créer des espaces où on peut souffler, être vraies. Nabila c’est l’une d’entre nous."
À savoir : chaque année le 10 octobre est marqué par la "Journée mondiale de la santé mentale". L’occasion plus que jamais de sensibiliser la population à ces questions.
Infos pratiques : Corps dissociés en exil, un projet de la Wetsi Art Gallery, asbl Nouveau Système Artistique, Bruxelles. Vernissage ce jeudi 7 octobre à 18h00, rue de la Petite Île 1A, 1070 Bruxelles.