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Corruption au Parlement européen : "Pier Antonio était un agent du Maroc au sein du Parlement européen"

Corruption : y a-t-il un système Panzeri ?

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Le Qatargate se trouve encore au cœur de l’actualité cette semaine. A la demande de la justice belge, le Parlement européen va lancer ce lundi après-midi la procédure de levée de l’immunité parlementaire de deux eurodéputés, le Belge Marc Tarabella et l’Italien Andrea Cozzolino.
Tous deux sont des proches de Pier Antonio Panzeri. L’ex-eurodéputé est soupçonné d’avoir créé un réseau de corruption au profit du Qatar et du Maroc. Mardi, il devrait être informé de la prolongation ou non d’un mois de sa détention préventive.

Un témoignage accablant éclaire à ce propos le rôle de Pier Antonio Panzeri dans ce scandale. Il s’agit du témoignage d’une femme, que nos équipes ont pu rencontrer. Elle s’appelle Ana Gomes. Elle est Portugaise, et elle connaît bien le Parlement européen pour y avoir été élue pendant 15 ans. Et elle a exercé son mandat exactement en même temps qu’un certain Pier Antonio Panzeri, en étant socialiste, tout comme lui.

Le fait d’être de la même famille politique ne l’empêche pas de dénoncer ouvertement son comportement.


Installée à la terrasse d’un bar le long de la mer, à Cascais, une station balnéaire de la banlieue de Lisbonne, Ana Gomes réagit immédiatement dès que le mot "Qatargate" est prononcé : "Je me suis dit tout de suite, et je l’ai dit ici deux jours après que le scandale soit connu, j’ai dit à la télévision portugaise, si ça implique Monsieur Panzeri, ce n’est pas seulement le Qatar, c’est le Maroc. Ça va venir au Maroc, c’est clair."


Selon Ana Gomes, le Maroc, comme le Qatar, est passé par Pier Antonio Panzeri pour influencer les politiques européennes. A partir de 2012-2013, elle se souvient d’un lobby pro-marocain de plus en plus structuré au sein du Parlement européen. A la manœuvre, il y aurait eu deux hommes, tous les deux socialistes : un français, Gilles Pargneaux, qu’elle qualifie de vaniteux car il se présentait comme un conseiller du Roi du Maroc ; et Pier Antonio Panzeri, d’après elle, plus fin et plus malin.

Panzeri actif aussi… pour le Maroc

Chez elle cette fois, Ana Gomes nous précise ses affirmations. Sur la table de son salon, notre équipe a disposé des documents confidentiels attribués à la diplomatie marocaine qui ont fuité sur le web.

" 2013… Plan d’action à l’égard du Parlement européen… Et déjà Panzeri…" réagit-elle tout en souriant.

On recevait des invitations pour aller dans des voyages, qu’ils nous décrivaient comme des voyages magnifiques.

Elle a côtoyé et homme pendant 15 ans dans une multitude de réunions de travail. Par exemple, au sein d’une délégation parlementaire avec des pays de la Méditerranée, au sein de la Commission Affaires étrangères du Parlement européen, ou encore dans la sous-Commission des droits de l’homme que Pier Antonio Panzeri a présidé entre 2014 et 2019.


Partout, selon Ana Gomes, l’élu italien travaillait pour saper, boycotter toutes les initiatives qui déplaisaient au Maroc, que ce soit sur la question des Droits humains ou à propos du Sahara occidental, un territoire revendiqué par le Maroc.

Faire du lobby pour le Maroc n’est certes pas en soi condamnable, et soutenir le rapprochement politique, économique avec le Maroc, n’a rien d’illégitime. C’est même une volonté de l’Union européenne elle-même.
Mais dans la manière, concernant Pier Antonio Panzeri, Ana Gomes n’avait pas de preuves mais des soupçons de corruption. Par exemple, elle évoque des mails de Pier Antonio Panzeri et du français Gilles Pargneaux qui, plusieurs fois, l’ont invitée à des voyages au Maroc : "On recevait des invitations pour aller dans des voyages, qu’ils nous décrivaient comme des voyages magnifiques. Bien sûr, c’étaient des séjours qui seraient payés par les Marocains. Et des voyages qui convenaient aux Marocains pour nous faire voir ce qu’ils voulaient. Bien sûr, moi je n’ai jamais accepté. Mais malheureusement, je crains que quelques membres aient accepté d’y aller et c’était une forme de capturer les membres. Pas seulement de les instrumentaliser. Mais de les capturer." Autrement dit, rendre des eurodéputés redevables.


Précision importante : ces voyages payés par des pays étrangers n’étaient pas interdits, selon les règles du Parlement européen, et ne le sont d’ailleurs toujours pas.

"Ce n’était pas normal"

Et puis Ana Gomes épingle une date charnière : 2019. Cette année-là, Pier Antonio Panzeri ne cache plus son soutien indéfectible au Maroc.
Un important accord sur la pêche et l’agriculture avec le Maroc est cassé par la justice européenne. C’est un coup dur pour Rabat et tous ceux qui avaient soutenu le Maroc, notamment au sein du groupe socialiste du Parlement européen. "Le lobbying pro-marocain s’est déclenché de façon assez furieuse. Même Panzeri, qui jusque-là était plutôt malin et dissimulé dans le soutien aux positions du Maroc est devenu très ouvert. Je me souviens d’avoir eu de grandes discussions, moi et d’autres collègues, au sein du groupe en plénière, en disant que ce n’est pas possible la position que défendent Pargneaux et Panzeri, et c’est là où j’ai fait peut-être mon alerte la plus véhémente : ces positions étaient des positions qui ne correspondent pas à nos valeurs et nos principes. Ce sont des positions des agents du Maroc. Ce n’était pas normal. Ce n’était pas seulement une question de position politique. Il y avait quelque chose de plus."
En 2019, Ana Gomes y a vu la confirmation de ses soupçons de corruption. Et elle regrette aujourd’hui que son groupe politique n’ait pas entendu à l’époque ses avertissements.


2019 est aussi une année importante parce que Pier Antonio Panzeri n’est pas réélu au Parlement européen. Mais Ana Gomes en est convaincue : l’Italien a profité des réseaux qu’il a construits pendant ses trois mandats pour continuer à servir les intérêts du Maroc. Et cette fois, c’est via son ONG des Droits de l’Homme, qu’il a appelé Fight Impunity (combattre l’impunité, ndlr).

Pour Ana Gomes, il n’y a pas de doute : Pier Antonio Panzeri est bien le personnage central du Qatargate et d’un éventuel Marocgate. Et son ONG serait l’instrument qu’il a créé pour acheter des membres du Parlement européen et leur pouvoir d’influence, au profit des Qataris et des Marocains. "Ils n’ont pas eu tort de choisir Panzeri comme le chef de file, conclut-elle. Parce qu’il était malin. Au point qu’il a eu cette perversité, une fois sorti du Parlement, il a créé une ONG avec ses tentacules dedans, pour continuer d’infiltrer, d’influencer et de manigancer. C’est vraiment… Machiavélique."


Tout comme Ana Gomes, la justice belge soupçonne Pier Antonio Panzeri d’être au cœur de ce scandale de corruption présumé. Il est inculpé pour participation à une organisation criminelle, corruption et blanchiment d’argent. Et il s’agirait d’argent venant sans doute du Qatar et du Maroc.


On précisera que selon le journal Le Soir, Pier Antonio Panzeri nie toute forme de corruption du temps où il était eurodéputé, donc entre 2004 et 2019.

Nous avons contacté son avocat mais il n’a pas souhaité répondre à nos questions.

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