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Corse : l’histoire de la lutte armée pour l’indépendance est-elle appelée à se répéter ?

Manifestation nationaliste à Bastia en avril 2004

© 2011 Gamma-Rapho

La Corse, théâtre de tensions depuis l’agression en prison d’Yvan Colonna le 2 mars, est la région la plus pauvre de métropole française. Et son histoire, fortement imprégnée de revendications nationalistes, lui confère un statut particulier.
Située à 160 km du continent, la Corse est la quatrième île de Méditerranée par sa superficie, et est divisée en deux départements : la Corse-du-Sud et la Haute-Corse. Ajaccio, au Sud, est le centre administratif de l’île tandis que Bastia, au nord, en est le centre judiciaire avec la cour d'appel. L’université de Corse est elle à Corte, l’ancienne capitale, dans le centre montagneux de l’île.
Au cours de son histoire, la Corse a été sous la coupe de nombreuses puissances étrangères. Elle a notamment été conquise par les Romains, les Byzantins et par les Génois. C’est en 1768, sous le règne de Louis XV, que l’île est rattachée à la France par le traité de Versailles, cédée par la République de Gênes. C’est donc dans une Corse devenue française que le futur empereur Napoléon Ier naît l’année suivante, en 1769.

Depuis 1991 la Corse a un statut différent de celui des autres régions, avec une autonomie plus large dans certains domaines comme l’éducation, la culture, le logement, les transport ou l’environnement. Aujourd’hui, la Collectivité territoriale unique de Corse (CTU) a remplacé en les fusionnant les deux conseils départementaux corses et la Collectivité territoriale de Corse (CTC), une première en France métropolitaine. L’Assemblée de Corse comprend 63 membres élus pour six ans au suffrage universel, qui élisent eux-mêmes un exécutif.

Mais le statut de la Corse revient régulièrement dans les débats. Il a été de nouveau à l’ordre du jour au début du quinquennat d’Emmanuel Macron, dans un projet de révision constitutionnelle qui devait inscrire dans la loi fondamentale le statut spécifique de la Corse. Sauf que la réforme n’a pas abouti.

Aujourd’hui, après le meurtre de Yvan Colonna en prison, et les émeutes populaires qui ont suivi sur l’île, des tensions historiques refont surface, avec la menace du FLNC (le Front de libération nationale corse) de reprendre la lutte armée pour l’indépendance de la Corse : "Si l’Etat français demeurait encore sourd" […] les combats de la rue d’aujourd’hui seront ceux du maquis de la nuit de demain", a averti le groupe clandestin, dont plusieurs anciens chefs présumés, parmi lesquels Charles Pieri, ont été vus au cœur des manifestations.

Comment comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans l’île de Beauté ?

Qui sont les protagonistes ?

Du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin au président autonomiste du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, des élus indépendantistes aux syndicats étudiants en passant par les clandestins du FLNC : Les acteurs du dossier corse sont nombreux, et chacun défend ses intérêts.
L’acteur central, présenté comme "interlocuteur privilégié" par le ministre français de l’Intérieur, le leader autonomiste Gilles Simeoni est l’ancien avocat d’Yvan Colonna.
Fils aîné d’Edmond Simeoni, considéré comme le "père du nationalisme corse moderne", il a depuis des années à ses côtés, dans ses combats la présidente autonomiste de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis. Cette dernière est une économiste dont il est ami d’enfance.

Gilles Simeoni avait remporté les élections territoriales de 2015 et 2017, au sein d’une coalition nationaliste où il côtoyait les indépendantistes de Jean-Guy Talamoni de Corsica Libera. Maisil était reparti seul en campagne en 2021. Succès : il raflera 40,6% des voix, et son parti Femu a Corsica obtiendra la majorité absolue à l’Assemblée de Corse, avec 32 sièges sur 63.

Face à Gilles Simeoni, c’est donc le ministre français Gerald Darmanin qui devra défendre le position de l’Etat français.
Gérald Darmanin, désigné par le président Emmanuel Macron comme le nouveau "Monsieur Corse" du gouvernement, a désigné un conseiller dédié à l’île, Grégory Canal. Par ailleurs, c’est un nouveau préfet, Amaury de Saint-Quentin, qui a pris ses fonctions au début de la crise. Originaire de Nouvelle-Calédonie, ce "Caldoche" se présente comme un "partenaire des élus" corses avec lesquels il veut "renouer le dialogue". Il a succédé à Pascal Lelarge, décrié dans l’île et mal aimé des nationalistes.

Mais à côté de ces acteurs institutionnels, des élus, et des mouvements plus radicaux, jouent un rôle essentiel. Tout d’abord, les indépendantistes, avec, comme symbole de leur lutte, un homme de plus de 30 ans de militance : Jean-Guy Talamoni. Ce dernier a incarné la figure politique des indépendantistes corses, à la tête de divers mouvements considérés comme la vitrine légale du Front national de libération de la Corse (FLNC). Mais son parti, Corsica Libera, s’est effondré lors des élections territoriales de 2021. Il ne sauve qu’un seul des 13 sièges qu’il détenait dans l’assemblée précédente. Celui qui en a tiré les marrons du feu, c’est Paul-Félix Benedetti, dont le parti Core in Fronte est devenu le principal parti indépendantiste, après avoir refusé l’alliance nationaliste en 2015 et 2017. Il a fait son entrée à l’assemblée insulaire en 2021 avec six élus.

Au total, 46 sièges sur 63 sont nationalistes, les 17 restants revenant à une coalition de droite. A l’origine des grandes manifestations de Corte et Bastia de ces dernières semaines figurent les trois syndicats étudiants nationalistes Ghjuventu Paolina (GP), Ghjuventu Indipendentista (GI) et Cunsulta di a Ghjuventu Corsa. Dans un communiqué jeudi soir, les syndicats ont averti que "seule la libération des prisonniers politiques permettra une issue à la situation de violence actuelle": "Sans ce geste, la mobilisation" pourrait "se rapprocher du point de non retour".

Ces différentes fractions du mouvement corse ne sont pas toujours sur la même longueur d’ondes. La tension sur l’île a d’ailleurs été illustrée mercredi dernier en soirée, quand le leader indépendantiste de Core in Fronte a dû prendre la défense de l’autonomiste Marie-Antoinette Maupertuis, critiquée par des manifestants à Ajaccio qu’elle informait de l’état des discussions avec Gérald Darmanin. "Un peu de respect ! […] Ca fait 250 ans qu’on attend et on ne pourrait pas attendre trois ou quatre heures ? ! Allons ! Mettez-vous un peu de plomb dans la cervelle !", a-t-il lancé.

Mercredi, le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) avait, lui, indiqué dans un communiqué "apporter (son) soutien à la jeunesse corse en lutte", en se faisant également menaçant.

Ces différentes fractions du mouvement corse ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. La tension sur l’île a d’ailleurs été illustrée mercredi dernier en soirée, quand le leader indépendantiste de Core in Fronte a dû prendre la défense de l’autonomiste Marie-Antoinette Maupertuis, critiquée par des manifestants à Ajaccio qu’elle informait de l’état des discussions avec Gérald Darmanin. "Un peu de respect ! […] Ça fait 250 ans qu’on attend et on ne pourrait pas attendre trois ou quatre heures ? ! Allons ! Mettez-vous un peu de plomb dans la cervelle !", a-t-il lancé.

Mercredi, le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) avait, lui, indiqué dans un communiqué "apporter (son) soutien à la jeunesse corse en lutte", en se faisant également menaçant.

L’histoire de la lutte pour l’indépendance peut-elle reprendre ?

Les nationalistes corses, divisés entre autonomistes et indépendantistes, sont au pouvoir dans l’île depuis 2015. Ils demandent un "statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice", construit autour de quatre priorités : le pouvoir législatif et fiscal, la co-officialité de la langue corse au côté du français, l’achat de biens immobiliers réservé aux seuls résidents et l’amnistie de ceux qu’ils considèrent comme des "prisonniers politiques", parmi lesquels Yvan Colonna, condamné à la perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude Erignac en 1998.

A partir des années 1980, des groupes nationalistes clandestins vont passer à l’action sur l’ile.

Ils commettront une série d’assassinats d’agents de l’Etat, mais aussi des milliers d’attentats à la bombe, visant bâtiments administratifs, résidences et installations touristiques. Après l’assassinat du préfet Erignac, la violence est redescendue d’un cran..
- Tourisme, agrumes et élevage -
Avec un taux de chômage de 8% en 2020, la Corse se situe dans la moyenne nationale, selon l’Insee. Mais son taux de pauvreté est le plus élevé de France métropolitaine, à 18,5%, contre 15% au niveau national.

Tourisme, pêche, vins, agrumes et élevage sont les principales ressources de l’île de beauté.

Le secteur tertiaire, principal employeur de cette île très touristique, représente 79% des postes, notamment dans l’hébergement et la restauration. La construction et l’agriculture, avec respectivement 11% et 4% des emplois de l’île, ont un poids environ deux fois plus élevé qu’à l’échelle nationale. En revanche, l’industrie (6%) est moins développée que dans le reste du pays.

Pour comprendre la situation politique de l'île aujourd'hui, il faut remonter des dizaines d'années en arrière. Le nationaliste corse, s'il existe depuis bien plus longtemps, est apparu sous forme de lutte armée dès les années 70'. La création du FLNC, fusion entre le Front paysan corse de libération et le Parti corse pour le socialisme, va apparaître de façon marquante avec pas moins de 22 explosions, survenues dans la nuit du 4 au 5 mai 1976, à plusieurs endroits des villes de Nice et de Marseille. Des milliers de tracts sont laissés sur place, avec, pour la première fois, la signature du FLNC.

Après une trêve dans les actions armées, suite à l'élection de Francois Mitterand à la présidence de la République française en 1981,  vont suivre plusieurs dates sanglantes, dont le 19 août 1982,  lors de ce qui fut appelé la "nuit bleue": pas moins de 99 attentats visant des bâtiments officiels de la métropole.

La date du 6 février 1998 va marquer un autre tournant dans cette lutte: c'est le jour de l'assassinat du préfet de Corse, Claude Erignac, par u groupe dissident du FLNC. Malgré ses dénégations, Yvan Colonna sera convaincu par la justice française d'avoir participé à cet attentat. Parallèlement, des règlements de comptes internes aux groupes indépendantistes vont aussi faire couler beaucoup de sang en Corse.

Avant d'annoncer sa volonté de déposer les armes, le 24 juin 2014, le FLNC va revendiquer 38 actions clandestines en 2011, ainsi qu'un assassinat: celui de Christian Leoni, accusé d'avoir tué un membre de l'organisation.

Depuis que le FLNC a déposé les armes, il a toujours réaffirmé sa volonté de voir la Corse indépendante. Notons qu'en 2019 et en 2021, des attentats ou des tentatives d'attentats ont tout de même eu lieu, parfois sur le territoire de l'île.

Pour comprendre la situation politique de l’île aujourd’hui, il faut remonter des dizaines d’années en arrière. Le nationaliste corse, s’il existe depuis bien plus longtemps, est apparu sous forme de lutte armée dès les années 70'. La création du FLNC, fusion entre le Front paysan corse de libération et le Parti corse pour le socialisme, va apparaître de façon marquante avec pas moins de 22 explosions, survenues dans la nuit du 4 au 5 mai 1976, à plusieurs endroits des villes de Nice et de Marseille. Des milliers de tracts sont laissés sur place, avec, pour la première fois, la signature du FLNC.

Après une trêve dans les actions armées, suite à l’élection de Francois Mitterand à la présidence de la République française en 1981, vont suivre plusieurs dates sanglantes, dont le 19 août 1982, lors de ce qui fut appelé la "nuit bleue": pas moins de 99 attentats visant des bâtiments officiels de la métropole.

La date du 6 février 1998 va marquer un autre tournant dans cette lutte : c’est le jour de l’assassinat du préfet de Corse, Claude Erignac, par u groupe dissident du FLNC. Malgré ses dénégations, Yvan Colonna sera convaincu par la justice française d’avoir participé à cet attentat. Parallèlement, des règlements de comptes internes aux groupes indépendantistes vont aussi faire couler beaucoup de sang en Corse.

Avant d’annoncer sa volonté de déposer les armes, le 24 juin 2014, le FLNC va revendiquer 38 actions clandestines en 2011, ainsi qu’un assassinat : celui de Christian Leoni, accusé d’avoir tué un membre de l’organisation.

Depuis que le FLNC a déposé les armes, il a toujours réaffirmé sa volonté de voir la Corse indépendante. Notons qu’en 2019 et en 2021, des attentats ou des tentatives d’attentats ont tout de même eu lieu, parfois sur le territoire de l’île.

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