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Cosse : « C’est parce qu’on est nous-même touchés par notre musique que l’on parvient à toucher les gens »

Le groupe parisien Cosse sort son premier album "It Turns Pale" le 10 février.

© Non2Non

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Par Renaud Verstraete

Après un sublime premier EP sorti en 2020, Cosse avait placé en eux tous les espoirs de la nouvelle scène post-rock française. Aujourd’hui, le quatuor parisien met tout le monde d’accord avec la sortie d’It Turns Pale, leur premier album. Porté par des guitares viscérales et une voix torturée, Cosse pousse la tension jusqu’à la rupture et oscille entre noise, math-rock et ballade folk avec une fluidité déconcertante. A la fois violent et silencieux, le rock français n’a sans doute jamais été aussi excitant. Rencontre avec Nils (chant/guitare), Félipé (guitare) et Tim (batterie) qui font partie de nos 23 artistes émergents à suivre en 2023.

Hello les gars, votre premier album sort ce vendredi, comment vous sentez-vous à l’approche de la sortie ?

Félipé : On est vraiment excités. Ça a été un long processus, donc on a vraiment hâte. Entre le moment où on a enregistré l’album et fait les premières maquettes début 2021 et aujourd’hui il s’en est passé des choses… Même si au vu du monde cet album ouvre un nouveau chapitre pour nous, on travaille déjà sur le deuxième et on a hâte de pouvoir avancer vers la suite.

On vous a découvert en 2020 avec "Nothing Belongs to Anything". Depuis, vous avez tourné à l’étranger et notamment joué au Hellfest. Finalement, pour un premier EP, il vous a emmené loin !

Nils : On ne s’attendait pas à ce que cet EP marche aussi bien. Aujourd’hui, on continue de tourner grâce à cet EP en fait, c’est assez fou ! Ça nous a permis de nous développer sur la route et de gagner en maturité. La plupart des morceaux de l’album ont d’ailleurs été écrits avec le live en tête.

Félipé : Pour moi, cette approche live du projet est très importante. On a pu tester les nouveaux morceaux et les vivre en live. On ne pourrait jamais enregistrer une maquette en studio sans être passé par cette expérience-là. Il faut que les morceaux existent dans l’air entre nous et qu’on puisse les apprivoiser.

Vous laissez d’ailleurs une part importante à la spontanéité lors de vos concerts…

Félipé : Pour nous, c’est important d’avoir une musique à la fois écrite mais aussi très libre. C’est un peu plus comme une approche jazz dans le sens où les morceaux peuvent avoir des interprétations différentes.

Nils : C’est cool parce que ça nous permet aussi de continuer à prendre du plaisir en jouant ces morceaux parce qu’on les joue toujours différemment en fonction du moment.

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Vous expérimentez en jouant dans des accordages alternatifs, ce qui donne une couleur particulière à votre son. D’où vous est venue cette idée ?

Nils : Quand j’avais 15-16 ans, j’écoutais beaucoup l’album Spiderland de Slint. J’avais envie de rejouer certains de leurs morceaux et j’étais persuadé qu’ils jouaient dans un autre accordage. Donc, j’ai désaccordé ma guitare et j’ai adoré le son que ça donnait. J’ai commencé à écrire des morceaux comme ça et je pense que la moitié des morceaux de l’album sont composés dans cet accordage particulier. C’est ça qui donne une couleur un peu sombre qui se rapproche finalement de Slint. Je me suis rendu compte après que Slint ont toujours joué dans un accordage standard (rires). Mais c’est resté chez Cosse.

A l’écoute de votre premier album, It Turns Pale, on remarque une vraie identité sonore, un son "à la Cosse". Est-ce que vous aviez une direction précise à suivre pour cet album ou est-ce né de l’expérimentation ?

Nils : Notre son résulte avant tout d’un vrai travail de groupe. Moi, je compose souvent seul sur mon ordi avec un métronome, donc le son est assez plat (rires). Une fois qu’on joue les morceaux avec le groupe, le temps se dilate, la musique prend vie et devient plus organique.

Après pour cet album, on a décidé de travailler à nouveau avec Floyd Atema qui avait mixé notre EP. C’est un producteur hollandais qui enregistre toute la scène locale de Rotterdam et des groupes qu’on aime énormément comme The Sweet Release of Death ou Neighbours Burning Neighbours. Cette fois-ci on a vraiment voulu produire l’album avec lui parce qu’en étant en studio avec lui, on savait qu’il aurait plein de gestes dès l’enregistrement pour réaliser le son qu’on avait en tête.

Floyd était toujours dans l’expérimentation, il mettait des micros dans des casseroles, dans des tuyaux d’aspirateurs… On cherchait véritablement l’accident.

Vous êtes partis aux Pays-Bas pour une longue session d’enregistrement. Comment s’est déroulée cette immersion en studio ?

Félipé : On était dans la campagne, dans la région de Leyde à 30 minutes de Rotterdam. On est resté là-bas deux semaines. Dans notre tête, on se disait qu’on avait le temps, que c’était le grand luxe et qu’on allait kiffer. Mais on s’est rendu compte que ça passait très vite (rires). Il y avait une vraie expérimentation dans la démarche. C’est pour ça surtout qu’on a voulu aller là-bas, pour prendre le temps de peaufiner les sons qu’on avait en tête.

Tim : On s’est bien inspirés de l’ambiance du studio, tellement qu’on est sorti que deux fois du studio en deux semaines (rires). On avait tellement de choses à faire. On s’est littéralement accordé 3 heures pour aller à la plage le WE mais c’est tout (rires).

Le fait de prendre le temps, c’était aussi l’occasion de capturer l’instant et de permettre des accidents heureux ?

Nils : Déjà dans la démarche, on laissait une place à l’accident. Floyd était toujours dans l’expérimentation, il mettait des micros dans des casseroles, dans des tuyaux d’aspirateurs… On cherchait véritablement l’accident. A ce niveau-là, c’est même plus un accident c’est criminel (rires).

Comment s'est déroulé la relation avec Floyd ? Il a apporté sa vision ?

Nils : Au niveau de la gestion humaine, il a été très fort pour capturer le meilleur de nous-mêmes. Je me souviens, quand on a enregistré les premières voix, je chante une première fois le morceau et il me coupe en plein milieu. Il me dit : "C’est cool mais ça raconte quoi en fait ton truc ?". Je lui explique, il me relance, je rechante le morceau et il me recoupe une nouvelle fois. Il me redemande : "Pourquoi tu racontes ça ?". Finalement, c’est un peu parti en session de psychanalyse avec tout le groupe qui écoutait dans la pièce à côté (rires). En fait, il ne m’a pas vraiment laissé aller au bout de ce que j’étais en train de dire. Il a juste senti un moment où j’étais sensible par rapport à ce que je racontais et là il a relancé l’enregistrement. 

© Céline Non

Qu’est-ce qui vous inspire ? Est-ce des moments de vie, des souvenirs ?

Nils : Il y a les moments de vie, ça c’est sûr. Et puis il y a des films aussi. J’aime bien partir m’inspirer du cinéma. Par exemple, "Crazy Horse", c’est une référence à "Sleepy Hollow" et au cavalier sans tête. "Sun Forget", c’est inspiré de "Gerry" de Gus Van Sant.

Votre musique est assez imagée, presque cinématographique…

Nils : Moi, je vois beaucoup de groupes en ce moment qui sont très forts dans la gestion des sons, dans la création de nouveaux sons à partir de formules rock. C’est ce qu’on essaie de faire aussi mais je pense que l’ambition première c’est de garder une sorte de narrativité dans les morceaux et de raconter des histoires. C’est quelque chose qui me touche et qui nous touche également.

Votre musique est très émotive. Est-ce que vous réfléchissez en termes d’émotion au moment de composer ?

Nils : Je réfléchissais à ça dernièrement. Je ressens de plus en plus d’où la musique peut provenir. Il y a des trucs qui peuvent être très gutturaux. Ça peut venir des tripes, parfois ça vient du cœur. C’est des choses que l’on ressent en fait, c’est assez édifiant. Parfois, la musique est très cérébrale. Et dans ces cas-là, je suis moins touché. Je peux trouver une idée très bonne, elle peut être bien construite mais il ne se passe rien. C’est vraiment au moment où on joue qu’on sent qu’il se passe un truc et c’est à ce moment-là qu’on prend plaisir tout simplement. C’est ça qu’on recherche avant tout.

Tim : Je pense que c’est parce qu’on est nous-même touché par notre musique que l’on parvient à toucher les gens. On a tous des rapports assez sensibles à la musique, ce qui donne une musique aussi contrastée. Lorsque l’on joue sur scène, il y a beaucoup de choses qui circulent entre nous. Ce partage, c’est aussi ça qui va toucher les gens dans le public. On est dans une sincérité, une honnête dans ce que l’on ressent et on le projette sur scène naturellement.

On décrit souvent votre musique comme étant complexe. Il y a cependant quelques morceaux plus directs et une ballade sur le disque. Aviez-vous besoin de retrouver des passages plus simples ?

Nils : Je me souviens d’une interview qui m’avait marquée. On nous avait dit que l’on faisait une musique hyper compliquée et on nous demandait d’où ça venait. Je ne m’étais jamais posé la question en fait. Pour moi nos morceaux n’étaient pas spécialement complexes, ce qui est certainement une vue de l’esprit (rires).

J’avoue que j’écoutais un album des Breeders où il y avait des morceaux hyper simples, hyper accessibles mais qui étaient très profonds et du coup j’avais très envie de faire ça aussi, de voir si on pouvait se focaliser plus sur le son et moins sur les structures très complexes. Ce sont aussi des morceaux qui ont été écrits pendant le confinement. "Easy Things" a vraiment été écrite à la guitare folk, en solo lorsque le temps s’est arrêté. En fait, c’était le moment de faire ça, je pense.

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Sur l’EP, vous chantez à plusieurs voix. Il y a notamment la voix de Lola Frichet (ndlr : qui a récemment quitté le groupe pour se consacrer à d’autres projets). Tim, tu chantes également sur un morceau. C’est important de chanter à plusieurs sur le disque ?

Félipé : Je pense que ça vient du simple fait qu’on aime tous bien chanter. Ça génère des couleurs et des intentions de voix différentes. Si ça sert à avoir plus de palette sonore et d’expression dans le groupe, on prend ! C’est un peu comme ça qu’on a commencé à mettre des chants de Lola au départ.

Nils : Récemment, j’ai vu The Psychotic Monks en concert. À tout moment, ils peuvent chacun prendre le chant lead. J’adore cet aspect-là dans le sens où ça casse la structure du groupe qui se réinvente le temps d’un morceau. C’est très fort.

On a le sentiment que la scène rock française est en train d’exploser avec des groupes comme Lysistrata, Cosmopaark, The Psychotic Monks, Slift…. Est-ce que vous ressentez cela aussi de votre côté ?

Tim : Jusqu’ici, c’était un peu chacun dans son coin. Mais j’ai l’impression que les choses sont en train de bouger.

Nils : Nous, on débarque seulement dans cette scène après le COVID. Il s’est écoulé beaucoup d’années, on ne pouvait pas se rencontrer et au final là on commence à rencontrer ces groupes, à créer du lien humain avec eux et à avoir la sensation qu’il y a une communauté qui se crée. On se voit de plus en plus avec The Psychotic Monks parce qu’ils sont sur Paris. Pour moi c’est important qu’il y ait des valeurs humaines partagées au-delà de la musique qu’on fait chacun dans notre coin. C’est ça qui nous rassemble finalement.

La pochette d’It Turns Pale, le premier album du quatuor français Cosse.
La pochette d’It Turns Pale, le premier album du quatuor français Cosse. © Cosse

It Turns Pale, le premier album de Cosse sortira le 10 février.
Cosse sera en concert à Liège le 15 avril prochain à l’occasion de l’Insert Name Festival.

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