Coupe du Monde 2022

Coupe du Monde 2022 : à quelques heures du coup d’envoi, Amnesty pointe six problèmes persistants au Qatar

© Montage Getty Images

Ce dimanche sera donné le coup d’envoi de la Coupe du Monde au Qatar. Une édition particulièrement controversée qui a déjà fait couler beaucoup d’encre tant au niveau du respect des droits humains qu’au niveau de son impact écologique.

Alors que les stars du ballon rond et leurs supporters affluent vers ce petit pays de la péninsule arabique, Amnesty International a décidé de frapper à nouveau sur le clou en rappelant la situation qui perdure au Qatar, bien que le pays tente à tout prix d’améliorer son image à l’étranger.

Les autorités qatariennes répriment la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté d’association ; les procès iniques continuent à inquiéter ; les femmes sont toujours victimes de discriminations, en droit et en pratique ; et les lois continuent à introduire des discriminations à l’égard des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres.

Amnesty International, 11 novembre 2022

Dans son rapport, intitulé "Qatar, six choses que vous devez savoir sur le pays hôte de la Coupe du monde 2022", l’ONG rappelle que la situation reste problématique sur de nombreux points. Si les traitements infligés aux travailleurs et travailleuses migrants ont beaucoup fait parler, ils ne constituent qu’une part du bilan de cet État en matière de droits humains.

1. Liberté d’expression et liberté de la presse

"Les autorités qatariennes recourent à des lois abusives afin de réduire au silence les personnes qui expriment des critiques à l’égard de l’État, notamment des citoyens et citoyennes et des travailleurs et travailleuses migrants", pointe Amnesty.

L’ONG a recueilli des informations sur les cas de citoyens qatariens qui ont fait l’objet d’arrestations arbitraires après avoir critiqué le gouvernement.

Il existe peu de médias indépendants ou critiques au Qatar. Les autorités limitent la liberté de la presse en imposant des restrictions aux diffuseurs, notamment en interdisant de filmer dans certains lieux tels que les bâtiments gouvernementaux, les hôpitaux, les universités, les centres d’hébergement pour travailleurs migrants et les logements privés.

Cette réalité s’est d’ailleurs imposée rapidement à une chaîne de télévision danoise, interrompue pendant un direct par les autorités qataries en début de semaine.

2. Liberté d’association et de réunion

Les travailleurs et travailleuses migrants continuent à se voir interdire de fonder ou de joindre des syndicats. Il leur est seulement permis de former des comités mixtes. Cette initiative est menée à l’instigation des employeurs pour assurer la représentation des travailleurs. "À ce jour, cependant, cette initiative n’a aucun caractère obligatoire et ne concerne que 2% des travailleurs, ce qui est loin de garantir le droit fondamental de former des syndicats et d’y adhérer", dénonce Amnesty.

Outre la liberté d’association, la liberté de réunion est tout simplement inexistante dans le pays. Les citoyens comme les travailleurs migrants subissent des répercussions pour leur participation à des réunions pacifiques.

3. Procès inéquitables

Après les arrestations arbitraires, les procès équitables sont loin d’être garantis au Qatar. Au cours de la décennie écoulée, Amnesty International a recensé des cas de procès iniques dans lesquels les allégations de torture et de mauvais traitements formulées par les accusés n’ont jamais donné lieu à des enquêtes, et des peines ont été prononcées sur la base d’"aveux" obtenus sous la contrainte, comme l’affirme Abdullah Ibhais, un ex-membre du comité d’organisation de la Coupe du monde, qui purge actuellement une peine de trois ans de prison pour "corruption".

"Souvent, des accusés ont été soumis à des interrogatoires tandis qu’ils se trouvaient en détention au secret, sans pouvoir s’entretenir avec un avocat ni un interprète", ajoute Amnesty International.

4. Droits des femmes

"Les femmes continuent à subir des discriminations en droit et en pratique au Qatar", affirme Amnesty. L’ONG pointe le système particulièrement discriminant de "tutelle masculine" d’application dans le pays. Un système dans lequel les femmes sont tenues d’obtenir la permission de leur tuteur, généralement leur mari, père, frère, grand-père ou oncle, pour se marier, étudier à l’étranger avec une bourse d’État, occuper de nombreux postes de la fonction publique, voyager à l’étranger si elles ont moins de 25 ans, et accéder à des soins de santé reproductive.

Les femmes au Qatar ont réussi à renverser des barrières et obtenu des progrès significatifs dans des domaines comme l’éducation, mais elles sont toujours obligées d’observer les règles de la tutelle masculine, qui sont appliquées par l’État et limitent leur capacité de mener une vie accomplie, productive et indépendante.

Rapport de Human Rights Watch, 29 mars 2021

Le droit de la famille est discriminatoire à l’égard des femmes, pour qui il est plus difficile de demander le divorce, et beaucoup plus désavantageux sur le plan économique, que pour les hommes.

5. Droits des personnes LGBT

Si les droits des femmes ne sont pas respectés, il en est de même pour ceux des personnes LGBT. Ces discriminations sont d’ailleurs directement décrétées dans les lois du pays.

L’article 296 (3) du Code pénal érige en infraction un éventail de relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe, et prévoit des peines d’emprisonnement pour toute personne qui "conduit ou incite un homme de quelque façon, y compris par la séduction, à commettre un acte de sodomie ou de débauche".

© Code pénal du Qatar

De même, l’article 296 (4) criminalise le fait de "provoquer ou séduire un homme ou une femme, de quelque façon, dans le but de commettre des actes qui sont contraires à la morale ou à la loi".

En octobre 2022, des organisations de défense des droits humains ont recensé des cas dans lesquels les forces de sécurité ont arrêté des personnes LGBT dans des lieux publics – au seul motif de leur expression de genre – et ont fouillé leurs téléphones. Ces organisations ont également affirmé qu’il était obligatoire pour les détenues transgenres de se soumettre à des séances de thérapie de conversion, comme condition préalable à leur libération.

6. Droits des travailleurs et travailleuses

Enfin, en dépit des efforts déployés par le gouvernement afin de réformer le système du travail au Qatar, les abus restent monnaie courante à travers le pays.

"Si les conditions se sont améliorées pour certaines personnes, des milliers de travailleurs sont encore confrontés à des difficultés telles que le retard ou le non-paiement des salaires, la privation de jours de repos, les conditions de travail dangereuses, les difficultés pour changer d’emploi et l’accès limité à la justice, tandis que des milliers de décès d’employés n’ont toujours pas fait l’objet d’investigations", explique l’organisation.

Chantiers au Qatar : portrait de travailleurs népalais

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Dénonciation plutôt que boycott

Pour autant, l’ONG n’appelle pas spécifiquement au boycott.

"Amnesty n’a pas de position sur le boycott. On ne pense pas que les gens qui boycottent ont tort. Mais on ne pense pas non plus que ceux qui ne boycotteront pas ont tort. Chacun et chacune doit faire son choix", déclarait François Graas, coordinateur campagnes et plaidoyer d’Amnesty International, sur le plateau de La Tribune ce lundi. "Il y a clairement des problèmes sur les droits humains au Qatar. Et il y a moyen d’envoyer un message au Qatar sans boycotter."

C’est une occasion unique pour que les choses changent au Qatar.

François Graas, coordinateur campagnes et plaidoyer d’Amnesty International

L’ONG et d’autres acteurs invitent plutôt à utiliser l’exposition du Qatar pour pointer les dérives. "Le Qatar s’est mis sous les projecteurs et s’est exposé à la face du monde. Il est sous pression. C’est une occasion unique pour que les choses changent au Qatar. Profitons-en. Notre crainte, c’est qu’on oublie la situation sur place après la Coupe du monde".

Amnesty International avant la Coupe du monde 2022 : "il y a moyen d’envoyer un message au Qatar sans boycotter"

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